SON ENNEMI, C'EST LA BÊTISE !
Tout au long de son histoire, des placards aux mazarinades, de l'Affaire Calas de
Voltaire au J'accuse d'
Emile Zola, d'Elie Fréron à
Léon Bloy, de
Camille Desmoulins à
Octave Mirbeau, et tant d'autres qu'il serait laborieux de tous nommer, (et nous ne citons-là que ceux antérieurs au XXème siècle) notre pays regorgea de polémistes, critiques et autres pamphlétaires en tous genres. Sans aucun doute tenons-nous la dragée haute à bien d'autres nations en la matière, tant notre goût en matière d'argutie et autre joyeusetés politique occupe depuis longtemps livres, magasines et feuilles de choux. Rares sont cependant les très grandes plumes ayant mêlé humour et sens critique, verve ironique et escarmouche politique, dérision formelle et gravité du débat au niveau de l'écrivain, journaliste et humoriste américain Samuel Langhorne Clemens alias
Mark Twain.
C'est en tout cas ce que donne à penser cet étonnant petit ouvrage des Editions du Sonneur que leur traducteur a artificiellement, mais avec une gourmandise assumée et maligne, intitulé "Moi, candidat". En quelques soixante-pages et cinq articles rédigés pour la presse de son temps ou à l'occasion de conférences, l'auteur de "
Les aventures de Tom Sawyer" dresse un portrait du monde politique et des hommes qui le compose particulièrement haut en couleur.
Si le premier texte fait ainsi état des dispositions d'un candidat au rôle de président des USA en démontrant que plus pourri que lui c'est impossible et de promettre de demeurer une fois élu le fumier qu'il a toujours été (que dès lors, il sera donc fidèle à la parole donnée...), dans le second, c'est un supposé
Mark Twain dépité qui abandonne son idée de devenir sénateur pour le parti des indépendants, les journaux de bas étage lui ayant inventé une telle symphonie de casseroles qu'il préfère jeter l'éponge et laisser les deux partis "traditionnels" défendre leurs politiciens véreux. Un troisième nous présente le même Twain adjoint d'un sénateur - ce qu'il fut véritablement pour un court laps de temps - expliquer comment il se fit virer de ce poste, à son plus grand désarroi et pour avoir - trop - scrupuleusement suivi les recommandations de son patron par l'entremise d'un certain nombre de courriers rédigés en son nom. La lecture des fameux courriers est particulièrement désopilante, et la (fausse) candeur de Twain enfonce encore un peu plus le clou ! Un peu plus loin, un homme se plaint d'un certain fonctionnement de la parole politique -en ce qu'elle a tendance à vider le verbe de tout sens -, constatant à son désavantage que de tourner sa veste (une fois et même pour de dignes motifs) est affreusement mal vu tandis que de le faire une seconde fois dans le sens inverse est assez généralement plutôt bien pris. Comment une chose peut à la fois s'avérer bien et mal, c'est là ce que l'on peut légitimement se demander. L'ultime texte est une fausse oraison funèbre rédigée à l'occasion de la mort fictive d'un militant... Et ça déménage dans le domaine la dérision et de l'humour découpé à la hache !
On rit, on rit vraiment et sans complexe à la lecture de ces quelques pages. On se demande même pourquoi l'on ne ritaujourd'hui à ce point si peu du grand barnum médiatico-politique. Sans aucun doute nous prenons-nous tous - électeurs assidus ou seulement potentiels d'un côté, élus ou candidats de l'autre - bien trop au sérieux pour mériter un tel humoriste, une plume aussi alerte, extravagante et acerbe. Peut-être méritâmes nous jadis un
Voltaire ou un
Flaubert (méconnu dans ses hors-champs littéraires et c'est fort dommage) de ce calibre-là de verdeur et d'esprit, mais ce sont finalement des bêtes rares que ces écrivains vrais sachant suffisamment ne pas se prendre au sérieux en des domaines qui le sont habituellement tragiquement. Il semblerait que nos temps si consensuels et démoralisés par l'arbitraire du politiquement correct nous ait privé de tels auteurs...
Quoi qu'il en soit, ces textes d'apparence si légère le sont en réalité bien moins qu'il y parait et demeurent, un siècle et demi après leur création, d'une acuité féroce et juste, d'une bouffonnerie vivifiante, salvatrice que l'on peine à refermer sans en reprendre quelques lignes pour le simple plaisir de s'esclaffer encore un bon coup au dépend de ceux qui nous dirigent, avant de reprendre notre train-train quotidien !