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EAN : 9782369427629
472 pages
Nouveau Monde (08/11/2018)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Générées par des appels lancés en 2015, ces « paroles » sont constituées de lettres, de journaux intimes, de témoignages de soldats, hommes et femmes, et de leurs proches. Elles racontent aussi bien leur quotidien, rythmé par l'adrénaline ou l’ennui, que leurs états d’âme, faits d’espoir et de craintes. Au fil des pages, des années et des conflits se dessine l’évolution de leurs motivations et de leur métier. À travers ces écrits d’une grande valeur documentaire et ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
14/18 ... 39/45 ces dates nous hantent encore par la barbarie qui a marqué et tué tant de gens. Ce sont la parole de ces inconnus ou non qui nous racontent ce que l'on sait déjà. Tant on a dit, vu, lu sur cette sombre époque qui a marqué notre monde, sans que cela n'évite que l'histoire se réécrit toujours dans l'horreur inimaginable mais bien réel.
Alors découvrons ces histoires venues d'Indochine, d'Algérie, du Tchad du Liban, de Bosnie, du Rwanda, de Sarajevo, d'Afghanistan, de Centrafique du Mali... Ils sont gradés ou non, ils sont casques bleus, ils sont enfants de..
Voici l'histoire, les histoires de soldats français qui nous racontent cette époque: leurs états-d'âmes, l'ennui et la peur, les regrets aussi et les horreurs commises.
450 pages lues dans le désordre. Des mots qui m'ont secoués bien évidemment. C'est la guerre qui est racontée et les horreurs ne sont pas cachées.
Voici des soldats hommes et femmes dont on a recueilli les témoignages, publiés leurs lettres. Après les appelés - et des engagés- des premières guerres -, il y a aussi les soldats de métier qui continuent à parcourir la planète et nous assènent des témoignages forts.
Je ne sais pourquoi je continue à lire ce genre de documents... J'ai souvent reposé ce livre, puis repris. Je me suis plus intéressée à certains conflits qu'à d'autres. J'ai lu toutes ces paroles et puis j'espère que ce XXI e siécle qui est à peine entamé saura se calmer mais j'en doute.
Tous ces morts, tous ces cadavres, toutes ces victimes, toute cette haine...et ce courage aussi.
Et puis un peu d'humanité malgré tout entre ces lignes.
Un livre qui ne peut que fortement secouer.

Merci à Babelio pour cet envoi masse critique et à nouveau monde éditions.



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Pour l'écriture de ce livre, « Paroles de nos soldats », Jean-Pierre GUENO,
qui se veut « passeur de mémoire », a, depuis Juin 2015, collecté des lettres, journaux intimes et témoignages de soldats des différents fronts de guerre de 1914 à nos jours.
Avant chaque tranche de vie, une introduction de Jean-Pierre GUENO retrace la genèse de cette correspondance et le parcours militaire de son auteur.

Sans filtre, chaque écrit recueilli de ces acteurs ou figurants de guerre, nous relate la réalité de leur vie, leurs motivations, leurs peurs, leurs doutes, leurs tourments, leurs pensées, leurs ressentis, leur espoirs ou leurs destins brisés.
Des écrits, comme « des bouteilles à la mer », pour ne pas sombrer dans la folie, pour surmonter et survivre à la pression et à l'horreur.
Des mots sur leurs émotions face à la mort.
(…) « Donner sa vie, prendre une vie, il s'agit toujours d'un sacrifice et d'une tragédie »(…)

Après avoir lu et refermé cet ouvrage d'échanges épistolaires, il m'est difficile de trouver les mots justes face à ces destins tragiques. J'ai ressenti beaucoup d'émotions et beaucoup d'incompréhensions quant à la barbarie déversée pendant ces différents temps guerre.
Ce livre est une transmission indispensable, une source précieuse de paroles pour ne pas dédaigner la mémoire de ces femmes et de ces hommes qui ont mis leur vie en danger pour le rétablissement de la Liberté.
N'oublions jamais….
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Ce livre est véritablement un trésor ! Certains témoignages sont saisissants d'émotion et de courage ! A noter que les récits sont classés par ordre chronologique.

Les deux premiers concernent Alain Fournier, auteur du Grand Meaulnes. Il devait épouser l'actrice Simone le Bargy au retour de la guerre 14-18 ; le mariage n'aura jamais lieu car Fournier décèdera en 1914. Sa fiancée, ne sachant pas le destin funeste continuera à lui écrire, son inquiétude grandissant au fil des lettres.

