AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782707173881
248 pages
La Découverte (07/06/2012)
4/5   6 notes
Résumé :

Un matin de septembre 1920, à New York, un anarchiste italien du nom de Mario Buda, gare à l'angle de Wall Street un véhicule bourré d'explosifs : il a inventé la première voiture piégée. Cet événement fondateur est le point de départ d'un récit qui nous mène jusqu'à l'Irak contemporain, en passant par les attentats sionistes contre les Britanniques en Palestine en 1947, par les attenta... >Voir plus
Que lire après Petite histoire de la voiture piégéeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Dans son livre le plus personnel à ce jour, Dans la disruption, comment ne pas devenir fou ?, Bernard Stiegler fait une analogie entre deux formes de la barbarie : une barbarie « soft » qui est le fait des entrepreneurs et innovateurs et prenant la forme de la disruption et une barbarie « hard » qui est le fait de Daech. Dans un entretien lors de la promotion de son livre, il écrivait ainsi « Pendant la terrible année 2015, nous avons rencontré la barbarie de Daech [acronyme arabe de l'EI, ndlr]. A côté de cette barbarie horrifique, il existe une autre forme de barbarie, plus «soft», une barbarie technologique qui nourrit la barbarie terroriste. »* À la sortie du livre, cette analogie et d'autres propos avaient fait fortement réagir certaines personnes - notamment Nicolas Colin, directement visé par Stiegler et co-auteur avec Henri Verdier, de L'âge de la multitude: Entreprendre et gouverner après la révolution numérique, et Stéphane Vial, qui parlait de « la fin d'un philosophe ».

Les figures de l'entrepreneur et de l'innovateur sont souvent et particulièrement dans notre époque associées aux entrepreneurs des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), GAFAM (GAFA + Microsoft), BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ou NAITU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber), à des Xavier Niel en France, ou à d'autres entrepreneurs.

Ces figures d'entrepreneurs et d'innovateurs ne sont pas pour autant uniques : des entrepreneurs et innovateurs se trouvent ainsi dans d'autres domaines.

Dans Les entraîneurs révolutionnaires du football, quelques entraineurs de football - comme Cruyff et Guardiola - sont présentés comme des innovateurs. Dans l'introduction, les auteurs définissent le révolutionnaire de la façon suivante : « le révolutionnaire n'est pas forcément l'initiateur. Il n'est pas toujours « le premier ». Inventeur ou pas, il est celui qui a fait sienne une idée innovante ». Certes, les auteurs ne théorisent pas car le propos de leur livre n'est pas directement celui de l'innovation.

Dans Petite histoire de la voiture piégée , Mike Davis va encore plus loin en racontant l'histoire de la voiture piégée depuis le premier attentat de l'histoire - selon Davis, il s'agit de l'attentat commis par l'italien Mario Buda** contre Wall Street en 1920 - jusqu'à nos jours - le livre conduit jusqu'à l'Irak contemporain - du point de vue de l'histoire de la technologie et de l'innovation. Comme il l'écrit, « La voiture piégée, comme toutes les technologies gagnantes de la modernité, mérite donc sa propre historiographie, qui devra prêter une attention spécifique aux innovations techniques et tactiques ».

En moins de 250 pages, Mike Davis retrace les différentes innovations apportées par les différents groupes terroristes et également les services secrets des États - le terrorisme d'État (notamment d'Israël et des États-Unis) est traité - ayant eu recours à la voiture piégée, le « bombardier du pauvre ».

