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Un-Cin Coñ (Traducteur)Jacques Batilliot (Traducteur)
EAN : 9782020818612
142 pages
Seuil (07/10/2005)
4.01/5   36 notes
Résumé :
Une petite fille raconte. La mère est morte. Le père est au loin, sur des chantiers. Elle s'occupe de son jeune frère, Uil. Une jeune marâtre sortie d'un bordel ne fait qu'un bref passage, vite chassée par la violence conjugale. Les enfants, peu à peu, se retrouvent seuls. Sous les regards compatissants mais aveugles ou impuissants d'un voisinage misérable et d'une société brisée, la fillette, peu à peu, reproduit sur le petit garçon la violence du père sur la figur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Dans ce court texte, L'oiseau, écrit par Jung-Hi Oh, autrice coréenne, la narratrice est Umi, une petite fille qui raconte son histoire, à commencer par la mort de la mère.
Nous sommes en Corée du Sud, au moment où le pays tente de se relever de ses blessures passées, un pays en pleine reconstruction. Umi a onze ans et son petit frère Uil, neuf ans. Privés de leur mère, ils sont ballotés ici et là dans la famille maternelle, tandis que le père travaille au loin sur des chantiers.
Un jour, le père daigne les récupérer. Il revient les chercher en compagnie d'une jeune femme qui se voit endosser un peu malgré elle le rôle de mère. Ils vont habiter dans l'appartement d'un grand immeuble. Sans doute une lueur d'espoir naît alors dans le coeur de ces deux petits : celui de faire partie enfin d'une vraie famille... Mais le bonheur est de courte durée. Sous les coups du père, la nouvelle compagne s'en va... Et le père doit repartir vers les chantiers au loin qui l'appellent...
Alors, voilà les deux enfants seuls, presque livrés à eux-mêmes, et notre toute jeune narratrice se retrouve investie du rôle de grande soeur, de mère, de maîtresse d'école auprès de son jeune frère...
C'est une histoire presque ordinaire dans la manière de la raconter, à travers la chronique douce-amère qui nous vient ici comme la mélancolie d'un chant triste.
Dans l'univers de cet immeuble qui évoque parfois l'ambiance d'un huis-clos, formant le voisinage misérable, nous découvrons quelques personnages insolites qui apportent leur fantaisie mais aussi leurs fragilités au décor sombre et triste des pages. Cette petite communauté ressemble à une société brisée, sans illusions...
La nuit, bien calé contre le mur, si l'on y colle l'oreille, parfois on entend des larmes venir du tréfonds des étages.
Et puis il y a cet oiseau en cage dans l'appartement de Monsieur Yi, le voisin veuf, et qui fascine la petite Umi... Dans la cage il y a un petit miroir pour tenir compagnie à l'oiseau seul, qui lui aussi tient compagnie à Monsieur Yi, désormais seul...
Parfois les rêves de la petite Umi font du bruit, font surgir de l'enchantement, des visions oniriques d'un monde qui n'est plus ou ne sera jamais... Les rêves, c'est l'univers où l'âme peut vagabonder, le seul endroit où elle peut enfin déployer ses ailes, comme un oiseau épris de liberté, découvrir un monde meilleur...
Parfois elle est légèrement inquiète quand elle se réveille aux premières lueurs du matin, mais le jour la happe alors dans son élan frénétique et tout devient différent... Car il faut survivre. Il n'y a pas de place alors pour la peur...
C'est le portrait d'un monde désenchanté, dépeint à hauteur d'enfant, l'image d'une enfance enfermée dans une dure réalité comme celle d'un oiseau en cage...
Sous les regards compatissants, tantôt aveugles, tantôt impuissants, d'un voisinage misérable, nous cheminons avec Umi qui grandit trop vite, qui a déjà compris comment survivre avec les autres, même si elle ne sait pas trop bien s'y prendre avec son petit frère qui fait les quatre cents coups...
L'écriture de ce texte est de toute beauté.
Le ton, le propos du récit m'ont fait penser à La Tombe des Lucioles, de Akiyuki Nosaka, qui nous laissait voir le destin douloureux de deux enfants dans les décombres du Japon dévasté par la seconde guerre mondiale. C'est une chronique intime qui évoque la résilience de deux enfants et dont la teneur donne une puissance universelle au texte.
Mais il m'a manqué cependant un soupçon d'émotion, quelque chose qui m'aurait chaviré pour être en totale empathie avec ces deux enfants, mais en voudrais-je à cette enfant, la narratrice, qui tient le monde à distance pour mieux se protéger du malheur en embuscade ?
