La rencontre
Lorsque j'ai rencontré Marlene Dietrich pour la première fois, en 1977 (elle avait soixante-seize ans), je fus saisie d'une émotion qui ne m'a plus jamais quittée, bien que j'eusse assisté à sa déchéance physique au cours du temps, puis à sa mort. Sans doute n'était-elle plus la fascinante déesse à qui nous avaient habitués le cinéma et le music-hall ; elle exprimait néanmoins un charme dû à la beauté mouvante de ses yeux bleus, à la transparence de sa peau et surtout à ce qu'elle conservait de plus pur, de plus bouleversant pour tous ceux qui l'avaient érigée en idole par les vertus de la toile blanche, sa voix. Aussitôt qu'elle parlait, on entendait l'Ange bleu. Ich bin eine Kunstlerin. «Je suis une artiste.»
Cependant, rien ne put égaler ma surprise en découvrant en Marlene une toute petite femme, à peine plus grande que Piaf, une Marlene qui m'arrivait au-dessous de l'épaule. En la voyant sur scène, on imaginait une dimension physique à la hauteur de son génie; cette illusion d'optique venait de son corps singulièrement bâti : un petit buste, et des cuisses, des jambes interminables, célèbres, de plus respectées par le temps. À soixante-seize ans, Mademoiselle Dietrich pouvait encore montrer les plus belles jambes de la planète, quoique, en 1977, elle eût été déjà victime de deux accidents et portât des talons correcteurs ; elle évitait ainsi une claudication qui aurait nui à son image ; elle y tenait tellement que, dès alors, nul ne put obtenir le droit de la photographier et que, s'il existe quelques clichés d'après 1977, ce sont des photographies prises sans son accord.
Marlene Dietrich est morte le 9 mai 1992, dans son appartement de l'avenue Montaigne, à Paris. De 1977 à cette triste et dernière date, je fus sa confidente, son soutien moral et physique, plus encore son amie. Je m'appelle Norma Bosquet, née Caplan aux États-Unis, et je suis la veuve du grand écrivain Alain Bosquet. Nous nous sommes mariés en 1954, jamais séparés jusqu'à la mort de mon mari, en 1998. Peut-être est-ce assez dire pour évoquer la fidélité de ma nature ? En amitié aussi ! Et malgré le caractère difficile de Marlene (elle y avait droit, après tout) notre amitié a résisté à tous les coups. Dieu sait s'il y en eut... Venus de toutes parts, de ses prétendus amis, de sa fille, de l'un de ses petits-fils. Pourquoi et comment suis-je devenue celle à qui la grande Marlene dédiait des odes, dédicaçait photos et livres avec la plus douce tendresse, enfin celle dont elle disait : «Comment pourrais-je vivre sans vous, Norma ?» Le plus simplement du monde et par hasard naturellement.
Alain Bosquet et moi étions venus vivre à Paris après notre rencontre pendant l'Occupation à Berlin où nous résidions, avec quelques autres militaires... Il écrivait, je travaillais pour différents services de l'administration américaine. En 1976, j'obtins que l'ambassade américaine me mît à la retraite ; c'est alors qu'Alain Bosquet me suggéra de chercher un travail à mi-temps. Il était poursuivi par la peur de «manquer». Pourtant, je ne tenais pas à travailler de nouveau, toute occupée que j'étais par des cours sur l'art, notamment la peinture qui me passionnait. Un jour, ma remplaçante auprès du consul général me dit que Marlene Dietrich avait téléphoné. Elle voulait une personne recommandée par l'ambassade pour l'aider dans la rédaction de ses mémoires, aussi bien l'écriture que la dactylographie. Serais-je candidate ?