Personne de moins de dix-huit ans n’a plus eu le droit de sortir de chez soi sans un adulte auquel se rattacher. Autant dire qu’ils ont été confinés à domicile pour le restant de leur jeunesse. La peur régnant, tout enfant seul était emmené chez ses parents par une escorte lourdement armée, et ceux-ci risquaient de grosses amendes. La peur régnant, tout adulte seul et non-armé à proximité d'un enfant était mal vu. Ou pire : dénoncé. Ou pire : frappé. Avant même de savoir s’il partageait du sang avec ledit enfant. L’espace public était infernal. Tout le monde voulait protéger, personne ne savait contre qui. Il semblait que les passants cherchaient à percevoir des fantômes ou des ombres.
Je ne pensais pas ressentir un jour cette impression de vide. Au fil de mes enquêtes, j'ai pu apprendre à ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas vomir, ne pas perdre l'esprit, ne pas perdre les pédales. Mais rien ne m'avait préparé à ça.
« Quand vous courez, et que vous vous sentez au bout de vos forces, vous voulez abandonner. Chaque seconde qui passe est une seconde où l'on pose des arguments en faveur de l'abandon dans la balance de la persévérance. Déjà à notre époque, l'humain était conditionné au plaisir. Rien ne pouvait l'aider à supporter la douleur. Le seul argument qui puisse faire basculer ce débat interne, c'est la prochaine borne kilométrique. Spécialement celle qui annonce le dernier kilomètre. Alors, quand on la dépasse, on use ses dernières forces. Quitte à défaillir. »
Une fois de plus, je ne faisais pas le poids devant les gars du village. Je croyais qu'elle m'aimait un peu, elle m'avait juste utilisé comme un jouet pour rendre fou de jalousie un de ses prétendants de toujours, l’aîné du domaine voisin. C'est ainsi que je suis parti le plus loin possible, que je me suis fondu dans la masse des mecs qui prennent le métro le matin, pour ne plus jamais croiser la fille qui m'avait ouvert le cœur.
Tout au long du parcours, il y a ces bornes kilométriques qui aident les participants à se repérer. Je n'ai jamais trouvé meilleur comparaison entre les sentiments qui m'ont envahie après l'événement, et cet espoir qui vous habite pendant l'attente entre deux bornes.
On cache tant bien que mal ce qui est aux yeux de tous. On ment officiellement par voie de presse. On cherche à rassurer.
Librinova en 1 mot avec Charlotte Allibert et Laure Prételat