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Erika Abrams (Traducteur)
EAN : 9782264020604
318 pages
10-18 (12/09/1999)
4.27/5   55 notes
Résumé :
" Mendelssohn est sur le toit, la dernière œuvre de Jiri Weil, traite aussi des Juifs et des nazis, et la plupart des lecteurs considèrent qu'il s'agit, après Vivre avec une étoile (10/18, n° 2764), de son meilleur livre.
Un SS a pour ordre d'enlever parmi les statues de musiciens qui ornent le toit de l'Académie de musique de Prague, celle de Mendelssohn, compositeur juif. Incapable de la reconnaître, il décide d'ôter celle qui possède le plus gros nez. Il s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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Après Vivre avec une étoile et son personnage lambda broyé par un système répressif dans une ville qui ne porte pas de nom, Jiri Weil revient à Prague sous occupation allemande avec Mendelssohn est sur le toit. Cette fois-ci, le ton est radicalement différent.
L'évènement qui donne son nom au titre est le suivant. Lorsque Reinhard Heydrich, Vice-Gouverneur de Bohême-Moravie aperçoit la statue de Mendelssohn au milieu d''autres grands noms de la musique, il exige que celle-ci disparaisse. «  C'est une négligence inouïe, pire que la trahison. Mendelssohn est sur le toit. » Mais ni le SS chargé de faire appliquer ses ordres, ni les ouvriers tchèques, ne peuvent le reconnaître, les statues ne portant aucune inscription. La solution est vite trouvée pour le SS, il faudra détruire la statue dotée du plus grand nez… et c'est celle de Wagner…
A partir de cette anecdote, Weil nous offre un état des lieux digne d'un film d'épouvante du Protectorat de Bohême-Moravie, à travers les destins de quelques personnages pris au piège de l'occupation. Résistants, intellectuels, membre du Judenrat, ouvriers… tous tentent de survivre ou de résister, de se cacher, ou doivent collaborer souvent de la pire manière, en choisissant qui devra mourir, en construisant des gibets… Sans doute l'auteur a t-il croisé nombre d'individus traqués, lui qui fit croire à son suicide en 1942, devenant un citoyen fantôme grâce à ses amis résistants et qui put survivre à la guerre.
La description de la capitale tchèque est saisissante de vérité. Lorsque l'un des personnages, cloué sur un lit d'hôpital depuis des années, sort dans la rue et traverse la ville sur une charrette, sa sidération est totale. Prague est préservée mais morte.
Il est vrai que la ville, épargnée plus que les autres par les bombardements est un joyau. Mais la silhouette glaciale de Heydrich, qui terrorise même ses proches, nous fait songer à Dracula reclus dans le palais Černín. Sa résidence personnelle à Panenské Břežany a tué le village, quasi-mort depuis qu'il y séjourne.
Dans le roman, l'Opération Anthropoïde est un évènement parmi d'autres, Jozef Gabčík et Jan Kubiš ne sont que des silhouettes au bord de la route qui tirent sur Heydrich en mai 1942. Weil veut monter que sa mort ne change rien pour les Tchèques, la solution finale se poursuit, les juifs affluent toujours autant dans le camp de Theresienstadt.
Avec Mendelssohn est sur le toit, Jiri Weil manie ironie et sarcasme pour nous donner à voir dans la plus grande crudité la banalité de la violence la plus extrême, comme avec l'assassinat de fillettes à coups de clé, ou avec l'anecdote sur ce gestapiste fanatique qui envoie son subalterne piller des antiquités pour envoyer par avion un beau cadeau à sa maman. La structure du roman donne la sensation d'être pris avec les personnages dans une nasse avec au-dessus de sa tête une machine à broyer les individus. Seul un homme sans attache familiale qui a des liens avec la résistance tchèque (Weil?), et qui décide un jour qu'il en a sa claque, trouvera son salut dans la fuite.
Mendelssohn est sur le toit est une de mes lectures les plus percutantes, et les plus éprouvantes. Mais pourquoi n'a t-on pas réédité ou traduit les autres oeuvres de Jiri Weil, notamment celles sur l'URSS, qui faillirent l'expédier au goulag?
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Parler d'un livre-culte n'est pas chose facile, surtout quand c'est  un livre qui est dans mon panthéon personnel depuis dix bonnes années, un livre-talisman,  prêté il y a dix ans par une amie très chère,  rendu à cette amie très chère parce qu'on ne taxe pas un livre, fût il adoré et introuvable , à  une amie très chère, et offert par cette amie très chère après de longues années de recherche pour un anniversaire qui a été,  du coup, une double fête!