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Beaucoup de poésie dans ce roman pourtant dur. La situation de Umi 11 ans et de son petit frère Uil 9 ans est extrêmement difficile et cruelle. Leur mère est morte, leur père absent. Ces 2 enfants sont ballottés chez les tantes puis sont menés à eux seuls, mais à aucun moment ce roman ne tire les larmes des yeux. La distance que met Umi à son histoire, leur histoire est telle que nous sommes nous aussi, lecteurs, prit dans cette mise à distance. Cela n'empêche cependant nullement pas d'être en empathie avec ces deux enfants.
On comprend que l'enfance a dû faire place à une maturité bien trop précoce, l'écriture est poétique et la façon dont l'auteur raconte cette histoire est inattendue. Paradoxalement, cette mise à distance m'a beaucoup touchée et c'est ce qui fait la force de ce roman. Je ne crois pas avoir déjà lu cet auteur mais je vais m'y intéresser de plus près. Ce roman a peu de critiques sur babelio mais cela ne reflète en rien sa qualité.
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La narratrice, Umi, est une fille de onze ans dont la mère est morte. Elle et son petit frère de neuf ans, Uil, sont d'abord hébergés pendant quelques temps dans la famille ascendante de leur mère. Puis leur père, Pak Mansik, qui n'a manifestement guère le temps et l'attention pour ses enfants, trouve un logement d'un confort pour le moins très limité. Très vite, il ramène à la maison une jeune femme, qu'il a rachetée au pavé. La belle s'ennuie, est d'humeur lunatique, parfois gentille et rieuse, plus souvent geignarde et ne voulant pas endosser un rôle de maman de substitution. A la suite de la pendaison de crémaillère arrosée, le voisin Monsieur Yi, un veuf, devine son premier « métier » et fait des allusions devant Pak…qui va dans la nuit battre sa partenaire. Les enfants, réveillés et témoins, ne sont guère surpris. La belle finira par partir. Dès lors, le père travaille au loin sur des chantiers de construction ne reviendra qu'épisodiquement, et les enfants sont de plus en plus livrés à eux-mêmes avec pour seules compagnies la télé et ses dessins animés et un voisinage assez âgé plus ou moins cassé par la vie (il y a ce Monsieur Yi, un veuf qui vit avec une femelle oiseau veuve comme il dit, des homosexuelles, un criminel, un médecin aveugle…). Umi va devoir prendre la responsabilité de sa vie et protéger son frère. Elle le fait avec courage, mais le ras-le-bol surgit de plus en plus fréquemment. Son frère, qui est un peu déficient mentalement, lui tape souvent sur le système, il sèche l'école, fugue, fait des bêtises avec un groupe de son âge. Elle s'entend réutiliser les expressions d'agacement de cette pseudo-mère éphémère. Quand une assistante sociale lui est désignée, elle s'arrange pour la mener en bateau, ne pas l'introduire dans le logement. Elle commence à battre son frère. Quand le père revient, il est aviné, et se met à tripoter sa fille. Un jour, Uil est mordu par la chienne du médecin. Les enfants ont faim...Elle va exiger de manger la chienne, qui attend pourtant des petits. Uil ne rêve que de s'envoler, son état se détériore, il délire, parle tout seul, tout le temps, et nous livre leur terrible passé, avec ce père indigne, un homme violent qui battait déjà leur mère…Dans le voisinage, les situations se dénouent aussi, pendant que l'oiseau de Monsieur Yi s'exprime de plus en plus, comme s'il voulait parler à tous ces gens…Peut-être pour exprimer cette détresse collective ?

Ce livre court, 130 pages d'assez gros caractères, nous raconte le drame de ces enfants victimes des violences conjugales, qui subissent et se trouvent prédisposés à reproduire implacablement les mêmes travers. C'est aussi le drame de la discrimination, du déclassement, de la perte individuelle et collective des repères. Ce texte se lit d'un seul jet. La qualité et la fluidité du style nous entraînent vers un tourbillon, un abîme de noirceur. L'auteur ne joue pas la carte du pathos, pas d'atermoiements, que du factuel, le déroulé implacable des jours sans avenir. Une oeuvre triste, déchirante, et encore une belle découverte de cette littérature coréenne, assez (positivement) exigeante je trouve, qui perce peu à peu en France.