Cette technologie présente l'avantage - du point de vue de celui qui s'en sert - d'être une basse-technologie : elle est simple, économique et « populaire ». Dans un tableau édifiant de son livre, Davis récapitule ainsi toutes les innovations dans ce domaine singulier : elles portent sur la technologie elle-même - par exemple, « À la recette américaine et irlandaise - véhicule plus nitrate-fioul - venait désormais s'ajouter un ingrédient décisif propre à la cuisine libanaise: le kamikaze à la volonté implacable, capable de foncer à travers des postes de contrôle sous les yeux de gardes abasourdis et de transporter sa charge meurtrière jusqu'au seuil d'une ambassade ou d'une caserne » - ou sur ce qui entoure la technologie - par exemple, « Même si le conducteur anonyme du véhicule piégé qui avait détruit l'ambassade irakienne près d'un an auparavant pouvait en fait revendiquer le privilège d'être le premier, c'est Sheik Qassir qui est passé au panthéon de la culture moyen-orientale comme le Edison ou le Lindbergh de l'attaque suicide à la voiture piégée. Cette célébrité doit beaucoup à l'ingénieuse innovation publicitaire du Hezbollah, qui a entreprise de filmer en vidéo ces opérations » ; à noter la référence à Thomas Edison, industriel et inventeur productif.

Dans cette passionnante historiographie, Mike Davis mobilise le langage des « innovation studies » comme dans le passage suivante :

« Toute histoire d'une technologie donnée court le risque de l'autisme et de l'exagération. Il est trop facile de croire que le monde moderne n'est que l'addition de ses inventions et de leurs conséquences sociales automatiques: la machine à vapeur engendre le socialisme, les voyages en train le tourisme, la radio les dictateurs, les ordinateurs les "nerds", et ainsi de suite. Mais comme Marx nous avait prévenus il y a déjà longtemps, l'avenir d'une innovation dépend de l'existence de structures sociales (ou de "rapports de production") capables de développer son potentiel et de tirer profit de ses performances. Les Grecs d'Alexandrie, par exemple, s'amusaient avec des jouets propulsés à la vapeur, mais à une époque ou la main d'oeuvre servile était abondante, ils n'avaient nul besoin d'une technologie économisant le travail humain. de la même façon, la voiture piégée en tant qu'arme terroriste existait en puissance pratiquement plus d'une génération avant que le groupe Stern s'en serve pour semer la haine en Palestine; son évolution ultérieure pendant la guerre froide, tout comme l'essor du "terrorisme" en général, fut en partie freinée par l'autorité des superpuissances et leurs réseaux d'alliances. Mais, après Beyrouth et Kaboul, et entre autres grâce à Bill Casey et à ses collaborateurs pakistanais, elle a proliféré dans le monde entier comme une mauvaise herbe, prenant racine dans les milliers de fissures créées par les conflits ethniques et religieux que, paradoxalement, la mondialisation a mis au jour. Elle fleurit également dans les territoires sinistrés par une inégalité extrême, à la périphérie des villes pauvres, et même dans les recoins désespérés du Midle-West américain. »

Le livre de Davis est aussi efficace qu'un Shrapnel même si la lecture peut s'avérer parfois difficile : reprenant l'historique de la voiture piégée depuis Buda jusqu'à l'Irak contemporain en passant par les attentats sionistes contre les Britanniques en Palestine en 1947, ceux de l'IRA en Grande-Bretagne et ceux des Tigres tamouls au Sri Lanka, Davis entre dans le détail des groupes terroristes, de leurs ramifications, de leurs opérations, ...

Auteur de nombreux essais sur les villes contemporaines, Mike Davis analyse également les réponses des villes contres les voitures piégées en montrant que les réponses ne sont que rarement technologiques mais davantage sociales ou socio-économiques.

Depuis la publication du livre de Mike Davis, les terroristes sont passés à un autre paradigme technologique - encore plus de type basse-technologie que la voiture piégée - avec parfois les mêmes réponses inopérantes des États et des gouvernements.

Alors que Schumpeter en son temps conceptualisait le concept de la destruction créatrice, ici, avec les innovations de la voiture piégée, on a affaire à des créations destructrices.

* http://www.liberation.fr/debats/2016/07/01/bernard-stiegler-l-acceleration-de-l-innovation-court-circuite-tout-ce-qui-contribue-a-l-elaboration_1463430

** En écrivant cette chronique, le "Bomb the Stock Exchange" de Matt Elliot m'accompagnait :

"When you wake up with tears in your face
Can't make the voice go away
Can't take the pain, it's easier to go insane
Than to study yourself wane

When all of your memories are sad
Forgotten the dreams that you had
Friends are a lie, that don't care if you live or die
What to do but cry?

