Pas de démocratie possible sans auto-administration
Comme pour les précédents numéros, je n'aborde, choix très subjectif, que certains articles et certains points traités.
La ville et le développement d'aires métropolitaines, la concurrence (la mise en compétition des très grandes villes) entre métropoles, l'accroissement de l'urbanisation, l'extension des lieux et l'usage des transports individualisés, le développement du « secteur informel », la recrudescence de la pollution, le chevauchement de compétences administratives, le territoire comme « dentelle irrégulière et discontinue », la production de l'espace et les possibles espaces alternatifs, l'appropriation privée du sol et/ou du bâti, les partenariats « privé-public » et l'appropriation privée des richesses (sans oublier les surcoûts pour les villes utilisatrices), l'alliance libérale entre les élu·es et les grandes sociétés du BTP, la mise en « location » des biens communs, la mise à l'écart des débats et des choix démocratiques…
Plus discutables me semblent les notions d'« unité nationale », de la ville comme « organisme vivant », la « ville comptutationnelle », le manque d'interrogation sur le sens politique des cohabitations familiales et les contraintes de l'habitat induites…
Des oublis aussi sur les luttes, le problème particulier des déchets (Naples, Beyrouth, etc.) (en complément possible,
Pierre Godard,
André Donzel : Eboueurs de Marseille. Entre luttes syndicales et pratiques municipales, le travail du Perou : Atlas d'une ville potentielle, les investissements en aménagements urbains pour les jeunes… réduits de fait aux jeunes hommes…
Makan Rafatdjou aborde, entre autres, le territoire, l'ère de l'anthropocène, l'espace, « L'espace, réalité première de notre territorialité, n'est ni une pure abstraction géométrique, ni un simple contenant », la notion d'« habiter », l'imbrication et la hiérarchisation des espaces et de leurs fonctions, les inégalités et les antagonismes de classe (quid des rapports sociaux de sexe dans les lieux de la ville ?). Il parle de rapports sociaux d'habiter, « notre habiter… n'a jamais été le simple produit mécaniste des modes économiques de production et d'organisation politique et institutionnelle dominants dans les sociétés, ainsi que des contradictions parfois violentes qui les constituaient », de la singularité « des cultures, sociétés et civilisations », de « génie du lieux » (sur ce point, je rappelle les très beaux livres de
Michel Butor), de division sociale du travail, de disjonction et de rupture, des façonnages des espaces « partout la même chose », de la marchandisation lucrative du territoire, des projets « hors contexte et transposables », des logiques techno-bureaucratiques, des approches spécifiques pouvant ouvrir de nouvelles perspectives émancipatrices…
Gus Massiah décline une approche altermondialiste de la ville et de la question urbaine. Il insiste, entre autres, sur la question foncière, le logement, les effets de la scolarisation de masse, les liens entre le local et le global, le nouveau du municipalisme, les réseaux de villes (en complément possible, Rencontre municipaliste des Fearless Cities à Barcelone : vers un maillage international de « villes rebelles » ?), les « droits dans les villes » et « les droits à la ville », le droit au logement comme droit d'existence, la ségrégation spatiale et sociale, l'injonction permanente de circuler, les nouvelle approches théoriques et pratiques (dont celles de David Harvey, par exemple : le capitalisme contre le droit à la ville. Néolibéralisme, urbanisation, résistances).
Corinne Luxembourg analyse l'espace urbain au prisme du genre. Cela est en effet indispensable, mais cela n'aurait pas du dispenser les autres auteurs (tous masculins)… Une des manifestations de la domination est que le « dominant » ne se définit pas (le masculin serait neutre, comme hors des rapports sociaux !) mais définit l'« autre » par différence avec lui-référence et institue cette altérité comme naturelle.
L'autrice souligne l'illusion de neutralité de l'espace « elle concerne les classes sociales, le genre ou l'ethnicisation », l'injonction d'avoir peur dans et de l'espace public (elle rappelle à très juste titre que les violences sexuées ont majoritairement lieu dans la sphère privée – ce qui devrait interroger aussi sur les lieux d'habitat).
Elle discute, entre autres, des espaces clos appartenant à la puissance publique, des espaces publics en fait espaces privés, du rétrécissement « plus ou moins temporaire de leur accessibilité », du contrôle spécifique des femmes, des injonctions à la conformation aux normes sociales, de l'espace-temps des femmes, des empêchements des corps à se déplacer ou à stationner, de mobilité et d'arrêt…
Bruno Della Sudda et Richard Neuville rendent compte de la IIIème rencontre euro-méditerranéenne de l'« Economie des travailleurs et des travailleuses ». . Ils évoquent, entre autres, des alternatives qui ne se limitent pas à la sphère économique, « Elles concernent également des sphères qui permettent de percevoir une imbrication avec des processus culturels basés sur des relations non capitalistes préfigurant des espaces où les relations internes de pouvoir et de genre sont susceptibles d'être rediscutées, tout comme la relation avec la communauté »… Cet article est suivi d'un entretien avec deux camarades italiens « En dehors du marché ! », qui parlent du réseau Fuori Mercato, de mutualisme, de structures matérielles de la solidarité, de coopératives, d'autogestion…
Patrick Silberstein dresse un aperçu historique de la question nationale, « cette question qui nous percute ici et maintenant », dans la « tradition » marxiste.
