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EAN : 9782072798054
640 pages
Gallimard (16/05/2019)
3.83/5   24 notes
Résumé :
« Me voilà, sans mes tours de passe-passe, à nu et sans aucun de ces masques qui m’ont donné toute la liberté d’imaginer dont j’avais besoin pour écrire des romans.»

Cette compilation d’essais et d’entretiens a été conçue par Philip Roth comme le chapitre final de son œuvre, celui où le romancier, qui avait publiquement annoncé la fin de sa carrière littéraire, contemple le fruit d’une vie d’écriture et se prépare au jugement dernier. Il y dévoile le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
" Pourquoi écrire ? "
Voila une question qu'au moins une fois un écrivain c'est vu poser.
Il y a 1 an Philip Roth nous quittait. Ce livre " Pourquoi écrire ?" reprend ses textes, ses interviews et ses rencontres.
Philip Roth est à mes yeux un écrivain majeur de la littérature américaine.
Dans ce livre on découvre la genèse de son oeuvre comme " Goodbye, Columbus" ou " Portnoy et son complexe". Ses débuts difficiles avec la communauté juive qui le traite d'antisémite. " Juif de Newark -Pourquoi pas
mais juif américain ? américain juif ?"
Il était avant tout américain; " Je me considère depuis toujours comme un américain libre."
Quand Philip Roth nous parle de littérature et nous fait découvrir Saul Bellow ou Bernard Malamud eux aussi partis intégrantes des lettres américaines, peut-on parler de l'école juive comme c'est le cas pour l'école du Montana ?
Pour finir découvrons ses rencontres: Milan Kundera, Edna O' Brian, Primo Levi, n'hésitant pas à franchir le rideau de fer pour rencontrer des auteurs dissidents tchèques et polonais.
Pour celles et ceux qui auraient envie de découvrir Philip Roth commencer donc par ses romans comme " La tache" ou " Complot contre l'Amérique" ou encore "Pastorale américaine".
Dans "Pourquoi écrire ?" Philip Roth dévoile un peu l'intrigue de certain de ses romans, à ne lire que si vous avez envie de connaitre l'homme érudit qu'il était.
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Pourquoi lire Pourquoi Ecrire ? Pour quatre raisons principales.
La première, pour prolonger encore un peu la fréquentation de ce grand écrivain et passer quelques heures en sa compagnie en balayant une oeuvre de cinquante-sept ans dans une vie de quatre-vingt cinq, de 1933 (il rappelle que c'est l'année de l'arrivée au pouvoir d'Hitler) à 2018.
La seconde pour lire son admiration pour Kafka, l'influence de celui-ci sur son oeuvre et les commentaires tirés de ses cours et de son essai Regards sur Kafka.
La troisième, pour l'écouter s'expliquer sur certains de ses livres les plus emblématiques, Portnoy et son Complexe, tout d'abord. Occasion, pour lui, de réfuter l'accusation d'avoir ainsi attisé l'antisémitisme. Ce reproche semble lui avoir été d'autant pénible qu'il l'estimait injuste et qu'il provenait, pour l'essentiel, de la communauté à laquelle il appartenait.
Les lecteurs de Portnoy et son Complexe y glaneront de précieuses et enrichissantes précisions sur les intentions de l'auteur et la genèse du roman. Les lecteurs de Pastorale Américaine découvriront si oui ou non « le Suédois » a vraiment été inspiré par un de ses condisciples de Wheequahic, ceux de la Tache sauront qui a réellement inspiré le personnage principal et ceux du Complot contre l'Amérique saisiront le pourquoi du choix de Lindbergh pour cette uchronie. Quelques critiques et quelques articles de Wikipedia seront légèrement égratignés.
La quatrième raison concerne les entretiens qu'il a eus dans la seconde moitié du vingtième siècle avec des écrivains du calibre de Primo Levi, Isaac B. Singer, Kundera, S. Bellow ou certains autres qui m'étaient inconnus comme Appelfeld, Klima, O'Brien ou Malamud et que ces entretiens donnent envie de découvrir.