When you can't stand the light when you wake
You're reliving the same old mistake
Just to escape the fear, you get fucked on your choice of gear
It's the only choice round here

If you'll top yourself anyway
Why not bomb the stock exchange?"
Commenter  J’apprécie          140
Le XXeme siècle est marquée par l'invention de deux armes meurtrières qui ont "réinventé" la façon dont les hommes font la guerre depuis les débuts de l'humanité : l'arme atomique et la voiture piégée. Mike Davis s'intéresse à la seconde qui a suscité beaucoup moins de littérature. Est-ce la réponse du "pauvre" aux capacités de destruction massive des superpuissances, les rendant obsolètes ?

La première expérience de voiture piégée date de 1920, était anarchiste et fit une quarantaine de morts. Mais son vrai développement est postérieur à 1945. L'armée républicaine irlandaise, les combattants sionistes de Palestine, l'O.A.S. en Algérie en ont chacun à leur façon développer l'usage.

Dans cette histoire, se retrouvent tous les conflits et les guerres civiles qui ensanglantent le monde depuis cette époque du Liban à l'Afghanistan de l'Irlande au Sri Lanka. On y voit l'OLP comme l'ETA et le FNLC. Mais on y voit aussi les grandes puissances l'utiliser, la CIA au premier chef. Avant d'arriver au XXIe siècle et à la une de nos actualités récentes. La voiture piégée est une arme à la portée de tous, peut se faire à partir de fertilisants agricoles incontrôlables par les États. Elle peut viser n'importe quelle zone, rendant stériles et illusoires les mesures sécuritaires policières, militaires et technologiques qui ne parviennent qu'à contrôler des " zones vertes" de privilégiés comme à Bagdad, laissant en dehors, à la merci de la terreur des populations otages , accroissant le ressentiment.

Mais comment "faire pénétrer ce type de sens commun dans le crâne des politiciens et des fonctionnaires de police fascinés par l'idée qu'on puisse " vaincre les terroristes" à coups de surveillance panoptique, de détection ionique, de barrages routiers et, comme il se doit, de suspension permanente des libertés publiques" (page 239)

Alors que "deux hommes armés de simples pelles à charbon peuvent fabriquer des bombes de 500 kg dans une étable" (..)
"ce sont les esprits qu'il faut désarmer"
Pas sûre qu'on en prenne le chemin ... ni que cela soit si facile à obtenir.. on voit bien le chemin qui nous a conduit où nous en sommes et les erreurs commises ; le chemin de l'avenir est plus obscur.

