Nathalie
Sorokine, la passion folle
Julie Duchatel
Alisio Histoire, 2023
Nous sommes en 1938 et
Simone de Beauvoir enseigne la philosophie au lycée
Molière, à Paris. Sa façon de vivre, très libre pour l'époque, suscite bien des rumeurs. Cependant, ses élèves l'adorent et s'agglutinent autour d'elle chaque fois qu'elles en ont l'occasion. Nathalie
Sorokine, fille d'émigrés russes, prend le contrepied de cette attitude et reste à l'écart du groupe en observant de loin avec un air hautain. Elle n'hésite pas à provoquer sa prof de philo pendant les cours en affichant des avis contradictoires. Son intelligence brillante et son caractère impossible finissent par attiser la curiosité de Simone qui la laisse l'accompagner chez elle après le lycée. Forte de ce succès, Nathalie ne cesse dès lors de revendiquer l'attention et l'amour de Simone qui a pourtant fort à faire entre son compagnon
Jean-Paul Sartre, son amant, ses amies de coeur et les livres qu'elle écrit.
Mais voilà que la réalité rattrape ces amoureuses de la philosophie tandis que les hommes sont enrôlés pour partir à la guerre. Simone a désormais plus de temps et Nathalie en profite pour s'imposer dans sa vie. D'autant plus que du côté de ses parents, ça ne va pas fort : l'affaire du père a périclité, il n'y a plus d'argent, le divorce menace et aucun des deux ne veut d'elle. Cela pousse Nathalie à rechercher la compagnie de Simone, à réclamer ses baisers, jusqu'à obtenir ce qu'elle voulait découvrir à tout prix : le plaisir, l'orgasme.
Chaque fois que
Jean-Paul Sartre a une permission, Nathalie est dévorée par la jalousie. Elle le hait et l'appelle le faux génie après avoir lu
La Nausée. Aux moments où Simone n'est plus disponible, Nathalie qui veut échapper à sa mère, femme étroite d'esprit, cherche des moyens de gagner de quoi vivre par elle-même, même si Beauvoir éblouie par son intelligence lui paie ses études de philosophie. C'est ainsi qu'elle se met à voler des vélos dans Paris et va les repeindre dans l'atelier d'
Alberto Giacometti, son nouvel ami, avant de les offrir ou de les revendre. Entretemps,
Sartre a été fait prisonnier puis a été libéré. Nathalie l'a enfin rencontré bien que Simone s'y oppose et revient sur son qualificatif de « faux » génie. de son côté,
Jean-Paul l'a baptisée Sarbakhâne car à leur première rencontre, elle avait prévu de le piquer jusqu'au sang avec une aiguille, s'il lui avait déplu. La difficulté de la guerre regroupe la résistance intellectuelle au café de Flore où se retrouve la « famille »
Sartre et ses amis. Mais lorsque Nathalie est exclue du groupe actif parce qu'elle prend trop de risques en distribuant des tracts, elle s'engage pour de vrai dans la Résistance.
Le
roman ne s'arrête pas là, bien entendu. Ce qu'il va advenir de tous ces personnages par la suite, l'Histoire le dira. Car se sont bien des « personnages » que l'on croise sans cesse au détour des pages de ce
roman, intellectuels ou artistes comme :
Georges Bataille,
Robert Desnos,
Léon-Paul Fargue,
Raymond Queneau,
Michel Leiris, André Derain,
Ossip Zadkine,
Pablo Picasso, Mouloudji…
Julie Duchatel, comme une journaliste d'investigation, a le mérite de s'être renseignée au plus près des sources pour nous raconter l'histoire au quotidien de ces futures célébrités et de leur entourage. Son style dépouillé et sans jugement ne laisse aucun répit, comme la guerre, comme Nathalie
Sorokine, personne inclassable, provocatrice, violemment passionnée, éprise de liberté qui restera cependant fidèle à
Simone de Beauvoir, femme exceptionnelle et son premier amour, pendant trente ans.
Je remercie Masse critique et les éditions Alisio de m'avoir envoyé ce
roman.