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Contrairement à Diablotino qui m'a conseillé ce roman je n'y ai pas été réceptive. Il est vrai que j'y ai trouvé de la poésie mêlée à une réalité très crue et violente. Cependant l'histoire de ces deux enfants, abandonnés à leur triste sort après avoir perdu leur mère et été témoins de la violence de leur père sur sa nouvelle femme, est désespérante. L'émotion n'est jamais exprimée mais j'ai ressenti une Chape de plomb tout au long de ma lecture. D'un certain point de vue j'ai pensé au Tombeau des lucioles d'A. Nosaka par son réalisme,sa noirceur et la répétition de drames. La solitude du frère et de la soeur pour affronter un monde hostile est aussi un point commun. Pourtant, dans ce roman la maturité prématurée de la petite fille se traduit par de la dureté, par la construction d'une carapace qui empêche toute tendresse contrairement à la relation hyper émouvante des deux enfants de Nosaka. Avec l'oiseau il n'y a aucun rayon de lumière même fugitif,l'envol est impossible !
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La maman d'Uil et d'Umi est donc partie (morte ?) et les deux enfants sont ballotés d'un foyer à un autre, tantôt chez une grand-mère, tantôt chez un oncle. Leur père travaille au loin sur des chantiers de construction. Mais comment grandir sans figure maternelle ? Sans la chaleur d'une famille ?

Sans être maltraités, les enfants semblent être un poids pour ceux chez qui ils passent. Ils n'ont pas de foyer à eux et leurs affaires tiennent dans un sac. Et puis, un jour, leur père est venu les chercher sans prévenir. Ils partent dans la nuit. Un logement les attend : un petit appartement de location dans une cour. le lendemain, le père revient avec une femme. « C'est votre nouvelle mère. Appelez-là maman. » Selon lui, il vont enfin « être une famille et vivre heureux. » La femme, coquette, se plaint de la misère des lieux. On comprendra qu'elle sort d'un bordel, racheté par le père des enfants. Elle finira par partir, sans rien dire. le père qui rentrait le week-end ne rentre plus désormais. Abandonnés, les deux enfants sont dès lors livrés à eux-même.

Umi, du haut de ses 11 ans, nous raconte sa vie, son quotidien en compagnie de son petit frère de 9 ans, Uil. Leur univers se concentre autour de la vie de la cour et des voisins. Les appartements sont proches, imbriqués et la vie se fait en collectivité. Les logements n'ont pas l'eau courante et on se lave au robinet de la cour. On s'entraide, on cancane, on s'enferme. La galerie de personnages est pittoresque. Il y a ce couple dont on ne sait si le mari est un vraiment un homme. Il y a cet homme discret dont on ne sait que peu de choses. Plus loin, c'est une femme qui reste immobile depuis une chute depuis un toi. Il y a Monsieur Yi et ses exercices d'haltères. Et puis, surtout il y a son bel oiseau, enfermé dans une cage qui prend l'air chaque jour. Les deux enfants s'occupent. Umi joue parfois la mère pour Uil qui se blesse souvent dans ses pitreries. C'est que le petit garçon croit dur comme fer qu'il peut voler. Quand ils ne sont pas à l'école, ils regardent la télévision. Ils vont à la bédéthèque, se promènent dans les environs. le père ne revient toujours pas. le voisinage est compatissant à leur égard, une « mère-consultante » (assistante sociale) est dépêchée mais Umi continue de lui échapper, tandis que leur vie se dégrade.

Portrait poignant d'une enfance brisée, L'oiseau nous parle de l'intérieur de cet abandon parental. Sans comprendre, sans juger les actes de ces derniers, les deux enfants tentent de continuer à survivre. Affleure pourtant inconsciemment la question du pourquoi qui, malgré eux, les empêchent d'avancer. Tristesse et fatalisme fissure leur monde de l'enfance. Une enfance qui n'est plus mais une maturité qui tarde à venir.

Tel un oiseau dans sa cage, Umi et Uil ne peuvent s'envoler. Enfermés dans leur monde enfantin sans en posséder la clé, ils ne peuvent profiter de la naïveté de leur âge. Et peut-on devenir adulte prématurément lorsque l'on a pas eu d'enfance ? le monde des grands est-il si enviable ? Avec une poésie certaine, ce texte à la fois léger et lourd se révèle une critique acerbe du monde adulte, oscillant entre violence et déshumanisation.
Ce court roman déploie dans une prose sobre mais malgré tout vibrante toute l'âpreté d'une enfance à la dérive.
Un très beau roman, à n'en pas douter.