Une lecture un peu effrayante.
Commenter  J’apprécie          00


critiques presse (1)
LeMonde
13 juin 2012
Le recours à cette machine infernale, raconté en 243 pages à lire d'une seule traite pour savourer l'unité du récit et mesurer l'évolution de la technologie, est devenu une véritable arme semi-stratégique pour les terroristes, mais aussi pour les services secrets des Etats.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Toute histoire d'une technologie donnée court le risque de l'autisme et de l’exagération. Il est trop facile de croire que le monde moderne n'est que l'addition de ses inventions et de leurs conséquences sociales automatiques: la machine à vapeur engendre le socialisme, les voyages en train le tourisme, la radio les dictateurs, les ordinateurs les "nerds", et ainsi de suite. Mais comme Marx nous avait prévenus il y a déjà longtemps, l'avenir d'une innovation dépend de l'existence de structures sociales (ou de "rapports de production") capables de développer son potentiel et de tirer profit de ses performances. Les Grecs d'Alexandrie, par exemple, s'amusaient avec des jouets propulsés à la vapeur, mais à une époque ou la main d’œuvre servile était abondante, ils n'avaient nul besoin d'une technologie économisant le travail humain. De la même façon, la voiture piégée en tant qu'arme terroriste existait en puissance pratiquement plus d'une génération avant que le groupe Stern s'en serve pour semer la haine en Palestine; son évolution ultérieure pendant la guerre froide, tout comme l'essor du "terrorisme" en général, fut en partie freinée par l'autorité des superpuissances et leurs réseaux d'alliances. Mais, après Beyrouth et Kaboul, et entre autres grâce à Bill Casey et à ses collaborateurs pakistanais, elle a proliféré dans le monde entier comme une mauvaise herbe, prenant racine dans les milliers de fissures créées par les conflits ethniques et religieux que, paradoxalement, la mondialisation a mis au jour. Elle fleurit également dans les territoires sinistrés par une inégalité extrême, à la périphérie des villes pauvres, et même dans les recoins désespérés du Midle-West américain.
Commenter  J’apprécie          70
Le résultat de ce processus, c'est l’irréversible mondialisation du savoir-faire en matière de voiture piégée. Tel un virus implacable, une fois que la technique des véhicules piégés pénètre l'ADN d'une société hôte et attise ses contradictions, son usage tend à se reproduire indéfiniment.
Commenter  J’apprécie          50
En ce début du nouveau millénaire, quatre-vingt cinq ans après le premier massacre de Wall Street, les voitures piégées sont devenues un phénomène mondial presque aussi banal que les i-Pods et le sida, semant la mort et la confusion de Bogota à Mumbaï et éloignant les touristes de certaines des destinations les plus courues de la planète.
Commenter  J’apprécie          40
De fait, l'attentat de Tyr et le mythe qu'il a suscité constituent probablement le saut qualitatif le plus important dans l'évolution de la voiture piégée vers le statut d'arme de destruction massive à vocation universelle. À la recette américaine et irlandaise - véhicule plus nitrate-fioul - venait désormais s'ajouter un ingrédient décisif propre à la cuisine libanaise: le kamikaze à la volonté implacable, capable de foncer à travers des postes de contrôle sous les yeux de gardes abasourdis et de transporter sa charge meurtrière jusqu'au seuil d'une ambassade ou d'une caserne.
Commenter  J’apprécie          10
Même si le conducteur anonyme du véhicule piégé qui avait détruit l'ambassade irakienne près d'un an auparavant pouvait en fait revendiquer le privilège d'être le premier, c'est Sheik Qassir qui est passé au panthéon de la culture moyen-orientale comme le Edison ou le Lindbergh de l'attaque suicide à la voiture piégée. Cette célébrité doit beaucoup à l'ingénieuse innovation publicitaire du Hezbollah, qui a entreprise de filmer en vidéo ces opérations.
Commenter  J’apprécie          10

Video de Mike Davis (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Mike Davis
Les cartes ont des partis pris, des biais. Tentatives de retranscription du monde, elles sont aussi des moyens d'imposer une vision du monde, des objets de combats politiques, de propagande. Mahmoud Abbas et Benjamin Netanyahu ne cessent d'en agiter en conférences de presse et jusqu'à l'Assemblée générale des Nations Unies.
Depuis quelques années, dans le sillon de la géographie radicale et de ses grands noms, David Harvey et Mike Davis notamment, une cartographie radicale se développe. Cette dernière assume : l'exercice de représentation du monde est forcément subjectif et fondamentalement politique.
Dessiner le monde, c'est se le figurer, le nommer, l'organiser. Les cartes deviennent dès lors des champs de bataille et des outils de propositions politiques. Des peuples indigènes contestent les cartes hégémoniques pour imposer leur récit sur les terres dont ils sont issus. Des groupes de citoyens, d'académiciens ou de militants se retrouvent autour de projets de carte pour donner de la force aux habitants en matière d'aménagement du territoire. D'autres encore cartographient l'absence des femmes dans l'espace public, la gentrification…
Nous en parlons avec Philippe Rekacewicz, géographe et cartographe, chercheur associé à l'université de Helsinki et Nephtys Zwer, historienne.
L'invité des Matins de France Culture. Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 23 Décembre 2021) Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
+ Lire la suite
Dans la catégorie : Violence, terrorismeVoir plus
>Processus sociaux>Conflits sociaux>Violence, terrorisme (24)
autres livres classés : Attentats à la bombeVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (30) Voir plus




{* *}