Il y a des romans qui, littéralement, mettent une claque dont on a du mal à se relever.
Pina, nouveau manifeste de
Titaua Peu, est de ceux-là. Sa plume exacerbée crisse à nouveau dans une encre des plus noires, incarnée par une protagoniste hors norme, tourmentée par la fatalité du destin, targuée des pires séquelles de la vie. Plongée en eaux troubles avec ce manifeste noir de rage au contenu pourtant universel, bien qu'à la rédemption pour le moins… incertaine.
Véritable « femme engagée, femme enragée »,
Titaua Peu a été piquée par le besoin d'écrire dès l'adolescence. Elle découvre tant de combats relatés dans les livres. Combats qui, pour être ceux de son peuple, deviennent siens. Elle y trouve l'inspiration et la force de mener à bien ses propres batailles une fois de retour au fenua. Chose promise, chose due :
Titaua Peu ne pourra que prendre la plume pour agir et dénoncer les maux dont souffrent en silence trop d'oubliés pour tenter de les diagnostiquer par les mots. Un exercice tout aussi hasardeux que douloureux et pourtant, libérateur.
Alors que Mutismes dressait un « état des lieux des non-dits,
Pina prolonge le no man's land où se côtoient le désert humain et la mort, troublée uniquement par le cours d'une rivière ». Une écriture poignante où tout le monde en prend pour son grade, malgré le désir d'humanité qui transpire entre les lignes.
C'est à Pirae dans le quartier de Tenaho que le récit prend forme. Un quartier discret, presqu'oublié, réceptacle de quatre générations d'une tranche de la population quasiment absente des écrans de contrôle. Sauf lorsque la rivière s'emporte et emporte tout sur son passage. Comme ce fût le cas plus tôt cette année lors des crues sauvages qui ravagèrent ce quartier. Un ravage de plus…
Pina, c'est avant tout l'histoire d'une myriade de femmes, « de la pute à la sainte », précise l'auteur. Normal dans une société polynésienne a priori matriarcale, où les femmes ont toujours assumé une place prépondérante dans la société, certes, mais où l'homme reste le maître à bord. Dans
Pina, il y a bien quelques hommes, réduits aux rôles ingrats (le macho violent, l'époux maltraitant, l'amant hors d'atteinte) et relayés au second plan. Néanmoins,
Titaua Peu met des mots pour la première fois sur deux interdits majeurs : la masturbation infantile et l'homosexualité. Un tour de force volontairement déterminé.
Pina, une Cosette polynésienne ? « Non, définitivement non ! » lance
Titaua Peu, visiblement amusée par la comparaison. « Car
Pina, elle se révolte, elle n'accepte pas sa condition ! C'est autant le porte-voix qu'un souffre-douleur d'une génération passée sous silence. » Inspirée par les protagonistes féminins de
Toni Morrison, bercée par les paroles envoutantes et les mélodies mélancoliques de
Billie Holiday, c'est ainsi qu'est née
Pina. À cela s'ajoute l'expérience vécue par l'auteur dans le quartier familial de Tenaho. le tout saupoudré d'un fait divers inédit sur fond d'extrême cruauté et de misère sociale : voici les ingrédients d'un récit résolument obscur, aussi violent et dérangeant que ne l'est la réalité, souvent occultée, toujours relativisée.