Une île-prison au large d'une autre grande île. Une tempête et un fort coup de mistral. Plus personne n'aborde, plus personne ne repart.
Non, ce n'est pas Shutter Island. Ce n'est pas Suskwann Island non plus.
C'est une île italienne sans nom, transformée, pendant les années de plomb, en quartier de haute sécurité pour y enfermer les multi-récidivsites, les gros maffieux et les terroristes noirs et rouges de ces sombres années-là.
Évitant l'écueil de son premier roman, "
Eva dort", qui se transformait en dépliant touristique du Haut-Adige, puis de toute l'Italie vue du train,
Francesca Melandri gomme, dans ce deuxième roman bien plus réussi, toute notation géographique trop précise, toute référence historique trop nette. Si on connaît un peu l'Italie, on reconnaît la grande île: la Sardaigne, et on trouve vite la petite, l' île-prison des années 70 : Asinara. Et on y sent la marque douloureuse de la mort d'
Aldo Moro. Mais l'histoire ou la géographie ne sont pas le sujet.
Un cadre à la fois flou et resserré. Une période violente et traumatisante. C'est tout.
Le lieu et le moment d'une brève rencontre intense et déterminante entre un homme et une femme. Paolo et Luisa.
Non, non, pas chabada bada..pas chabada bada du tout. L'amour n'est pas non plus le sujet. C'est beaucoup plus fort et beaucoup plus profond que cela. Même si malheureusement la fin du livre, hélas, cède à la facilité habituelle de donner la trajectoire sentimentale de chaque personnage.
Une rencontre et un échange, donc.
Un homme, un veuf, un intellectuel, qui est le père d'un terroriste rouge aux mains pleines de sang, et une femme, une fermière, mère de six enfants, toute simple, femme maltraitée et brutalisée par un mari ultra-violent qui est lui aussi sous les verrous pour longtemps. Lui cherche dans l'éducation qu'il a donnée à son fils ce qui a fait de celui-ci un meurtrier sans conscience. Elle cache son soulagement d'être protégée de ce mari brutal par les barreaux d'une prison.
Tous deux sont en visite. Tous deux sont immobilisés par la tempête, 24 heures, sur l'île. Avec eux, pour les surveiller, Nitti, un jeune maton dont la femme est institutrice des enfants du personnel pénitentiaire et qui ne supporte plus ce que son travail est en train de faire de lui, insidieusement.
Je n'en dis pas plus: de magnifiques paysages marins, des personnages très réussis, peu nombreux, humains et vrais, et un questionnement tellement juste sur la violence- celle des maris brutaux, celle des idéologues enfermés dans leur système de pensée, celle de certaines professions qui à force de côtoyer la violence tous les jours dérivent dangereusement vers elle.
Sur ces maux du siècle,
Francesca Melandri tente de mettre des mots, mais elle dit aussi que parfois les mots, sans la réalité qu'ils évoquent, deviennent une espèce de novlangue pire encore.
Un beau récit, philosophique et simplement humain, vibrant d'empathie, qui aurait dû s'arrêter- c'était parfait- quand repart le ferry.
Un prix Strega mérité!