De Kundera, « le romancier apprend au lecteur à appréhender le monde comme question. Il y a de la sagesse et de la tolérance dans cette attitude. Dans un monde construit sur des certitudes sacro-saintes, le roman est mort. le monde totalitaire, qu'il ait pour base Marx ou l'islam, est un monde de réponses plutôt que de questions. le roman n'y a pas sa place. En tout cas, il me semble qu'à travers le monde les gens préfèrent aujourd'hui juger plutôt que comprendre, répondre plutôt que demander, si bien que la voix du roman peine à se faire entendre dans le fracas imbécile des certitudes humaines. »
De Klima, « A la question : « Pourquoi Kafka a-t-il été interdit par les régimes communistes ? » le héros de mon roman Amour et ordures répond en une phrase : « le trait le plus saillant de la personnalité de Kafka, c'est son honnêteté. » Un régime fondé sur la tromperie, qui demande aux gens de faire semblant, qui exige leur aval de pure forme sans se soucier de leur intime conviction, un régime qui a peur de tous ceux qui s'interrogent sur le sens de son action, ne peut pas permettre à un auteur dont la véracité atteignait un absolu aussi fascinant, voire terrifiant, de s'adresser au peuple. »
Ajoutons qu'au fil de cet ouvrage, on découvre aussi le regard qu'il porte sur son oeuvre et son métier, la différence qu'il établit entre être politisé, ce qu'il était, et faire de la politique avec ses romans, ce qu'il n'a jamais voulu faire ; son souhait d'être considéré non pas comme un écrivain juif américain mais comme un écrivain américain et son regard acerbe sur la culture américaine et les lecteurs dont il déplore le nombre décroissant … « Je doute que la capacité d'appréciation de l'esthétique littéraire… ait beaucoup d'avenir dans ce pays. Dans deux décennies, le nombre de lecteurs amateurs capables de prendre plaisir à lire avec discernement des oeuvres littéraires sera égal au nombre de ceux qui lisent aujourd'hui de la poésie écrite en latin. »… ainsi que de nombreuses anecdotes ou révélations comme celle concernant Eric Duncan, cet auteur qu'il a bien connu et dont la carrière ne fut pas ce qu'elle aurait pu être. On ressort de cette lecture avec l'impression de connaître un peu mieux Philip Roth et l'envie de lire ceux de ses romans qui nous sont encore étrangers. Même s'il la joue modeste en reprenant à son compte une des rares déclarations du modeste d'entre les modestes qu'était le champion de boxe Joe Louis « J'ai fait de mon mieux avec ce qui m'était donné », on referme ce dernier livre avec la pensée réconfortante qu'à travers ses quarante-quatre livres il a conquis une étincelle d'éternité.
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Admirative de Roth, j'ai acheté ce livre en toute confiance puis ai rapidement eu quelques craintes en entamant la lecture. La toute première partie est assez décevante, un peu comme « Écriture » de King, et j'ai craint que tout le livre soit ainsi : une sorte de vague et long monologue, très superflu sur l'écriture et qui finalement survole l'essentiel, en dit peu sur le travail d'écrivain et sur les façons d'effort ou de procéder pour améliorer un style et travailler une intrigue de manière professionnelle et qui ne relève que de l'anecdotique, au fond. Dans cette sorte d'exercice, seul Steinbeck s'était distingué à mes yeux avec ce superbe livre « le journal des raisins de la colère ». Titre pourtant moins racoleur, plus humble et cependant on en apprend étrangement plus sur le travail quotidien d'un écrivain que dans un livre dont c'est visiblement le but.