Je me le gardais pour la bonne bouche, pour le relire, en gourmandise,  au bon moment.

Vivre avec une Étoile, trouvé par chance et adoré lui aussi,  a réveillé mes papilles de lectrice et j'ai sorti de sa cachette le seul livre que je ne prête jamais- bien trop peur qu'on ne me le rende pas!-  pour le déguster à mon aise, en sybarite.

Surprise! J'avais gardé le souvenir d'un humour-juif- plein de saveur, et de vrais éclats de rire: sans doute ma mémoire, sélective et optimiste,  n'avait-elle cristallisé que le début, cocasse et sarcastique à souhait.  L'humour est là,  bien sûr,  mais c'est tellement plus grave, plus prenant, plus sombre, plus bouleversant que l'histoire d'une confusion entre deux statues,

Est-ce la lecture récente de Vivre avec une Étoile,  dont l'humour voile à peine le tragique et le désespoir,  qui a jeté sur cette relecture une ombre plus prononcée ? 
Est-ce, comme on dit pudiquement "la conjoncture",  pas bien rose, en ce moment,  en ce qui me concerne?
Ou n'est-ce pas plutôt que, quand on relit un livre aimé,  on court  toujours deux risques, celui d'être déçue par le livre, ce qui ne fut pas le cas, ou celui d'être déçue par soi ?

Vous avez compris: comment , mais comment ai-je pu passer à côté de tant de finesse, de tant de signes sans les voir? Comment ai-je pu ne pas voir que des statues, dans ce livre génial, il y en a autant que de personnages, qu'elles quadrillent et aimantent le récit,  en y semant leurs signes de pierre,  comme, dans la forêt noire, les cailloux du petit poucet, pour dessiner à la fois la carte d'un enfermement,  d'une incarcération progressifs et celle d'une résistance héroïque, stoïque, d'une ultime rébellion de vie face à cette condamnation à mort?

 Voici l'histoire:

Sur le toit de l'académie de musique, Heydrich, "protecteur" de Bohème Moravie, grand prescripteur de la solution finale à Wannsee, nazi enragé et  fraîchement arrivé à Prague pour exécuter son mandat -et exécuter n'est pas une métaphore- , a entrevu la statue du musicien juif Mendelssohn. Il ordonne en fureur-avec jeu de mots- qu'on l'enlève, mais les sous-fifres nazillons, les administratifs tchèques à leur dévotion  , la communauté juive elle-même en la personne de son  Grand Rabbin,  tous sollicités, tous montés sur le toit, ne savent comment distinguer Mendelssohn des autres statues de musiciens. Soit par inculture,  les deux premiers,  soit par culture, le troisième  -la religion juive refuse les représentations humaines, statues, portraits..

Les fonctionnaires du Reich décident donc d'enlever la statue de celui qui a le plus gros nez. C'est Wagner, chantre préféré du Reich, qu'on ôte du toit!

Début en fanfare, drôle, caustique, enlevé - sans jeux de mots.

 La suite est moins drôle: tous les protagonistes de ce quiproquo vont le sentir passer...mais Heydrich lui-même ne l'emportera pas ..en enfer :   cette statue sera sa statue du Commandeur -ça tombe bien,  il se prépare à assister au  Dom Juan de Mozart , à l'Opéra de Prague- . Peu de temps après, il tombe sous les balles de deux résistants tchèques. 

Mais le roman ne s'arrête pas là, ni L 'Histoire : les représailles sont terribles.