Lien : http://grenieralivres.fr/201..
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
De petits oiseaux s'envolaient dans le ciel qui sombrait. Saisie par l'impression d'avoir oublié quelque chose, je me suis arrêtée, j'ai regardé le sol à mes pieds, puis mes mains vides que j'ai levées devant mon visage. Où ai-je mis la cage ? Où est l'oiseau ? ai-je dit à haute voix en regardant autour de moi. Je n'arrivais pas à me souvenir. Il faisait plus sombre à chaque pas. Mon père avait dit que si l'on suivait la voie ferrée, on pouvait aller n'importe où dans le monde. C'est par là qu'il avait dû partir. Le mari de madame Yônsuk aussi était parti par là en abandonnant sa femme.
"Uil, Umi !" J'ai cru entendre quelqu'un appeler et je me suis retournée. Un appel mêlé au bruissement des herbes sèches qui se caressaient dans le vent le long de la voie ferrée, au murmure de l'eau du ruisseau invisible dans la pénombre.
Madame Yônsuk disait que ce qui naît ici-bas ne disparaît jamais ; tout comme on voit maintenant la lumière d'une étoile qui déjà n'existe plus, tout ce qui a été laisse une empreinte qui se matérialise à nouveau, même longtemps après, devant qui attend.
Un jour, quelqu'un avait imaginé deux prénoms : Umi pour celle qui devait être la plus belle fille du cosmos, Uil pour celui qui serait l'homme le plus formidable du cosmos, et une voix les avait murmurés. Sans doute cet appel me disait-il toute l'espérance qui avait habité cette voix.
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J'ai emmené Uil dans le grand immeuble pour prendre l'ascenseur. On a monté et descendu plusieurs fois les quatorze étages, mais il ne voulait pas s'en aller. Il a appuyé sur tous les boutons et a couru dans l'escalier pour faire la course avec l'ascenseur. Je craignais de tomber sur l'assistante sociale.
- Je me demandais pourquoi il mettait si long- temps à venir, mais c'était vous, les enfants! Vous n'êtes pas d'ici, hein ? Faut pas venir faire les quatre cents coups chez les autres ! Je me demandais toujours qui est-ce qui pissait, crachait et faisait des graffiti sur les murs, c'était vous ! Qu'est-ce qu'il faut vous faire pour que vous compreniez ? a grondé une dame très fâchée qui était montée au rez-de-chaussée.
En descendant au sixième, elle nous a toisés et nous a dit de déguerpir.
- J'ai envie de faire pipi, grande sœur.
Uil se contorsionnait en grimaçant.
- T'as qu'à pisser là.
À ces mots, il a baissé son pantalon et a uriné dans l'ascenseur.
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Uil tressaute violemment. Il doit encore rêver qu'il vole. Son visage est tendu, ses lèvres serrées. Les mouvements rapides de ses yeux font frémir les minces paupières. Je soulève doucement son corps. Je voudrais bien voler moi aussi dans le ciel sombre de cette nuit. Je me déshabille et je me colle à lui pour entendre les battements de son coeur, sentir son haleine et le mouvement de ses intestins qui gargouillent dans le silence. Je suis rassurée. C'est bon de s'assoupir dans le calme et la nuit. J'entends un train. Une rumeur venant d'un lointain passé, en route pour un lointain avenir que je ne connais pas.
L'eau coule en venant de très loin. Elle est soyeuse et chaude. Elle recouvre mes chevilles, mes mollets, mes genoux. Elle monte en immergeant les sinistres murmures et les sanglots étouffés de l'autre côté du mur.
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C'était la rentrée. Uil ne voulait pas aller à l'école. Il revenait de plus en plus tard de ses vagabondages avec les enfants du hangar. Quand je l'ai rabroué : "Pourquoi rentres-tu si tard ? T'as envie d'être un voyou ?", il m'a répondu : "C'est pas tes oignons." Un jour où je l'avais frappé, il est rentré les sourcils rasés. Il avait aussi un tatouage sur le bras, un coeur percé d'une flèche. Il a dit que c'étaient les grands qui l'avaient fait.
- Ça fait mal ? Ça n'a pas saigné ?
Il s'est contenté de hausser les épaules.
- Je vais être un homme qui n'a jamais peur. Je prends un médicament qui chasse la peur.
Il a dit qu'il se ferait faire des tatouages sur la poitrine et le ventre. Il était de plus en plus secret. Pour devenir un homme qui n'a jamais peur, il crachait et s'exerçait à des grimaces qui le faisaient ressembler à un vieux macaque.