Catalogne, Ecosse, Corse, Kanaky, Crimée, apprentissage des langues (arabe, chinois, etc.) à l'école, montée des nationalismes d'exclusion ou fascistes, minorités nationales et groupes dits ethniques, minorité comme groupe dépossédé, absurdes catégories de l'apartheid en Afrique du Sud et positions défendues par l'ANC… le peuple est « processus social curieux dont les traits principaux sont la réalité de l'instabilité et le destin de cette instabilité » (
Immanuel Wallerstein) cité par l'auteur qui revient en détail sur les positions exprimées par
Otto Bauer, « Bauer s'oppose donc à l'idée, commune à son époque, d'un substantialisme de la nation, puisque celle-ci ne s'identifie ni à la langue ni à la communauté économique, ni au territoire, ni à fortiori, à l'Etat. Il développe une conception d'auto-administration de ce qu'il appelle des « corporations nationales » en envisageant les cas où celles-ci occupent de manière homogène une ville ou un territoire et les cas où il en va différemment ».
Je souligne aussi la place des « domien·nes » qui sont des citoyen ·nes français·es et « qui semblent bien constituer des groupes nationaux (au sens yougoslave) » ; des phénomènes migratoires et les processus de constitution de « minorités », de « communautés nationales » ou « bi-nationales »/ « multi-nationales » au coeur des métropoles capitalises ; le sens de l'« autonomie culturelle interne » ; la distinction impérative entre nations dominantes et nations dominées (ce qui n'exclut pas des phénomènes d'inversion de position).
L'auteur aborde aussi les communautés comme processus, l'imbrication entre les rapports sociaux de classe et les questions nationales, le principe d'égalité et d'universalisme, le pluriversel contre les lectures excluantes de l'universel, le droit à l'autodétermination, « Il nous faut construire le cadre de cette mosaïque et composer le ciment qui la lie »…
J'ai particulièrement été intéressé par l'article de Bruno Della Sudda, Daniel Desmé : Corse, question nationale, processus d'autodétermination et stratégie autogestionnaire. Les auteurs abordent les nations comme des produits socio-historiques, l'internationalisme et les mouvements de décolonisation, le « sentiment national », l'histoire du peuple corse, l'acte fondateur « une Constitution votée en 1755 par la Consulta de Casabianca », les positions des révolutionnaires français en 1789, l'histoire coloniale de la Corse à partir de 1769…
Se référant aux complexités et aux contradictions développées, entre autres, par
Rosa Luxembourg et
Lénine, ils indiquent : « En effet, ce qui caractérise la situation en Corse et la différencie radicalement des formes classiques de colonisation et d'impérialisme, c'est un point essentiel et en apparence déroutant : une inversion des flux financiers propres à la domination coloniale puisque la Corse coûte plus qu'elle ne rapporte à la France (on est donc à l'opposé de l'exploitation de la main-d'oeuvre et des richesses du pillage colonial dit classique). Et le fait que les Corses bénéficient des mêmes droits que les métropolitains brouille encore la représentation que l'on en a » et souligne la dépendance accentuée (et institutionnalisée) vis-à-vis de la France, la dimension de colonisation de peuplement, la francisation, l'histoire spécifique de cette colonisation…
Bruno Della Sudda et Daniel Desmé reviennent sur l'orientation vers le fascisme de dirigeants corses dans les années 30, l'histoire durant la seconde guerre mondiale jusqu'à Alméria (1975), les pratiques électorales et les fraudes clanistes, la mise en « porte-à-faux de la gauche traditionnelle de l'île »…
Ils insistent, entre autres, sur les contre-pouvoirs et l'auto-détermination (processus et décision institutionnelle), les structures « associatives, culturelles, syndicales », le Syndicat des travailleurs corses (STC), « organiser les salariés pour la défense de leurs droits, et leurs espérances sociales afin de na pas laisser la bourgeoisie régner en maître dans le mouvement national », les négociations avec le pouvoir central hors de la participation des populations, la reconnaissance du peuple corse en droit « c'est-à-dire comme un sujet politique de droit », la question linguistique (en complément possible : Mobilisation Générale Pour Que Vivent Nos Langues) et l'exigence de co-officialité, le soutien sans faille au tout-tourisme, le rapprochement des détenus politiques, les alternatives basées sur l'auto-détermination et l'autogestion…
Reste encore une fois la question, que je pose maintenant à toustes les auteurs et autrices, pourquoi ne pas utiliser une écriture plus inclusive ? – le point médian, l'accord de proximité, les habitant·es, les acteurs et les actrices, les militant·es, les salarié·es pour rendre visibles les unes et les autres, les iels et toustes. Peut-on réellement lever le drapeau des émancipations, en continuant à porter les haillons ou les treillis de lois grammaticales et orthographiques imposées par les académiciens masculinistes (et par ailleurs incompétents). Ces normes « ordinaires » faisant primer le masculin sur le féminin contribuent à invisibiliser les femmes. La volonté affirmée de « résister » à un nouvel usage plus égalitaire du langage, comme indiqué dans une lettre au comité de rédaction de deux membres, me semble plus que discutable. A quand la publication de cette lettre dans la revue et l'ouverture d'un débat ?
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