Philip Roth explore dans cette première partie les raisons pour lesquelles il est devenu écrivain et la signification de l'acte d'écrire en général. Selon Roth, écrire est essentiel pour comprendre la vie, pour donner un sens aux expériences que nous vivons et pour communiquer avec les autres. Un individu complet et entier vivrait deux fois : une fois réellement et puis une autre en écrivant, comme un moyen de transcender ses expériences et de créer quelque chose d'éternel à partir d'une vie de mortel. Voilà qui est intéressant et probablement juste, si tant est que l'individu tire profit utilement de ce qu'il vit et ne se contente pas de rapporter des platitudes. L'écriture fut aussi un moyen pour lui de se confronter à l'absurdité de l'existence et de tenter de trouver un sens au monde. Roth insiste également sur l'importance de l'écriture pour la société tout entière, affirmant que l'écrivain a un rôle à jouer dans la préservation des libertés notamment. L'écrivain doit avoir le courage de dire la vérité, de remettre en question les normes et les croyances établies, ce qui me convient assez.
L'auteur mentionne également dans cette première partie les façons d'hostilité de beaucoup de juifs américains à son égard et refuse d'être un écrivain « juif américain ». À juste titre, car jamais on ne désigne l'un de ses homologues comme « écrivain protestant américain » à moins qu'il s'agisse d'un prédicateur. Les juifs lui ont souvent reproché que ses personnages adultérins ou hypocrites fussent juifs, ce qui aurait eu pour conséquence de donner une mauvaise image des juifs américains. Il leur répond que jamais un protestant n'a envoyé de lettres de reproches à un auteur américain parce qu'un personnage fictif protestant trompait son épouse dans une fiction, et que les tensions et contradictions des juifs venaient surtout d'une lutte interne entre l'assimilation et la préservation de leur culture juive.
Roth évoque dans cette première partie sa soudaine célébrité, qui fut d'abord une sorte d'agression pour lui au point qu'il dut se « retrancher » à la campagne le temps que l'un de ses romans cesse de susciter une polémique. C'est évidemment de sexualité qu'il était question et plus précisément de la manière dont elle est utilisée comme moyen de pouvoir et de manipulation, ce qui lui valut d'être affublé d'obsédé sexuel et autres noms charmants. Voilà qui l'aura guéri de la célébrité dès le démarrage.
La deuxième partie de ce livre est un recueil d'interviews que Roth a lui-même données à d'autres écrivains. Pourquoi ne pas se contenter d'un seul avis, et du sien, de sa pensée propre lorsque l'on rédige un livre sur l'écriture, et au surplus quand on s'appelle Roth ? Ce n'est peut-être pas si humble de « donner la parole » à ses confrères. Premièrement, il dresse ainsi intelligemment et adroitement une liste exhaustive d'auteurs vivants qu'il admire et respecte assez pour se déplacer et les interviewer, une sorte d'annuaire du bon goût en somme sans cependant l'afficher en l'état. Ensuite, il montre qu'il sait interroger et poser les bonnes questions, contrairement aux journalistes qui, dit-il, lui posent toujours les mêmes et le confondent bêtement avec ses personnages. C'est une leçon, un exemple de ce qu'il aurait été en droit d'attendre d'un journaliste. Roth interview très bien, à la façon d'un connaisseur, d'un excellent lecteur. D'un écrivain en somme. Il sait de quoi il parle quand il pose une question précise à Kundera : il l'a lu et l'a sans doute critiqué avec sérieux. On n'est pas dans l'entretien bête et calibré d'un journaliste qui veut seulement faire parler un auteur. Aussi je pense qu'il faut être soi-même (bon) écrivain pour interviewer un écrivain, que chaque journaliste devrait non seulement avoir beaucoup lu mais s'être également essayé à l'écriture avant de s'aventurer à interroger un professionnel en tout amateurisme.