Les lettres de De Gaulle à ses fils (page 57 et suivantes) sont l'inverse de ce qui se passe dans cette France d'aujourd'hui où chaque samedi, Paris souffre de ces casseurs.
"De toutes les nations d'Europe et du monde, je crois sincèrement que la France offre le plus bel exemple d'unité que ni l'adversité ni les drames survenus depuis plus de deux mille ans ne sont venus entamer" (page 59).
"[le Français] se souvient qu'il est né français et que la France est une éternité. Alors il marche, lui et un, un et deux, deux et tous, parce que la France c'est un tout, c'est une transcendance, un être que nul ne voit, mais que chacun touche des yeux et du coeur" (page 60)

Le récit d'évasion du lieutenant André Devigny (page 89 et suivantes) est incroyable. Quel courage ! Quel sang-froid ! Il a préparé son évasion méticuleusement (trois mois de préparation). Il décide de s'évader quelques jours avant son exécution prévue. Il tuera un garde de ses propres mains pour pouvoir enfin devenir un homme libre.

Le témoignage de Marcelle Vour'ch Baldi (pages 122 et suivantes) est terrible ! Nous sommes en 1944 et sa famille et elle se cachent des allemands. Or, ils vont les retrouver et tuer certains membres sous les yeux de Marcelle. Oncles, tantes, cousine (de quatre ans), quelques-uns vont mourir. Horrible !

Le récit du Caporal Xavier Geoffroy (pages 278 et suivantes) met en avant son retour en France après deux mois passés au Rwanda. Il évoque son mutisme, sa fragilité, ses crises d'angoisse et ses cauchemars depuis qu'il est rentré. C'est un témoignage poignant !