Même si l'avance des Alliés,  le rouleau compresseur des Russes,  galvanisés par Stalingrad, les villes allemandes mises au tapis,  même si tout semble augurer d'une défaite prochaine de l'Allemagne nazie et d'un départ imminent des forces d'occupation de Prague, la poigne de fer des nazis aux abois s'abat sur Prague et la répression fait rage :  les têtes tombent,  les wagons plombés roulent en convois de plus en plus nombreux vers l'est, quelques "oradours" locaux permettent aux nazis de se défouler- pauvre village de Lidice !- ,  le camp de Terezin, aux portes de Prague, se vide et se remplit comme une machine infernale, au rythme des arrestations et des exécutions.

 L'étau du désespoir se resserre sur la ville aux mille statues.

 Comme des moucherons dans une toile,   tous les menus personnages brassés par cette péripétie surréaliste , s'agitent , se débattent et se prennent dans les fils tendus par l'aragne nazie enragée de vengeance. 

 L'un, Richard Reisinger, juif et donc coupable,  est envoyé dans l'entrepôt de la Gestapo pour collaborer sous la menace à la spoliation méthodique des biens de sa communauté :  il se se sait donc condamné à plus ou moins brève échéance. Cela ne l'empêche pas de détruire à coups de masse la statue de la Justice du tribunal de Pancrač : " la Justice " désormais "ne "gênerait plus personne"..

L'autre, un juif communiste,   atteint de la maladie de la pierre qui ossifie ses os et le statufie  impitoyablement , se soucie avant son propre salut, de mettre à l'abri ses deux petites filles, Adela et Greta.

Il a recours à un troisième,  Jan Kruliš, un résistant que les petites  appellent tonton Jan. Il  leur trouve cachette et nourriture grâce à  la protection d'un ange aux ailes de pierre...creux et plein de viande de porc -on n'est pas trop regardant à ses protecteurs ni à ses  pourvoyeurs quand on meurt de faim dans le ghetto!-.

Un autre, sculpteur à  Terezin , est contraint de sculpter le gibet où seront pendus deux par deux les victimes expiatoires choisies par les nazis.

Tandis que les nazis, eux,  rivalisent de mauvaise foi pour annexer les statues de Prague , celles du pont Charles, celle de Roland, celle de Saint Georges, tout un petit peuple mû par l'énergie du désespoir et une farouche envie de vivre cherche dans ses racines et dans sa ville martyre les "statues" qu'il peut encore ériger à sa liberté.

Les "statues" les plus vivantes, les plus boulersantes qu'ils puissent ériger contre la barbarie sont celles de la dérision, et, chez ce peuple mélomane,  celles de la musique, et singulièrement des chansons.

Je ne peux relire sans larmes la séquence du chant de Terezin, ni celle,  qui conclut le livre,  des  comptines scolaires balbutiées sous la torture par les deux petites fugitives, Adela et Greta, finalement tombées dans la gueule du loup,  qui dressent contre les barbares le mur vivant de leurs airs enfantins.

" À l'opposé de la pierre morte des monuments, commémoratifs ou comminatoires, ils étaient la vie qui triomphe du trépas" conclut sobrement Jiří Weil.
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Avant d'être abominables, les nazis se montrèrent d'abord grotesques, puis absurdes. C'est le crescendo suffocant dans lequel la plume de l'écrivain tchécoslovaque Jiri Weil (1900-1959) nous enserre lors de la lecture de Mendelssohn est sur le toit, un roman dont les péripéties se situent à Prague pendant la Seconde Guerre mondiale, plus précisément entre 1941 et 1943.

Lorsqu'en septembre 1941, Reinhard Heydrich est nommé par Hitler à la tête du Protectorat de Bohème-Moravie (grosso modo la République tchèque actuelle), il est aussi depuis plusieurs années responsable de l'appareil répressif du Reich. C'est à ce titre qu'il est investi de la mission de mettre au point une solution finale à la question juive en Europe. Prague constituera donc un terrain d'expérimentation pour cet homme de trente-huit ans à l'insensibilité et à la cruauté sans pareil. Il y fera régner la terreur, il y engagera un processus méthodique d'arrestation des Juifs et leur déportation vers un ghetto créé de toutes pièces dans la petite ville-forte de Theresienstadt (Terezin), avec à la clé le pillage systématique de leurs biens. Une étape avant l'extermination à Auschwitz de soixante-dix-sept mille d'entre eux. Sa mort en mai 1942, consécutive à un attentat commis par des résistants tchèques, sera suivie de représailles féroces et ne ralentira pas le processus enclenché.

