Micropolitique des groupes n’est pas destiné à une lecture linéaire. Il se présente plutôt comme un hypertexte dans lequel chacun pourra parcourir selon leur inspiration et ses attentes, chaque chapitre étant désigné par un simple mot qui sert de clé d’entrée. L’auteur suggère à titre d’exemple un itinéraire pour un groupe « qui se forme » (rôles, assembler, décider, réunion…) et un autre pour un groupe « en crise » (événement, évaluer, artifices, pouvoir…). À la fin de chaque chapitre, des mots-clés sont proposés pour la suite de l’exploration.
Par un heureux effet de l’ordre alphabétique, un point d’entrée proche du milieu de l’ouvrage est le verbe « problémer » dont la compréhension me paraît indispensable à la compréhension des pratiques collectives : « Une espèce de fabrication de matériaux que l’on réalise dans les méandres de la pensée… », dit l’auteur. Mais encore ? Il s’agit, nous apprend-il, de pratiquer une forme de questionnement qui nous permet de poser un regard inhabituel sur qui nous paraît familier, ou encore de prêter attention à ce que nous jugions insignifiant. Par exemple, plutôt que de chercher une issue à une situation de crise, le groupe peut partir de l’énoncé de cette situation pour s’interroger sur les objectifs de son action, « chercher une manière de penser son histoire, sa situation, dans ce qui est déjà là » puis, par un déplacement des points de vue, « briser l’ordre de la représentation établie des choses », cette « effraction » lui ouvrirant « un nouvel horizon de sens ».
Ainsi décrite, la démarche nous renvoie à la « problématisation » qui constitue le point de départ de l’éducation des opprimés selon Paolo Freire — educação problematizadora, un « apprentissage du dialogue par le dialogue » qu’il convient de distinguer de la simple résolution de problèmes. Placé devant un problème à résoudre, un expert prend une certaine distance avec la réalité, en analyse ses différents constituants, invente des moyens de résoudre les difficultés de la manière la plus efficace possible, pour finalement décréter une stratégie ou une ligne de conduite. Autrement dit, la réalité de l’expérience humaine se trouve réduite par l’expertise aux seules dimensions que l’on peut traiter comme de simples problèmes à résoudre. C’est le paradoxe du simple d’esprit qui a perdu ses clés et les cherche sous le réverbère… Alors que problématiser/problémer revient à engager le groupe « dans un processus de codification de toute la réalité en symboles qui génèrent une conscience critique, et lui fournit ainsi les moyens de modifier sa relation à la nature et aux forces sociales. [...] C'est alors, seulement, que les gens deviennent des sujets, et non plus des objets, de leur propre histoire. »
Il y aurait beaucoup à écrire sur chacun des chapitres de cet ouvrage. Pris à témoin d’expériences qui peuvent entrer en résonance avec son vécu, le lecteur est libre de les mettre en action ou de les théoriser dans les champs d’action et d’analyse dont il est familier. Personnellement, j’y ai trouvé un éclairage complémentaire sur des pratiques à première vue éloignées de celles des collectifs qui ont inspiré l’ouvrage. Depuis trois décennies, la problématisation est au cœur de l’approche de « démocratisation active » dont se réclament les animateurs de Village Community Development Association au Maharashtra (http://ccrss.org). Ces groupes d’action des communautés rurales les plus défavorisées sont rassemblés dans un collectif informel qui pratique l’auto-apprentissage pour la formation de nouveaux animateurs (self-education workshops). Leurs membres, dont beaucoup ne savent ni lire ni écrire, sont souvent désignés par les villageois comme « ces gens qui posent des questions »…
Il est intéressant de signaler que le Groupe de recherche et de formation autonome (GReFA) dont font partie les trois collaborateurs de Micropolitique des groupes poursuit actuellement son travail sur le terrain de l’auto-apprentissage.
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Bon je suis en plein dedans... Je constitue un groupe pour vivre. Il me paraît que la question centrale est comment faire groupe sans être aliéné par des idéaux new age et par la rationalité moderne (calculable et culpabilisante). Ou bien alors de viser non une politique politisante en vue d'un monde "meilleur" mais objectiver un vivre ensemble intensifié par un projet écolo-éthique et respectueux des différences. Car sans projet de cette sorte alors le groupe n'est qu'un primaire narcissisme de besoin d'être entouré /aimé / protégé. La micropolitique est donc partager nos puissances d'être en symphonie/groupe. Et ce blabla de micro politique n'est qu' une clarté nouvelle sur la manière de s'aimer hors des sentiers battus des relations à deux. L'intime, on le sait, nous pousse à intensifier nos être, l'intime fait de la politique une recherche existentielle et une respectueuse approche de l'autre. Une relation intime et Saine prépare l'avenir et sort du sabotage neo-libéral qui n'est que consommation égoïste et politique du plus efficace, du plus fort. Les groupe ne sont pas davantage hormis le nombre et les sexes. Pour moi le groupe est amour c'est à dire amor fati, grand oui à la seule réalité et volonté de puissance dans le tragique de la pluralité (pas volonté de pouvoir). Mais quand la tête, les pensées, les mots, les concepts, les services et la bonne volonté sont présents comment aller plus loin encore ? Comment incarner ? Comment être affecté véritablement, corporellement ? Car si le corps est politique alors la micropolitique est ce corps au quotidien...
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