Bref, ce livre regorge de témoignages captivants d'hommes et de femmes (une bonne centaine, voire plus !) qui se sont battus pour eux-mêmes, pour la France et pour la liberté. C'est un livre à mettre entre toutes les mains afin que chacun puisse se souvenir de ce qui s'est passé dans certains pays au cours du siècle dernier.
Lien : https://laplumeheureuse.word..
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
« Extrait de la lettre d’Antoine de Saint-Exupéry – Tunisie, Juin 1943 »
Aujourd’hui, je suis profondément triste. Je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine. Qui n’ayant connu que les bars, les mathématiques et les Bugatti comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd’hui plongée dans une action strictement grégaire qui n’a plus aucune couleur.
On ne sait pas le remarquer. Prenez le phénomène militaire d’il y a cent ans.
Considérez combien il intégrait d’efforts pour qu’il fût répondu à la vie spirituelle, poétique ou simplement humaine de l’homme. Aujourd’hui nous somme plus desséchés que des briques, nous sourions de ces niaiseries. Les costumes, les drapeaux, les chants, la musique, les victoires (il n’est pas de victoire rapide), tout lyrisme sonne ridicule et les hommes refusent d’être réveillés à une vie spirituelle quelconque. Ils font honnêtement une sorte de travail à la chaîne. Comme dite la jeunesse américaine, « nous acceptons honnêtement ce job ingrat » et la propagande dans le monde entier, se bat les flancs avec désespoir.
De la tragédie grecque, l’humanité, dans sa décadence, est tombée jusqu’au théâtre de M. LOUIS VERNEUIL (on ne peut guère aller plus loin). Siècle de publicité, du système BEDEAU, des régimes totalitaires et des armées sans clairons ni drapeaux, ni messes pour les morts. Je hais mon époque de toutes mes forces.
L’homme y meurt de soif.
Ah ! Général, il n’y a qu’un problème, un seul de part le monde. Rendre aux hommes une signification sprirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour. Rien qu’à entendre un chant villageois du XVème siècle, on mesure la pente descendue. Il ne reste rien que la voix du robot de la propagande (pardonnez-moi). Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot, se font robots.
Tous les craquements des trente dernières années n’ont que deux sources : les impasses du système économique du XIXème siècle et le désespoir spirituel. Pourquoi MERMOZ a-t-il suivi son grand dadais de colonel sinon par soif ? Pourquoi la RUSSIE ? Pourquoi l’ESPAGNE ?
Les hommes ont fait l’essai des valeurs cartésiennes hors des sciences de la nature, cela ne leur a guère réussi. Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit plus haute encore que la vie de l’intelligence, la seule qui satisfasse l’homme. Ça déborde le problème de la vie religieuse qui n’en est qu’une forme (bien que peut-être la vie de l’esprit conduise à l’autre nécessairement). Et la vie de l’esprit commence là où un être est conçu au-dessus des matériaux qui le composent. L’amour de la maison – cet amour inconnaissable aux ETATS-UNIS – est déjà de la vie de l’esprit.
Et la fête villageoise, et le culte des morts (je cite cela car il s’est tué depuis mon arrivée ici deux ou trois parachutistes, mais on les a escamotés : ils avaient fini de servir). Cela c’est de l’époque, non de l’AMERIQUE : l’homme n’a plus de sens.
Il faut absolument parler aux hommes.
A quoi servira de gagner la guerre si nous en avons pour cent ans de crise d’épilepsie révolutionnaire ? Quand la question allemande sera enfin réglée tous les problèmes véritables commenceront à se poser. Il est peu probable que la spéculation sur les stocks américains suffise au sortir de cette guerre à distraire, comme en 1919, l’humanité des ses soucis véritables. Faute d’un courant spirituel fort, il poussera, comme champignons, trente-six sectes qui se diviseront les unes les autres. Le marxisme lui-même, trop vieilli, se décomposera en une multitude de néo-marxismes contradictoires. On l’a bien observé en ESPAGNE. A moins qu’un César français ne nous installe dans un camp de concentration pour l’éternité.
Ah ! quel étrange soir, ce soir, quel étrange climat. Je vois de ma chambre s’allumer les fenêtres de ces bâtisses sans visages. J’entends les postes de radio divers débiter leur musique de mirliton à ces foules désœuvrées venues d’au-delà des mers et qui ne connaissent même pas la nostalgie.
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« Extrait du journal intime du Caporal-chef Jean-Marie Feneuil (Vannes, Portsall, Djedda, Mururoa, Nouméa, Bangui, Koweït, Caudan, 1978-1933 – 1993-2014»
Sur les armes :
Sans manquer de déplorer les maux que les armes traînent après elles, comment ne point saluer leur rôle prodigieux ? La destruction est leur œuvre. A leur bilan s’inscrit un total odieux de vies brisées, de biens disparus, d’Etats mis en poudre. On ne compterait point ce qu’elles ont gaspillé de travaux, éteint d’efforts, empêché de bien-être. Friches, incendies, famines, voilà leurs beaux résultats. Mais, à combien d’hommes leur protection permit-elle de naître, de vivre et de vivre ? Sans leur concours quelle tribu, quelle cité, quelle nation se fussent établies ? Que de moissons ont pu croître, d’artisans produire parce qu’elles les gardaient ! A quel progrès matériel n’ont-elles pas lié leur destin ? Comment mesurer ce que les richesses, les voies, les navires, les machines doivent aux désirs des conquérants ?
