Anna ne raffolait pas d’opéra chinois. Elle préférait Racine et Corneille. Elle rêvait parfois qu’elle était en France et devenait une grande actrice. Pas de cinéma comme Annabella, Huguette Duflot ou Jacqueline Delubac, même pas comme les belles Américaines Carole Lombard, Greta Garbo ou l’exotique Dorothy Lamour à laquelle ses soupirants prétendaient qu’elle ressemblait lorsque ses cheveux descendaient encore jusqu’à sa taille. Non, mais tragédienne, à la Comédie-Française, comme Madame Dussane ou Mesdemoiselles Georges et Clairon, les illustres interprètes de ce théâtre qu’elle admirait et dévorait.
Épouser un métis comme elle, modeste gratte-papier ou sous-officier de la coloniale, peut-être un douanier corse qui préférerait une épouse métisse à une concubine indigène ? Anna se révoltait tout entière à cette idée. Ses camarades de pension n’aspiraient qu’à ce destin médiocre. Pas elle. Fière, indépendante, elle ne se voyait pas l’épouse de tels hommes. Son avenir se résumait à travailler et gagner son indépendance. Le reste, le mariage, l’amour, les enfants, elle entrevoyait ces éventualités comme un paysage brumeux où tout perdait ses contours.
J’adore entendre parler de la France. Vous ne pouvez pas imaginer combien j’aimerais la connaître. Parfois la nuit, il m’arrivait lorsque j’étais petite, de rêver que j’y étais enfin. Je me réveillais et je pleurais sous ma moustiquaire en constatant que ce n’était qu’un rêve.
L’amour courtois inventé par les troubadours occitans, les Blancs l’avaient exporté à travers leurs livres et leurs films jusqu’à l’Asie où la femme, toute soumission, s’inclinait et acceptait le destin que lui traçaient ses parents.
Hors de prix ! J’en avais acheté cent grammes et la moitié était gâtée... des petites boules noires sans saveur ni odeur... Oh ! bien sûr, il y a parfois des cerises qui viennent du Japon, dans des emballages semblables à des boîtes de cigares ; chaque fruit est emmailloté dans du papier de soie comme des chocolats, mais elles n’ont pas davantage de goût.