La troisième partie est un retour, comme dans la première partie, de son analyse sur son propre travail. Il décrit les difficultés qu'il rencontre lorsqu'il essaie de communiquer ses idées par l'écriture. Mais sur les romans de la deuxième moitié de sa vie cette fois. Roth a mûri. Il prend le temps d'expliquer plusieurs de ses romans majeurs, et notamment son « Complot contre l'Amérique », qui est un roman admirable : une uchronie « réaliste ». Il explique précisément (enfin !) comment il a imaginé une réalité américaine crédible, rendu une grande authenticité à l'atmosphère de l'époque ainsi qu'un portrait très fidèle de ses parents tels qu'ils étaient à l'époque. Un rude travail de trois années. Ainsi cette uchronie n'est en réalité pas qu'une fiction, en ce que les Américains sont décrits tels qu'ils sont et que la famille de Roth y est aussi réelle que dans une biographie. Il dit aussi les tentatives échouées, les impasses dans lesquelles il s'est senti piégé par son propre roman. Voilà un travail presque scientifique, fait d'essais et d'expériences échouées, de recommencement et de tâtonnements jusqu'à trouver la parfaite justesse et la vérité. (Roth tient a préciser qu'il a « seulement » voulu reconstruire les années 1940-42 telles qu'elles auraient pu se dérouler si les républicains avaient choisi Lindbergh à la place de Willkie, et si Lindbergh avait été élu en 1940, mais de manière vraisemblable. Il n'y voulait absolument aucune métaphore ou allégorie d'un présent ou d'un futur : l'écrivain rappelle à demi mot que les analyses faites sur des romans sont erronées, en ce qu'on prête de fausses intentions à l'auteur et que l'on spécule sur des interprétations et doubles sens tout à fait alambiqués. ) Son effort d'imagination, ou, plus juste, de reconstruction historique, n'était pas tourné vers un désir d'éclairer un présent ou de jouer dans le métaphorique. Roth explique que quantité de romans en arrivent ainsi à être canonisés et élevés au rang d'oeuvre d'art non pour leur valeur artistique et littéraire mais à cause de leur utilité en tant que propagande et de leur valeur aux yeux d'une cause politique, ce qu'il déplore.
Par ailleurs, pour cette reconstruction, et c'est interessant, l'auteur explique comment il a fallu qu'il soit convaincu lui-même de la vraisemblance de chaque événement qu'il imagine. Il ne suffit pas de vouloir convaincre un lecteur, il faut, en écrivain, être parfaitement convaincu du réalisme de son travail. Voilà comment, selon lui, on écrit juste et avec cette illusion de réel : il faut qu'à aucun moment l'auteur n'ait l'impression de tricher, ou que jamais un seul de ses personnages se comporte de manière tout à fait imprévisible ou choquante, qu'aucune phrase ne lui fasse l'effet d'une affabulation irréfléchie ou inconsidérée. le tout crée alors une forte impression de réalité. Voilà là le travail de l'écrivain. Pour terminer avec ce roman, Roth semble tout de même remettre en garde son lecteur sur la question de l'histoire, qui paraît inoffensive en ce qu'elle devient une matière scolaire comme une autre, lointaine, irrémédiable à l'époque sans doute, implacable autant que terminée. Il rappelle que rien n'est imprévisible, que chacun peut analyser son époque et prévoir les conséquences à court et long terme de chaque événement présent. Sans être alarmiste, il invite chacun à ne pas subir une suite d'événements isolés et à les regarder bêtement avec une impuissance feinte pour déclarer ensuite que l'embuscade finale et la terrible conséquence étaient tout à fait imprévisibles.
À la presque fin, Roth aborde enfin l'écriture de son roman « La tâche », qui lui a été inspiré d'un événement réel. L'un de ses collègues, professeur de sociologie, a vraiment demandé à ses étudiants si les deux éternels absents étaient des « fantômes », après quoi il fut convoqué par la direction de l'université. Heureusement l'histoire se termine là pour l'enseignant après qu'il ait dû prouver sa bonne foi : fort heureusement pour lui, le sociologue était spécialiste des relations interraciales non seulement, mais aussi né de deux parents noirs. Voici environ le même procédé que pour le « complot contre l'Amerique » : partir d'un événement et puis imaginer scrupuleusement ce qui aurait pu en découler en d'autres circonstances (en remplaçant le professeur de sociologie de gauche par un professeur de littérature soucieux de cacher ses origines ). Coleman Silk est ainsi né. le reste est un travail, une quête de réalisme et de suites logique, un labeur autant psychologique que littéraire. Voilà comment Roth écrit : il s'efforce de rendre chaque événement crédible, lui donne une vraisemblance précise.