Les armes furent, de tout temps, les instruments de la barbarie. Elles ont assuré contre l’esprit le triomphe de la matière, et de la plus pesante. Constamment la raison en fut opprimée, le jugement bafoué, le talent meurtri. Point d’erreurs qu’elles n’aient défendues, point d’ignorants qui n’y recourussent, point de brutes qui ne les aient brandies. Cependant, les lumières qui en ont jailli éclairèrent bien souvent le domaine de l’intelligence. A leur appel, la science et l’art ont ouvert aux humains des sources merveilleuses de connaissance et d’inspiration. (…) Les armes remuent au fond des cœurs la fange des pires instincts.
Elles proclament le meurtre, nourrissent la haine, déchaînent la cupidité. Elles auront écrasé les faibles, exalté les indignes, soutenu la tyrannie. On doit à leur fureur aveugle l’avortement des meilleurs projets, l’échec des mouvements les plus généreux. Sans relâche, elles détruisent l’ordre, saccagent l’espérance, mettent les prophètes à mort. Pourtant, si Lucifer en a fait cet usage, on les a vues aux mains de l’Archange. De quelles vertus elles ont enrichi le capital moral des hommes ! Par leur fait, le courage, le dévouement, la grandeur d’âme atteignirent des sommets. Noblesse des pauvres, pardon des coupables, elles ont, du plus médiocre, tiré l’abnégation, donné l’honneur au gredin, la dignité à l’esclave. Portant les idées, traînant les réformes, frayant la voie aux religions, elles répandirent par l’univers tout ce qui l’a renouvelé, rendu meilleur ou consolé. Il n’y eut d’hellénisme, d’ordre romain, de chrétienté, de droits de l’homme, de civilisation moderne que par leur effort sanglant.
Les armes ont torturé mais aussi façonné le monde. Elles ont accompli le meilleur et le pire, enfanté l’infâme aussi bien que le plus grand, tout à tour rampé dans l’horreur ou rayonné dans la gloire. Honteuse et magnifique, leur histoire est celle des hommes. Elles sont générales, multiples, éternelles, comme la pensée et l’action (…) Il est bon que les peuples aient des remords, et si les hommes, dans leur ensemble, ne rêvaient que de se détruire, il y a beau temps que leur race aurait pris fin. (…) Une sorte d’équilibre de tendances est nécessaire dans l’Etat, et l’on doit secrètement approuver que les hommes qui le conduisent et ceux qui en manient la force éprouvent les uns pour les autres quelque éloignement.
Dans un pays où les militaires feraient la loi, on ne peut guère douter que les ressort du pouvoir, tendus à l’excès, finiraient par se briser ; au-dehors, les voisins coaliseraient leurs alarmes. D’autre part, il convient que la politique ne se mêle point à l’armée…
Encore faut-il que l’on puisse s’entendre. Politiques et soldats ont à collaborer.
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« Autre Extrait de la lettre d’Antoine de Saint-Exupéry – Tunisie, Juin 1943 »
Dans cette époque de divorce, on divorce avec la même facilité d’avec les choses.
Les frigidaires sont interchangeables. Et la maison aussi si elle n’est qu’un assemblage.
Et la femme. Et la religion. Et le parti. On ne peut même pas être infidèle : à quoi serait-on infidèle ? Loin d’où et infidèle à quoi ? Désert de l’homme.
Qu’ils sont donc sages et paisibles ces hommes en groupe. Moi je songe aux marins bretons d’autrefois, qui débarquaient, lâché sur une ville, à ces nœuds complexes d’appétits violents et de nostalgie intolérable qu’ont toujours constitués les mâles un peu trop sévèrement parqués. Il fallait toujours, pour les tenir, des gendarmes forts ou des principes forts ou des fois fortes. Mais aucun de ceux-là ne manquerait de respect à une gardeuse d’oies.
L’homme d’aujourd’hui on le fait tenir tranquille, selon le milieu, avec la belote ou le bridge. Nous sommes étonnement bien châtrés.
Ainsi sommes-nous libres. On nous a coupé les bras et les jambes, puis on nous a laissés libres de marcher. Mais je hais cette époque où l’homme devient, sous un totalitarisme universel, bétail doux, poli et tranquille. On nous fait prendre ça pour un progrès moral !
Ce que je hais dans le marxisme, c’est le totalitarisme à quoi il conduit. L’homme y est défini comme producteur et consommateur, le problème essentiel étant celui de la distribution.
Ce que je hais dans le nazisme, c’est le totalitarisme à quoi il prétend par son essence même. On fait défiler les ouvriers de la RUHR devant un VAN GOGH, un CEZANNE et un chromo. Ils votent naturellement pour le chromo. Voilà la vérité du peuple ! On boucle solidement dans un camp de concentration les candidats CEZANNE, les candidats VAN GOGH, tous les grands non-conformistes, et l’on alimente en chromos un bétail soumis. Mais où vont les ETATS-UNIS et où allons-nous, nous aussi, à cette époque de fonctionnariat universel ? L’homme robot, l’homme termite, l’homme oscillant du travail à la chaîne système Bedeau à la belote. L’homme châtré de tout son pouvoir créateur, et qui ne sait même plus, du fond de son village, créer une danse ni une chanson. L’homme que l’on alimente en culture de confection, en culture standard comme on alimente les bœufs en foin.
