Dans un siècle,
Le 14 Mai 2120,
Mon cher enfant,
Ton message m'a blessé, j'ai surtout mal pris que tu me qualifie de "sectaire" ; aussi voulais-je te rappeler d'où nous venons, quelle est notre tradition et d'où proviennent les valeurs que j'aimerais te voir, à ton tour, adopter.
C'était il y a presque un siècle, en 2020, que se produisit le grand Schisme. D'abord dans l'hémisphère nord puis dans l'hémisphère sud, l'humanité se sépara en deux voies. A cette époque, une maladie infectieuse apparue en Chine s'était propagée, et, faute de vaccins ou de traitement, les Etats n'eurent d'autre recours que d'imposer un confinement.
Les frontières furent fermées et la circulation des personnes interdite. Mais quand le pic de l'épidémie fut franchi et que la nécessité de cette mesure cessa, naquit un nouveau mouvement éthique spontané que personne n'avait vu venir.
Bien sûr la majorité du vulgum pecus s'empressa de recouvrer sa liberté. Mais un petit nombre d'humains choisirent de rester confiné. Certains purent négocier avec leur employeur de continuer à travailler à distance ; d'autres étaient free lance ou le devinrent.
Si le commerce mondialisé et les rivalités économiques reprirent leur cours, si les mégalopoles se remirent à trépider, quelques esprits indociles résolurent ainsi d'emprunter une autre trajectoire historique. On les compara aux moines renonçant en Europe, aux Mormons en Amérique du Nord, aux otakus au Japon. Ils prirent l'habitude d'assurer eux-mêmes l'éducation de leurs enfants et se tournèrent vers des activités intellectuelles - la lecture, l'écriture, la recherche scientifique, la composition musicale. Je ne crois pas exagérer de dire qu'ils devinrent la conscience du monde. Du reste, ils souhaitaient qu'on les appelle plus les "confinés"; c'est pourquoi nous nous désignons nous-mêmes comme "les citoyens du confins".
Nous sommes fiers de la manière dont s'organise les mariages dans notre communauté. S'il y eut de simples unions de voisinages lors des premières générations, il apparût assez vite que celles-ci n'étaient pas souhaitables. C'est pourquoi des sites spéciaux furent créés , afin que les jeunes citoyens et citoyennes des confins fassent connaissance, chastement et à distance. On ironise parfois ; il parait téméraire de promettre à un être qu'on a jamais tenu dans ses bras l'unité de lieu jusqu'à ce que la mort nous sépare. Cependant, nulle part ne se rencontre un sentiment de tendresse amoureuse et des liens de filiation aussi puissants qu'entre citoyens du confins, j'en suis sûr.
Maintenant tu as dépassé l'âge de la maturité immunitaire, mon cher enfant, tu es bien sûr libre de tes choix. Tu m'expliques que tu es sorti de chez toi, que tu t'es rendu dans un bar, que tu y as rencontré une belle habitante du siècle et que tu es tombé amoureux. Je suis content que tu mènes cette expérience. Mais j'espère que tu comprendra, la nature faible et passagères des satisfactions que te procurera le Dehors (sans compter que ton espérance de vie, si tu rejoins le Siècle, sera beaucoup plus brève), et que tu reviendra trouver ta place parmi nous.
Je serais toujours là pour t'accueillir.
Tendrement,
Ton Père
(Extrait d'un entretien avec Nicolas Grimaldi)
La tendresse, plus que l'amour, dites-vous?
Par son caractère univoque - un seul être me manque et tout est dépeuplé, et à l'émerveillement de la voir se mêle la crainte de la perdre -, tout amour véritable est angoissé. Tandis que la tendresse est le partage soucieux d'une condition commune. Le soucis que manifestent mes anciens élèves les uns pour les autres m'a fait pressentir que rien n'est plus précieux au fond de nous que la mutualité de nos émotions. C'est ce que je retrouve en écoutant une heure par jour les derniers quatuor à cordes de Haydn.
(Philosophie Magazine 139, Page 72).
"Dans la vie, tu fais face à une alternative angoissante ; ou bien tu jouis de l'instant, au risque de te perdre dans un plaisir d'esthète un peu vain ; ou bien tu fais un choix plus éthique, mais aussi plus pesant, en assumant toutes tes responsabilités"
(Grand résumé de "Ou bien ou bien ..." (1843) de Soren Kierkegaard par Philosophie Magazine 139, page 83).
"Être philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir assez la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d'indépendance, de magnanimité et de confiance"
(Citation de Henry David Thoreau (1817-1862) dans Philo Magazine 139 page 78).
Les souvenirs du passé nous appesantissent, les conceptions utopiques ou dystopiques du futur nous égarent ; seul l’événement présent nous rend libres.
De Descartes et sa fameuse cire, aux théories des prédicats du linguiste Gottlob Frege en passant par l'Abécédaire de Deleuze, la bédéaste Catherine Meurisse ballade ses crayons en terres philosophiques.
Né d'une collaboration avec Philosophie Magazine depuis 2017, ce recueil de planches est publié sous le titre "Humaine trop humaine" (Dragaud 2022). Contes philosophiques, bien au-delà de l'illustration d'obscures concepts, Catherine Meurisse explore avec finesse et humour les grandeurs et petitesses du panthéon des philosophes.
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