« Pourquoi Écrire » est également un livre plein d'humour fin. Roth explique qu'il a écrit à Wikipedia pour démentir certaines informations à son sujet et qu'on lui a répondu qu'il manquait de « sources » pour que l'on réponde favorablement à sa requête. Voilà comment il fut considéré par Wikipedia « pas le mieux placé » pour corriger sa propre biographie. Il le dit sans ressentiment, avec humour et moquerie, soulignant l'absurdité de la situation mais s'en amusant, comme s'il racontait une anecdote de moindre importance. Roth rit et raconte légèrement plusieurs anecdotes de la sorte. Il n'y a pas de raisons de s'offusquer ni de se fâcher quand on a cerné son contemporain. On est comme prévenu, averti, vacciné, et on a anticipé ce genre d'absurdité.
Roth a arrêté d'écrire à soixante-dix-sept ans. Il s'est retiré car il avait tout dit, car il a eu le sentiment qu'il était asséché, tari, que tout ce qu'il ferait ensuite serait moins bon et il s'y est logiquement refusé. Son temps était passé, voilà, et il l'admettait comme une chose normale et naturelle, ni triste ni pathétique. Il y a la vie et puis la fin de vie, le moment d'être puissant et célèbre et puis celui d'aller comme un animal se terrer et mourir sans bruit ni susciter une pitié feinte.
Finalement c'est un très bon livre, parce que son auteur et un très bon auteur et un individu. Peut-être l'un des derniers, qui est à présent mort lui aussi.
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« Pourquoi écrire ? » Philip Roth (630 pages, Folio)
Testament littéraire ? C'est un peu comme cela que se présente cette monumentale étude, dernière publication de l'un des romanciers américains contemporains les plus connus (je dis « plus connus », car je n'avais à ce jour lu aucun livre de cet auteur, et commencer par un essai sur l'écriture peut sembler étrange ; mais finalement, on peut aussi considérer cela comme une belle introduction à son oeuvre). Ce pavé rassemble plus d'une trentaine de textes de densité inégale de Philip Roth, parus dans différents supports entre 1961 et 2014, et couvrent donc quasiment toute sa carrière littéraire. Mais en fait j'ai eu plus l'impression d'assister à une formidable master class qu'à un cérémonial funèbre. Roth y analyse à la fois ses objectifs d'écrivain, ses propres romans, mais il nous fait aborder aussi d'autres auteurs, américains contemporains ou pas. Et c'est souvent passionnant.
Difficile de faire un résumé exhaustif de ce livre, et si certains rares passages m'ont semblé un peu obscurs, c'est essentiellement à cause de ma méconnaissance de cet écrivain ou de certains de ceux qu'il évoque. Pour le reste, c'est une écriture d'une grande clarté, très bien argumentée (on sent l'universitaire attaché à être compris de ses étudiants), et en même temps très élégante, limpide, bien illustrée. On découvre aussi la vie de l'auteur, comment il s'inscrit, quasiment comme un américain moyen plutôt progressiste dans son siècle agité (la prime enfance pendant la seconde guerre mondiale, la maturité pendant la guerre du Vietnam…), ses engagements (ou du moins certaines de ses prises de positions sociales ou politiques, qu'il exprime parfois dans des romans comme « Tricard Dixon et ses copains »). Et ce livre est aussi en filigrane un tableau assez peu enchanteur des Etats-Unis.