C’est cela l’homme d’aujourd’hui.
Et moi, je pense que, il n’y a pas trois cent ans, on pouvait écrire la PRINCESSE DE CLEVES ou s’enfermer dans un couvent pour la vie à cause d’un amour perdu, tant était brûlant l’amour. Aujourd’hui bien sûr les gens se suicident, mais la souffrance de ceux-là est de l’ordre d’une rage de dents intolérable. Ce n’a point à faire avec l’amour.
Certes, il est une première étape. Je ne puis supporter l’idée de verser des générations d’enfants français dans le ventre du moloch allemand. La substance même est menacée, mais, quand elle sera sauvée, alors se posera le problème fondamental qui est celui de notre temps. Qui est celui du sens de l’homme et auquel il n’est point opposé de réponse, et j’ai l’impression de marcher vers les temps les plus noirs du monde.
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« Antoine de Saint-Exupéry – 29 Mai 1944 -Extrait de Lettre à un Américain »
Amis d’AMERIQUE, je voudrais vous rendre pleinement justice. Un jour, peut-être, des litiges plus ou moins graves s’élèveront entre vous et nous. Toute nation est égoïste.
Toute nation considère son égoïsme comme sacré. Il se peut que le sentiment de votre puissance matérielle vous fasse prendre aujourd’hui ou demain des avantages qui nous paraîtront nous léser injustement. Il se peut que s’élèvent u jour, entre vous et nous, des discussions plus ou moins graves. Si la guerre est toujours gagnée par les croyants, les traités de paix quelquefois sont dictés par les hommes d’affaires. Eh bien, si même un jour je forme dans mon cœur quelques reproches contre les décisions de ceux-là, ces reproches ne me feront jamais oublier la noblesse des buts de guerre de votre peuple. Sur la qualité de votre substance profonde, je rendrai toujours le même témoignage. Ce n’est pas pour la poursuite d’intérêts matériels que les mères des ETATS-UNIS ont donné leur fils. Ce n’est pas pour la poursuite d’intérêts matériels que ces garçons ont accepté le risque de mort.
Je sais, et je dirai plus tard chez moi, en vue de quelle croisade spirituelle chacun de vous s’est donné à la guerre.
J’ai, parmi d’autres, deux souvenirs à verser comme preuves.
Voici la première.
Au cours de cette traversée en convoi, mêlé comme je l’étais à vos soldats, j’ai été nécessairement le spectateur de la propagande de guerre qui leur était destinée.
Or, toute propagande est un monstre amoral qui, pour être efficace, fait appel à n’importe quel sentiment noble, vulgaire ou bas. Si vos soldats étaient partis en guerre pour la seule défense des intérêts américains, la propagande eût avant tout insisté chaque jour sur vos puits de pétrole, vos plantations de caoutchouc, vos marchés commerciaux menacés.
Or c’est à peine si elle effleurait de tels sujets. S’il était parlé d’autre chose, c’est que les garçons de chez vous désiraient entendre autre chose. Et que leur disait-on qui pût motiver à leurs propres yeux le sacrifice de leur vie ? On leur parlait des otages pendus de POLOGNE. On leur parlait des otages fusillés de FRANCE. On leur racontait quelle nouvelle forme d’esclavage menaçait d’étouffer une partie de l’humanité. On leur parlait non d’eux-mêmes, mais des autres. On les faisait solidaires de tous les hommes de la terre. Les cinquante mille soldats de mon convoi partaient en guerre pour sauver, non le citoyen des ETATS-UNIS, mais L’HOMME lui-même, le respect de L’HOMME, la liberté de L’HOMME, la grandeur de L’HOMME. La noblesse de votre peuple imposait la même noblesse à la propagande. Si même un jour vos techniciens de la paix lèsent quelque chose de la FRANCE au nom de ces intérêts politiques et matériels, ils trahiront votre véritable visage. Comment oublierais-je pour quelle grande cause le peuple des ETATS-UNIS a combattu ?
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« Extrait de la lettre du Caporal Olivier Roblot – Afghanistan, 2011
Vous faites l’apprentissage de la peur. Un sentiment fort différent de l’appréhension. L’appréhension c’est l’esprit qui turbine à grande vitesse avant de sauter dans le vide.
Mais la peur, c’est une sorte de paralysie, de léthargie fulgurante. Quelques secondes de vide. Le blanc. Avant que la raison ne reprenne le dessus. Avec son cortège d’angoisses,
de haine, d’instinct de survie. La peur c’est l’état primitif. Vous pensez à votre mère.
Vous vous croyez sans défense. Vous regardez les yeux des autres ébahis de surprise, par la sidération. Vous vous croyez seul au monde pendant quelques secondes. Et puis vous vous en sortez. Vous redevenez soldat. Vous écoutez. Vous analysez. Vous trouvez le moyen de bouger pour vous protéger avant de riposter.
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Vidéo de Jean-Pierre Guéno
Ecrivain, historien, ancien élève de l'école normale supérieur, ancien directeur de la Culture des Musées des Lettres et Manuscrits de Paris et de Bruxelles, Jean-Pierre Guéno est un "passeur de mémoire" qui aime retrouver les manuscrits, les sources, et les partager.
Retrouvez ici sa présentation des correspondances de Guillaume Apollinaire pendant la Première Guerre Mondiale.
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