La question qui obsède
Moses I. Finley est la suivante : « Nous autres, historiens, jouons-nous en fait un grand rôle ? »
Mais aussi, incluant l'interlocuteur du discours de l'historien, il demande : « Qu'est-ce que l'effet de l'étude de l'histoire ? […] Cui bono ? (à qui le profit ?) Qui écoute ? Pourquoi ? Pourquoi non ? »
C'est en se référant à l'étude de la Grèce antique qu'il parvient à se trouver des éléments de réponse. On observe par exemple que le thème de l'esclavage dans l'Antiquité n'a pas été abordé de la même façon en fonction des périodes et des situations politiques qui ont vu éclore les historiens qui se préoccupèrent de la question. Donc : « L'ardeur des débats [concernant un fait historique passé] ne peut s'expliquer que par les problèmes du présent, non par ceux du passé. »
Dans l'Antiquité grecque, on s'en foutait de l'histoire envisagée comme une enquête rationnelle. Les mythes et les légendes, transmis oralement, suffisaient à conférer aux hommes le sentiment d'une identité historique. « Aucun Grec, avant le cinquième siècle, ne tenta d'organiser quoi que ce soit pour son propre temps ou pour les générations antérieures, la matière essentielle de l'histoire. » Pourquoi pas de données ? Parce que le Grec de l'Antiquité s'en foutait de son passé. Et pourquoi ? Va savoir… S'ensuit une grosse étude sur la notion de liberté et de droits dans la Grèce antique, mais on ne sait jamais trop à quoi ça sert : est-ce que Finley cherche à découvrir ici l'origine du désintérêt des antiques à identifier une origine rationnelle de leur passé ?
Avec toutes ces conneries, Finley nous dresse une étude critique des théories des historiens marquants qui ont abordé l'Antiquité, mais aussi de
Max Weber, de Sombart, de Marx,
Aristote,
Platon,
Hérodote, Jefferson, etc. Il indique également que tout système historique est fondamentalement subjectif, même si certains veulent nous faire bouffer leurs vessies en nous les faisant passer pour des lampions de jour de fête : « le choix des événements qu'il faut organiser en une séquence temporelle, qu'il faut mettre en rapport les uns avec les autres, dépend inévitablement d'un jugement qui postule qu'ils ont par définition des rapports entre eux […] ; jugement, de surcroît, qui découle de la manière dont l'historien conçoit les relations existant entre ces événements qui forment le récit et des facteurs de longue durée qui, eux, ne sont pas directement des maillons de la chaîne évènementielle. »
En gros, l'écriture de l'histoire représente une forme d'idéologie, et c'est tout le mérite de Finley de le rappeler –sans y échapper.