Pour certains, la paresse est une tendance contre laquelle il est difficile de lutter ; pour d'autres, elle est un fantasme qui n'appartient même pas à la réalité ; et pour une dernière catégorie de chanceux, elle est un état de l'être qui mérite d'être résolu par un digne moment de glandage intempestif. Là encore, la paresse reste entachée de préjugés peu laudatifs. Pas besoin de réfléchir bien longtemps pour comprendre les origines d'une si mauvaise réputation : il suffit de connaître un peu la moralité judéo-chrétienne pour associer la paresse au péché.
André Rauch, nous montrant toute l'ambivalence qu'il éprouve à l'égard de cette tendance, s'est cependant attelé à la rédaction d'une histoire de la paresse. Effectivement, on sent que ce professeur à l'université de Strasbourg, spécialiste d'histoire culturelle, s'est donné la peine de mener des recherches aboutissant à des analyses faisant se croiser littérature et peinture. Toutefois, sa paresse pointe parfois et s'il est naturel pour un ardent passionné de la flemme de se laisser aller à son penchant, le lecteur risque cependant d'être déçu par la rapidité des analyses effectuées. Une page consacrée à un auteur du 4e siècle et la page suivante nous présente déjà des textes du 15e siècle. Seul un paresseux pouvait s'autoriser une ellipse pareille. Les considérations suivantes sont intéressantes mais ne défrichent rien de neuf.
André Rauch nous rappelle que la paresse est condamnée par l'église catholique et nous en explique les raisons logiques. Heureusement, il nous surprend parfois par la citation de textes méconnus. Ainsi ce dicton du 14e siècle, qui vient nous redonner du baume au coeur au milieu d'une histoire de la paresse qui risquait de paraître austère : « Qui est conard & paresseux mourra chetif & mal-heureux».
Voilà qui est bien rigolé. Hop, on glisse ensuite de la religion à la morale comme si de rien n'était, l'explication suivante suffisant à expliquer pourquoi les siècles plus récents, malgré une revendication de plus en plus affirmée à se détacher de l'emprise religieuse, n'a pas réussi à faire disparaître l'idée que la paresse est un péché : « En somme, dans la vie contemplative, l'acédie était surtout amertume, tristesse, absence de concentration ; dans la vie laïque elle devient indolence, frivolité, inutilité, manque de sérieux et distraction. Voici le champ de la religion entr'ouvert à celui de la morale ».
André Rauch devient plus intéressant lorsqu'il ne se contente pas d'une relecture classique des textes et des peintures -ces analyses tournent souvent à la paraphrase ou à la description, ce qui ne manque pas d'intérêt pour les malvoyants. Quelques chapitres sont éclairants, ainsi celui expliquant le jugement de l'homme « moderne » sur les peuples colonisés. La partie consacrée à l'ambivalence de la paresse dans notre société et celle du siècle passé surprend aussi par une finesse d'analyse qui n'était pas présente dans les premiers chapitres, preuve peut-être qu'
André Rauch fait un meilleur sociologue qu'historien. A la pêche aux belles images, il n'est pas mauvais non plus et même si ses analyses picturales laissent à désirer, il faut lui reconnaître le mérite de ne s'être pas contenté de nous présenter des peintures classiques. Entre quelques Bosch, Dürer et Brueghel bien attendus, on découvrira par exemple Mantegna, Bartolomé Esteban Murillo ou Theodore Franken, moins courus et moins exhibés que les premiers. Ainsi,
André Rauch nous laisse une solution de repli : se calfeutrer dans les fins fonds d'un siège, mettre son cerveau au ralenti, et se contenter de tourner les pages pour admirer les images.
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