Mais tout commence par le grotesque, je l'ai dit. Alors, rions un instant, ça ne durera pas.

La plus prestigieuse salle de concert de Prague vient d'être reconvertie en Maison de l'Art allemand. le toit est orné de statues de compositeurs célèbres, dont celle de Félix Mendelssohn, d'origine juive. Une erreur insupportable pour Heydrich, qui ne manque pas de culture musicale et qui donne l'ordre de la faire disparaître sur le champ. Mais aucun nom ne figure sur les statues. Incapables d'identifier Mendelssohn, les cadres SS et leurs ouvriers tchèques font fonctionner leurs méninges : un musicien juif ? C'est forcément celui qui a le plus grand nez… Fausse bonne idée, dont les conséquences auraient pu être « terribles » : ils ont été sur le point de déboulonner la statue de Richard Wagner, un compositeur vénéré par les dignitaires du Reich, qui le tenaient pour un précurseur.

L'écrivain tchécoslovaque juif Jiri Weil avait échappé à la déportation et survécu à l'occupation nazie en entrant dans la clandestinité. Il voulait écrire une oeuvre mémorielle qui ne soit pas une chronique historique de plus. Il mit vingt ans à concevoir et élaborer Mendelssohn est sur le toit, une narration romanesque inspirée d'événements tragiques ou cocasses dont il avait été le témoin direct ou indirect.

Il montre des officiers nazis dont le comportement de bureaucrate courtois et zélé dissimule mal l'idéologie, le mépris pour les « sous-hommes » et le destin qu'ils leur réservent, déléguant l'ultra-violence à la Gestapo et à leurs subordonnés. Tous font mine d'ignorer les rumeurs de difficultés en provenance du front de l'Est, mais se pressent de se remplir les poches, s'octroyant même avec cynisme la collaboration de Juifs auxquels ils font miroiter un sort clément pour leurs familles. Mensonge, bien sûr, solution finale oblige. Et pas question de laisser en vie des témoins de leurs turpitudes ! Certains parlent en riant de « Juifs qui s'envolent par la cheminée ».

Parmi les Tchèques, juifs ou pas, on trouve, comme dans la plupart des pays occupés, des gens qui cherchent à survivre, en collaborant, en se rendant invisibles ou en redonnant un sens à leur vie par la lutte et l'entraide. Je m'interroge sur les administrateurs de la Communauté : comment ont-ils pu supporter leur terrible rôle en porte-à-faux ? Je n'en dirai pas plus sur les Juifs de Prague. Il y a plus de leçons à tirer de l'observation des bourreaux que de celle des victimes. Juste une pensée pour les imprécations lancées par les pendus de Terezin et pour les chansonnettes des petites filles tabassées à mort dans les dernières pages : déchirant.

Jiri Weil met en opposition les splendeurs intactes de Prague, ses statues, ses pierres et la désagrégation physique et morale de sa population. Mais lorsqu'à la fin des années cinquante, il voulut publier son Mendelssohn, il se heurta à la censure tchécoslovaque, au prétexte que l'action des communistes dans la Résistance n'était pas assez mise en valeur. La leçon ne suffisait pas.
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Un haut gradé Nazi s'indigne d'avoir prononcé un discours alors que Mendelssohn est sur le toit, enfin une statue le représentant. Vite réparons l'outrage et mettons à bas la statue ! Simplissime ? Mais encore faut-il pouvoir l'identifier ce fameux Mendelssohn. Facile, c'est celui avec un « nez de juif » évidemment ah zut la statue au gros pif est celle de Wagner illustre compositeur allemand et aryen. C'est sur cette scène grotesque que s'ouvre le livre de Jiri WEIL. A sa façon de ridiculiser les nazis, de caricaturer leurs ordres vociférés et leur brutalité dissimulant gauchement leur ignorance sous-jacente j'ai tout de suite pensé à Charlie CHAPLIN singeant Hitler. le sérieux avec lequel est menée la démarche tranche avec le grotesque et l'absurdité de la situation.