Il ne cesse de montrer en quoi l'art du romancier n'a rien à faire du politiquement correct ni des bonnes intentions. Né dans une famille juive, marqué par son éducation et son milieu social, il s'attire souvent les foudres de certaines autorités hébraïques ou sionistes qui lui reprochent, parfois de manière menaçante, le fait de décrire des personnages juifs pas très présentables, et ses réponses argumentées, très fortes, sont d'une portée qui va bien au-delà du minable et dangereux procès qui lui est fait. Il refuse donc l'épithète d'écrivain juif américain ou américain juif, il revendique une parole libre, et montre comment il dut se défendre pied à pied contre les entraves d'une bienséance qui aurait aimé enfermer sa prose dans un carcan moralisateur. Sauf que des relations qu'il a entretenues avec nombre d'auteurs qui devinrent ses amis, ou dans son approche d'autres qu'il n'a pas connus directement… il nous présente presque exclusivement des écrivains juifs, ce qui restreint quand même pas mal son approche ; comme si, quoiqu'il s'en défende, la question de la place des juifs dans le monde d'aujourd'hui était sa question littéraire et humaine essentielle. Mais après tout, pourquoi pas ? Et cela n'empêche pas de lire avec intérêt ses échanges avec Primo Levi, Aharon Appelfeld, Saul Bellow, Isaac B. Singer, mais aussi Kundera ou d'autres, qui sont à chaque fois des pas de côté dont il se sert pour éclairer ses propres conceptions de la littérature…
Et plane, de manière récurrente et transversale dans tout son essai à tiroirs le personnage de Kafka, figure tutélaire et référence apparemment absolue.
Ces échanges directs ou indirects ont le poids des textes recomposés à l'écrit (jamais d'échange verbal recopié tel quel), sur des thématiques très intéressantes. Que produit la censure ? Qu'advient-il quand elle tombe et qu'elle est remplacée par la loi du marché, le moins disant de la bêtise consommatrice ? Le roman comme question, pas comme réponse. L'importance de la psychanalyse dans son oeuvre. Quid de Wikipédia (son témoignage pour tenter de faire corriger des erreurs dans les pages qui lui sont dédiées est édifiant). Etc...
La limite que j'ai perçue à la lecture de ce pavé est relative au ton de l'auteur, quelque peu nombriliste, sentencieux, et parfois un peu hautain, voire méprisant (cf le dédain qu'il exprime pour les clubs de lecteurs, et ailleurs pour « la populace » en général – pour lui 90% des américains sont stupides). Le dernier texte de l'ouvrage, qui reproduit le discours pompeux de Roth à une cérémonie en l'honneur de son quatre-vingtième anniversaire (sic!), est ainsi assez révélateur de ce narcissisme ; il répète dix fois qu'il n'est pas là pour rabâcher ses souvenirs, et ne fait que cela tout au long de son discours, avant de passer à la lecture d'un très très long extrait d'un de ses romans.
Malgré ces réserves, c'est un livre riche d'enseignements pour qui s'intéresse au travail d'un écrivain.
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Un bouquin indispensable à tout amateur de l'écrivain et plus encore, pour tous ceux qui s'intéressent à l'écriture. Il s'agit d'une compilation d'essais, d'entretiens, d'articles et de discours, dans lesquels il revient sur son métier d'écrivain, les coulisses de son travail et les controverses soulevées par certains de ses romans. Mieux qu'une biographie ou une étude sur Philip Roth, il s'agit de sa propre parole, de ses propres écrits. Sur la globalité du livre il n'y a que peu d'inédit, mais le mérite de ce gros volume est de tout compiler dans une collection de poche, donc à un prix très faible. J'ajouterai qu'il est complété par une chronologie de l'auteur et surtout, par un riche index permettant de retrouver facilement ce qu'il dit de tel ou tel. Je le redis, indispensable !



