Question de philosophie : le Prix SNCF du polar européen est-il nécessairement un roman de gare ? Vous avez une heure ; ensuite, contrôle des billets !
Karen et Michel (surtout Karen), citadins fraîchement délocalisés à la campagne suite à un choix de vie quasi-révolutionnaire, traînent leur boboïtude désoeuvrée dans un village propret de la banlieue d'Amsterdam. Oh mijn God, comment Karen va-t-elle désormais occuper ses après-midis de désespérée housewife ? Va-t-elle réussir à se faire de nouvelles amies ? N'écoutant que son courage, elle se lie d'amitié avec une autochtone, Hanneke, qui est architecte d'intérieur (si Karen voulait rencontrer des paysans, découvrir le monde rural et la culture des tulipes, elle aurait dû s'installer un peu plus loin du côté de Haarlem, mais son ghetto va être différent). Hanneke connait quelques « nanas sympas » parmi ses anciennes clientes, et toutes deux décident de lancer le Club des dîneurs, où petits fours et ragots seront de rigueur. Grâce à Hanneke, Karen parvient à reconstituer un petit cercle d'amis, des couples avec enfants (purement décoratifs, les enfants). Tout le monde s'adore mais méfiance… ceci n'est peut-être qu'une façade.
Simon Vogel, l'un des membres du club, un grossier personnage imbu de sa personne, manipulateur et plein de pognon, se croit si irrésistible qu'il drague toutes les housewives passant à sa portée, et le pire, c'est que ça marche. La vie de Karen doit décidément être d'un ennui mortel pour tomber aussi facilement dans le panneau. Au Club des dîneurs, l'edam et le gouda s'étalent sur les canapés, et les dames et le goujat ne tardent pas à faire de même. Coincé entre les séances de tennis et les courses au supermarché, l'adultère devient un sport très prisé. On trompe à qui mieux-mieux mais méfiance… ceci n'est peut-être pas le parfait bonheur.
Pour se donner un peu de distraction, l'un d'entre eux met le feu à sa maison après une grosse déprime. Fini de rire, tout à coup. Ça ressemble plus à un geste suicidaire qu'à un bête accident. On pleure beaucoup, on déverse des torrents de larmes, suffisamment pour inonder les polders. Mais méfiance… ceci n'est peut-être qu'une comédie.
Une défenestration de meilleure amie plus tard, c'en est trop pour Karen qui devine enfin que tous ces événements ne peuvent survenir par hasard, et finit par suspecter quelques personnes de son entourage. Ses soupçons se confirment quand Dorien Jager, une femme flic qui commence à s'intéresser de près à ce petit groupe d'amis pas si innocents, lui propose un curieux marché.
L'intrigue policière étant plutôt classique, on retient surtout de ce roman une étonnante représentation de la classe moyenne supérieure des banlieues chics d'Amsterdam, des « nouveaux riches » qui pâtissent de quelques travers agaçants (légèreté des moeurs, culte de l'apparence, jalousie maladive, absence totale de clairvoyance, charisme d'huître…) pouvant nuire gravement à l'empathie du lecteur pour les personnages. Par manque de points de comparaison et n'étant ni spécialiste de littérature batave, ni familier des romans de
Saskia Noort, j'avoue mon impuissance à comprendre les intentions de l'auteur, qui brosse ici un portrait peu flatteur de ses contemporains, mais (peut-être) de façon involontaire, car elle n'est jamais franchement dans la dénonciation, ni dans la caricature.
Ce petit polar venu des Pays-Bas aurait sans doute pu tenir ses promesses grâce à son rythme assez soutenu, mais on s'accommode assez mal de la pirouette finale : un membre du club s'avère être un(e) psychopathe totalement barjot, la bave aux lèvres et les yeux révulsés. Et personne ne l'avait remarqué avant le dernier chapitre ! Franchement, quel manque de perspicacité ! Certes, Miss Marple ne fréquente que le Club du Mardi. Mais ce subterfuge pas très subtil destiné à endormir le lecteur souligne en fait un dénouement paresseux, un scénario sans mystères à découvrir et une absence de profondeur des personnages, tous fabriqués dans le même moule et finalement interchangeables.