Avec «
Mari et femme »,
Zeruya Shalev aborde une nouvelle fois un thème qui lui est cher, celui des relations amoureuses qui se délitent.
Ici, le point de départ de cet effondrement est la subite paralysie d'Oudi, guide touristique. Après des examens à l'hôpital, il s'avère que son mal est entièrement psychosomatique. Naama, sa femme, tente de l'aider du mieux qu'elle peut, mais les reproches incessants d'Oudi, toujours insatisfait, ne cessent de creuser un fossé déjà existant mais rendu visible par la maladie, et surtout désormais impossible à nier.
«
Mari et femme » est un roman à la psychologie complexe et très fouillée. le seul point de vue auquel le lecteur a accès est celui de Naama, mère et femme courage qui se nie depuis des décennies (elle est en couple avec Oudi depuis ses 12 ans) pour essayer de faire tenir un mariage dont les morceaux ne cessent de devenir à chaque remarque blessante, à chaque dispute, plus fins. En présence d'Oudi, le débit de ses pensées est saccadé, les phrases s'entrechoquent, montrant une angoisse et une culpabilité sans fin qui l'empêchent d'être lucide sur le fait qu'elle est totalement dépendante de son mari Oudi, qu'elle est manipulée par cet homme jaloux et égoïste. Dès qu'il est absent, il est saisissant de voir combien ses pensées se calment, pour devenir plus lisibles et la rendre (presque) capable de recul sur sa situation.
Pour autant, elle n'est pas totalement une victime, car très vite on soupçonne ce couple de se faire réciproquement du mal : en essayant d'être la femme et la mère parfaite, en essayant de combler par la fusion dans son couple (et dont leur fille se trouve un peu à l'écart) sa propre histoire familiale dont elle souffre encore aujourd'hui, Naama impose un modèle à Oudi qui ne peut qu'échouer, provoquant inévitablement son ressentiment. Un mécanisme broyeur et un cercle vicieux que
Zeruya Shalev décrit admirablement.
Toutefois, si ce roman est indéniablement réussi, il m'a bien fallu une centaine de pages pour m'immerger totalement dans ce récit lourd psychologiquement, parfois pénible dans sa crudité, et qui n'est à ce titre pas facile à lire. La souffrance et l'hypersensibilité qui oppressent Naama m'ont prise à la gorge, et la difficulté à la cerner (qu'elle partage elle-même) ne la rendent pas forcément très sympathique (sans même parler d'Oudi, pauvre type antipathique et falot). J'ai eu bien souvent envie de la secouer, à l'instar de certains des personnages gravitant autour d'elle, pour qu'elle décide d'enfin prendre sa vie en main, de se faire passer en premier, de résister à la spirale de dépression dans laquelle elle semble se complaire (et dont elle échappe par la grande compréhension de ses proches, sans se rendre compte de la chance qu'elle a).
Un grand roman qui ne laisse pas indifférent, et qui vaut la peine de s'accrocher dans sa lecture.