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critiques presse (2)
LaCroix
15 juillet 2019
Des essais et entretiens au cours desquels l’écrivain américain décédé en mai 2018 revient sur sa carrière littéraire avec la malice qui lui appartenait.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
16 mai 2019
Ce nouveau livre reprend les grands textes que l’écrivain américain, mort il y a un an, a consacrés à la littérature. Dont plusieurs inédits en français, passionnants.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (43) Voir plus Ajouter une citation
J'avais bien lu quelques livres qui se projetaient dans un avenir historique imaginaire, notamment 1984.Mais alors que j'ai une grande admiration pour ce dernier roman, je n'ai pas pris la peine de le relire pour en étudier la méthode. Dans 1984-écrit en 1948 et publié un an plus tard- Orwell postule qu'il se produit un énorme bouleversement historique à la suite duquel son monde devient méconnaissable. Il existait au XX° siècle, c'est certain, des modèles politiques de ce genre de catastrophe dans l'Allemagne de Hitler aussi bien que dans la Russie de Staline.Mais comme je n'ai aucun talent pour mettre en scène des évènements à l'échelle orwellienne, j'ai imaginé à la place quelque chose d'une taille plus réduite, quelque chose qui aurait de plus bien pu se produire lors de l'élection présidentielle de 1940, moment où le pays était âprement divisé entre Républicains isolationnistes, qui, non sans raison, ne désiraient prendre aucune part à une deuxième guerre atroce en Europe vingt ans à peine après la fin de la première-...et Démocrates interventionnistes, qui, eux non plus, ne voulaient pas forcément repartir en guerre... (genèse Complot contre l'Amérique)
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ROTH: Vous pensez que la destruction du monde est pour bientôt?
KUNDERA:Tout dépend de ce que vous entendez par "bientôt".
ROTH: Demain ou après-demain.
KUNDERA:Le sentiment que le monde court à sa perte est très ancien.
ROTH: Alors, aucune raison de s'en faire.
KUNDERA: Si, au contraire.Pour qu'une peur habite l'esprit humain depuis les âges les plus reculés, il faut bien qu'elle ait un fondement.
ROTH: En tout cas, il me semble que cette inquiétude constitue la toile de fond sur laquelle se déroule toutes les intrigues de votre dernier livre, y compris celles qui sont d'une veine carrément humoristique.
KUNDERA: Si on m'avait dit, quand j'étais enfant:"Un jour ton pays sera rayé de la carte", j'aurais pris ça pour une absurdité, c'était inimaginable. L'homme sait bien qu'il est mortel, mais il tient pour acquis que son pays possède une sorte de vie éternelle.
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" Je veux bien admettre qu'il soit plus aisé au ministre de la justice de faire voter une loi qui déclare la littérature illégale que d'empêcher quiconque d'acheter par correspondance un revolver pour quinze dollars; mais il n'en reste pas moins vrai que les armes à feu tuent chaque année plus de personnes dans ce pays que les œuvres satiriques."
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S’il est des juifs pour trouver plus stimulantes et plus justes les histoires conçues par les romanciers que les sermons prononcés par certains rabbins, c’est peut-être parce que, dans certaines régions d’eux -mêmes, la sensibilité ni la conscience ne peuvent être touchées par la rhétorique de l’autosatisfaction et de l'apitoiement sur soi.
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KUNDERA : (…) La bêtise des hommes vient de ce qu’ils ont réponse à tout. La sagesse du roman, c’est d’avoir question à tout. Quand Don Quichotte est sorti affronter le monde, ce monde lui a paru un mystère. Tel est le legs du premier roman européen à toute l’histoire qui le suivra. Le romancier apprend au lecteur à appréhender le monde comme question. Il y a de la sagesse et de la tolérance dans cette attitude. Dans un monde construit sur des certitudes sacro-saintes, le roman est mort. Le monde totalitaire, qu’il ait pour base Marx ou l’islam, ou n’importe quoi d’autre, est un monde de réponses plutôt que de questions. Le roman n’y a pas sa place. En tout cas, il me semble qu’à travers le monde les gens préfèrent aujourd’hui juger plutôt que comprendre, répondre plutôt que demander, si bien que la voix du roman peine à se faire entendre dans le fracas imbécile des certitudes humaines.

(in "Parlons travail", entretien avec Milan Kundera en 1980, p. 368-369)
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Videos de Philip Roth (54) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Philip Roth
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