Le ton est donné Jiri WEIL a décidé de nous parler de la seconde guerre mondiale sous un angle différent. Car avant les camps, avant l'horreur poussée à son paroxysme, il y a d'autres humiliations, d'autres tortures physiques et morales, d'autres injustices qui préparent minutieusement les étapes suivantes et qui jalonnent le quotidien de millions d'habitants qu'on appelle les occupés. Des étapes destinées à briser les Hommes leur enlever tout, les priver de leur dignité, les préparer à la mort, instiller dans leurs âmes le poison de la résignation. Faire taire tout espoir et toute rébellion.

L'auteur a réussi à rendre l'ambiance, les contradictions et l'absurdité de ce système par une structure narrative très fluide et une construction de son récit morcelée mais précise où chaque détail a son importance. Orfèvrerie de précision où chaque pièce fini par trouver sa place et à donner au récit toute sa cohérence et sa profondeur.
Rudolf, Jan, Greta, Adela, Rabinovic, Richard, Schlesinger, Heydrich, autant de destins qui se croisent dans la banalité et l'horreur de la guerre. Simple grattes papiers de la commune, nazis convaincus, résistants par évidence presque par accident, témoins horrifiés et tétanisés,… comme au théâtre chacun a son rôle à jouer.

Orchestré par WEIL ce théâtre de l'Histoire met en exergue le rôle de l'administration de l'occupant nazi, froide et redoutablement organisée. Implacable dans la mise en oeuvre de la solution finale. Tellement jusqu'auboutiste qu'elle en devient grotesque. La plume se fait alors froide et aseptisée, le discours très structuré et rien ne dépasse. WEIL retranscrit avec panache l'aveuglement causé par la haine et l'abrutissement qui en découle. Des individus tellement convaincus de leur supériorité, tellement gorgés de suffisance que tel le corbeau de la fable ils en deviennent idiots ; ce qui a d'ailleurs fortement contribué à leur perte.

Les passages de ce type alternent avec les récits de personnages attachants. Des personnages en lutte, en souffrance, en détresse, qui font preuve de courage, de lâcheté, d'humanité. Des personnages guidés par l'instinct de survie, leur conscience, l'amour, la peur, le devoir. La plume de WEIL varie alors avec virtuosité et fluidité et nous offre de très beaux passages mélancoliques, poétiques, tantôt empreints de courage tantôt empreints de désespoir.
La symbolique des statues traverse le récit comme un fil rouge. Une vision intéressante et surprenante qui ponctue ce monde sombre d'une touche de poésie, d'originalité et de références culturelles.

Au-delà du sens premier de l'histoire toute une symbolique et toute une philosophie est ancrée dans les mots et délivre un message d'humanité en filigrane. Il y a beaucoup de subtilité et d'esprit dans la plume de WEIL qui est résolument vivante et combattive.
Mendelssohn est sur le toit n'a été publié qu'en 1960, 1 an après la mort de son auteur car le livre ne passait pas la censure. On lui reprochait de ne pas mettre assez en avant les résistants communistes. Il fut finalement publié mais un passage ne passa pas la censure, il est repris à la fin du livre et après l'avoir lu je trouve vraiment dommage d'avoir voulu le faire disparaître.

Pendant des années Vivre avec une étoile et Mendelssohn est sur le toit ont été introuvables car non réédités. Je les ai cherchés longtemps avant de les trouver par hasard en même temps ! C'est une perte inestimable de ne pas permettre la lecture de ces livres car Jiri WEIL donne une vision particulière de cette période de l'Histoire et donne une voix au peuple tchèque. Prochainement Mendelssohn est sur le toit sera réédité, j'espère que Vivre avec une étoile connaîtra le même destin car ces livres sont vraiment des chefs d'oeuvres méconnus dont l'intérêt historique et littéraire me semble indéniable.