Uil n'apprenait plus ses tables de multiplication, mais je continuais à lui donner des devoirs, à le punir et à le gifler. Parfois, nous nous entendions comme deux moineaux posés sur une ligne électrique et d'autres fois, nous nous mordions et nous nous battions avec la férocité de deux rats d'égout pris dans un piège. Oubliant peu à peu la raison même de la raclée, je lui donnais des coups de pied, je cognais sa tête contre le mur, je le rossais jusqu'à ce que je me retrouve le visage enflammé et le dos en sueur. Ni moi qui frappais, ni Uil qui était frappé ne faisions de bruit. La vieille disait :
- Comment se fait-il que ce soit si calme, on dirait qu'il n'y a personne ? Ça fait pitié de voir des gosses si raisonnables à leur âge.
Uil qui voulait être un homme sans peur bien qu'il fût plus petit et moins fort que moi, marmonnait d'une voix funèbre : "Quand je s'rai grand, j'te tuerai, grande soeur." Je l'ignorais et continuais à écrire mon journal. La mère-consultante venait toujours me voir toutes les deux semaines. Quand elle me quittait, elle me disait qu'elle m'aimait bien et qu'elle pensait toujours à moi.
"Le matin, je me suis levée, je me suis lavé les dents et je suis allée à l'école. Le premier cours était du coréen, le deuxième de l'arithmétique. Le troisième, c'étaient des sciences naturelles. Le quatrième..."
L'automne avançait. Le vent fraîchissait et desséchait les tiges des tournesols dont on avait coupé les fleurs. La nuit, je réalisais parfois que depuis un long moment nous étions assis là sans rien faire, sans rien dire. Uil me fixait en grimaçant, les épaules en avant, les mains dans les poches. Son visage sans sourcils me faisait peur.
Nous ne parlions presque pas. Tout ce sur quoi se posaient distraitement nos regards dans cette chambre nous paraissait étrange et étranger. Il me semblait bizarre que la table ait trois pieds, insolite et inquiétant qu'une chemise ait cinq boutons.
Quand on soulevait le revêtement plastique du sol, on découvrait des restes d'insectes morts. C'était à ne pas croire, on pensait les avoir tous tués.
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En rentrant de l'école, j'ai trouvé la chambre vivement éclairée. Le tissu qui masquait la fenêtre était tombé et le soleil découpait avec netteté le visage d'Uil voilé d'une ombre bleue. J'ai soulevé la couverture, de larges taches mouillaientses vêtements. Je l'ai déshabillé et je l'ai nettoyé.
- Tu n'as pas honte de jouer au bébé ? Va falloir te mettre une couche.
Pendant que je le rabrouais, Uil continuait à brailler son monologue comme s'il n'entendais rien.
Il avait dû se vider le ventre pour essayer de s'envoler. J'ai scruté attentivement son corps. J'ai regardé la morsure du chien qui faisait une marque blanche sur sa main et j'ai regardé aussi son petit zizi. Sa peau s'ornait partout de larges taches bleues. Le petit tatouage sur son bras aussi était teinté de bleu. Les traces d'acupuncture étaient devenues des points bleus. Sous ses cheveux il y avait une bosse avec au centre une petite plaie ouverte. Etait-ce par là que son âme, son existence était parties ?
J'ai compris. C'était par là que devait jaillir le halo qui entourait Toto l'enfant du cosmos et qui prouvait qu'il était né de la lumière.
Tout nu, Uil continuait à parler : Notre père a battu maman. Qui a fait un dessin sur le visage de maman pendant qu'elle dormait ? Qui a fait partir son âme et l'a empêchée de revenir ?
Mon père battait maman avec ses poings ronds et durs. Quand il entrait dans la chambre les mains gantées, en tapant dans sa paume gauche avec son poing droit, maman se réfugiait dans un coin en criant : "Ne me frappe pas, ne me frappe pas, je t'en supplie." Nous restions sans bouger dans un coin, les yeux fermés, les oreilles pleines de ses cris.
Mon père battait maman, longuement, en prenant son temps. Maman avait alors des taches rouges et bleues.
Pourquoi a-t-il fait ça, grande soeur ?
Je répétais à Uil d'arrêter, de se taire, je le menaçais de le frapper, mais il continuait. Il criait tellement fort que je ne comprenais plus ce qu'il disait, je l'ai enfoui sous une couverture pour que ce vacarme ne s'entende pas dehors et je suis sortie.
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