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Le livre commence par une anecdote suffisamment connue pour qu'un court-métrage animé lui ait été consacré: des ouvriers mandatés pour déboulonner la statue du Juif Mendelssohn jetèrent leur dévolu sur l'effigie dont l'appendice nasal était le plus proéminent et ce fut Wagner qu'ils retirèrent du toit de l'opéra praguois.
Mais ne commencez pas cette histoire si vous pensez y trouver une farce certes cruelle mais mâtinée d'humour: ce livre est atroce qui relate la vie dans le ghetto à la merci des soudards nazis.
Si les personnages présents dans le chapitre I vont plus ou moins revenir dans la suite du livre, le roman présente une narration éclatée, et les différents chapitres fonctionnent comme une série de scénettes presque indépendantes, à la manière de ce qu'a pu écrire Malaparte dans « Kaputt ».
Mais chez Malaparte l'horreur n'empêche ni l'esthétisme ni l'héroïsation. Tandis qu'ici le courage des héros ne tient pas la tragédie à distance: à la fin du livre, nul n'a survécu - ce qui est d'ailleurs un premier enseignement : se sacrifier ne rapporte pas plus mais pas moins que se compromettre. Des hommes meurent d'avoir abattu Heydrich sans pour autant empêcher la solution finale. Des fillettes meurent pour ne pas dénoncer ceux qui ont déjà été envoyés en camp d'extermination. Les membres du conseil juif meurent avec leur famille malgré leurs accommodements avec les bourreaux…
Mais la question posée par Jiri Weil est moins « Qu'est-ce qu'un héros ? » que « Qu'est-ce que l'art? ». L'assassinat de Heydrich est placé exactement au milieu du livre: l'homme est non seulement le concepteur de l'éradication planifiée des Juifs, mais aussi un esthète amoureux de la musique - un bourreau mélomane, donc. le titre du roman - Mendelssohn est sur le toit - renvoie ainsi à l'absurdité du fonctionnement bureaucratique nazi, mais aussi à deux thématiques qui irriguent toute l'oeuvre: la statuaire et la musique. Au point d'ailleurs que l'expression « musique des pierres » est utilisée par l'architecte préféré de Hitler, Albert Speer, badinant avec Heydrich.
La statuaire, comme la musique, est double. Elle représente la mort, celle du malade étouffé par la paralysie qui s'est emparée de son corps; celle de Prague déserte vidée de ses habitants ; celle du gibet dont la silhouette se confond avec le dépouillement de l'art déco. Elle représente aussi la vie quand elle permet de cacher des victuailles pour les affamés et l'espoir de ce qui perdure. de même, la musique est ce qui exalte Heydrich quand il torture un prisonnier, ce qui fait sourire les bourreaux quand les condamnés fredonnent à l'unisson un air qui ne les sauvera de rien, ce que n'entend pas le tortionnaire qui massacre des gamines puisant dans le souvenir de comptines la force de se taire.
Quand Heydrich va à l'opéra, c'est pour entendre Don Giovanni. Mais il ne comprend rien à l'avertissement du commandeur dont la statue invite le pécheur à descendre aux Enfers.
Et le lecteur y suit Don Juan, en se demandant de quoi préserve l'art si les esthètes peuvent se faire bourreaux.
Aussi, je tiens à remercier solennellement l'Union Soviétique pour avoir censuré un extrait du livre de Jiri Weil: dans mon édition, cet extrait retrouvé a été renvoyé à la fin et c'est lui que j'ai lu en dernier. Ce chapitre déplacé est l'un des rares moments d'espoir apporté par le livre: dans la statue passée au nez et à la barbe des nazis se cache un porc ébouillanté (qui s'avère donc être à la fois de l'art et du cochon). L'adepte du marché noir plus héros que le glorieux soldat de l'armée rouge, voilà qui valut à Jiri Weil de nombreux déboires. Mais mon révisionnisme petit-bourgeois m'a fait fermer ce livre sur un timide sourire, malgré le désastre.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Ils auraient voulu voir encore le soleil et le bleu du ciel, mais le temps était couvert, brumeux, maussade. Ils auraient voulu toucher de leurs mains garrottées la terre sur laquelle ils étaient nés, mais le sol était de pierre, durci par le gel.
Ils auraient voulu entendre encore une voix humaine, mais le silence régnait, aucun son ne résonnait dans l'enceinte de la ville fortifiée. Le monde qu'ils étaient sur le point de quitter était un monde mort et sourd.
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Heydrich poursuivit son examen de la balustrade. Soudain ses traits se tordirent dans une expression de haine et de rage féroce. Comment était-ce possible? Qu'est ce que c'était que cette saloperie? Comment avait-il pu prononcer un discours dans un bâtiment dont le toit s'ornait d'une statue immonde? Quelle honte ! Quelle humiliation! Pourquoi personne n'avait-il eu l'idée d'inspecter l'édifice avant de le consacrer à l'art allemand?
"Giesse, hurla-t-il en levant le bras vers la balustrade, faites enlever cette statue, sur le champ!
Téléphonez à la mairie, tout de suite, quelqu'un doit bien y être de service. C'est une négligence inadmissible, inouïe, pire que la trahison. Mendelssohn est sur le toit!"
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Jan comprit que Winter avait raison. Tout était puni de mort. Chacun pouvait se mettre la corde au cou de la manière qui lui plaisait. Il n'avait pas le droit de condamner ce que faisait Winter. L'ange entré dans l'immeuble sur une charrette à ridelles avait apporté du bonheur aux gens. Un bonheur éphémère mais qui n'en etait pas moins réel. Le cadavre du bourreau*, emmené sur un affût de canon, avait été incinéré depuis beau temps. Il avait délégué la mort pour exécuter au pays conquis ses dernières volontés. Mais la mort ne pouvait empêcher les gens de sourire de bonheur après un bon repas et de respirer plus librement précisément parce que, dans les limites de cet instant, ils en avaient triomphé.

* Heydrich, bourreau de Prague.
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La villa abritait les locaux du Bureau central, le siège régional du Sicherheitsdienst, chargé par Berlin d'apporter une solution à la question juive sur le territoire du Protectorat de Bohême-Moravie. Une solution finale.
La mort y guettait dans des centaines de dossiers, dans des fiches, des inventaires, des photos d'immeubles, de pavillons et d'usines. La mort avait élu domicile dans les paraphes et les signatures, les sigles et les abréviations, les tampons et les graphiques, une mort ordonnée et bien tenue, dactylographiée sans faute sur du papier ministre et des fiches de couleur.
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Soudain le commandant de la place avança jusqu'à l'extrême bord du fossé, toisa les condamnés avec dégoût, comme s'ils avaient été des insectes, et lut le verdict d'un ton coupant : « Pour outrage au Reich allemand, par décret du chef du Sicherheitsdienst pour la Bohême-Moravie, ces Juifs ont été condamnés à la peine de mort par pendaison. »
Le Reich qui tuait et pillait d'un bout à l'autre de l'Europe, le Reich qui perdait des dizaines de milliers d'hommes dans le feu et la glace du front de l'Est, était encore puissant en cette année-là, persuadé de triompher un jour du monde entier. Le Reich accusait ces petites gens ordinaires de s'être mises en travers de son chemin et de lui avoir fait outrage. On ne disait pas comment, la simple accusation suffisait. Le vol de quelques pommes de terre pourries ou d'une planche cassée était qualifié d'attentat. Le salut que l'un avait oublié de faire à un SS, la lettre que l'autre avait tenté de faire passer en fraude, devenaient des crimes capitaux.
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Video de Jirí Weil (1) Voir plusAjouter une vidéo

Un livre, un jour : Sélection de livres
Olivier BARROT présente dans cette dernière émission de la saison des livres dont il n'a pas pu parler : "Vivre avec une étoile" de Jiri WEIL, "Les chemins d'Ilje" de ALI SAAD, "Embuscade à Palestro" de Maurice Pons, "Journal 1901-1948" de Jacques COPEAU et "Ce que dit l'autre" de Jean GRUAULT.
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