Elles s'appellent Venturina, Catterina, Raquel, Corazon, Mafalda, Socorro… elles sont seize, seize femmes, épouses, mères, amantes ou filles d'italiens émigrés en Argentine ; en seize chapitres, leurs récits tissent une toile qui tend ses fils depuis la Lombardie de la fin du XIXe siècle, « c'était en 1898, et ici on mourait de fin » jusqu'en Argentine, terre de tous les espoirs pour des paysans pauvres et opprimés. Une Argentine où s' achevait l'anéantissement des indiens, où les terre, immenses s'étendaient immenses depuis le Brésil jusqu'à la Tierra del Fuego, où la Mafia pouvait trouver de nouveaux terrains de jeux lucratifs et où les hommes étaient maîtres : et elles témoignent, Encarnada, Regalada, Amabilina ou Provisoria Paz, elles parlent des hommes qui les ont aimées mais qui, plus souvent, les ont battues, trompées, humiliées, quittées ou simplement déçues et à travers ces récits, c'est l'histoire de l'Argentine du XXe siècle qu'on entrevoit, la difficile intégration des italiens, les Péron, la dictature militaire, les disparitions, la crise financière et en fil d'Ariane, l'histoire de Corazon, qui au premier chapitre rencontre pour la première fois sa grand-mère Venturina restée en Italie, abandonnée par son père, le Togn, en 1898. Et avec ses va-et-vient entre la Lombardie et l'Argentine, s'élabore une langue métissée de patois et d'espagnol (bravo à la traductrice qui a su retranscrire des subtilités linguistiques !), une langue où se reconnait l'incertitude des immigrés qui ne sont déjà plus de là-bas et jamais vraiment d'ici et qui véhicule la nostalgie d'un pays oublié, rêvé ou magnifié.
Un beau roman original, puissant et plein d'émotions.
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Que pouvait-il savoir Pepa, de sa femme, de ce que Dalgisa avait dû supporter seule pendant des années, à élever trois fillettes ? Les hommes, ils croient qu'il n'y a qu'eux qui souffrent : ils se servent à la fiasque posée sur la table tandis que la fame et les filles vont à l'étable pour l'ouvrajhe de tous les soirs. Eux sont libres de courir le monde, car il n'y a que les montagnes pour rester à la même place. Les montagnes et nous, les femmes, ; toujours ici à attendre, à ne pas demander, à ne pas prétendre, à ne pas déranger ; il faut en passer par là ou par la fenêtre...
Elle s'évente : c'est une heure de feu, le ciel blanc à quarante degrés et un soleil jaune sans rayons. La forêt, les rochers de basalte, le sable rouge, tout réverbère de façon aveuglante ; l'air vibre de tous les côtés, damnant la vie. La terre des yerbales exhale des vapeurs de four et toute chose sous le soleil à pic semble se déformer en une ferveur tremblante qui engourdit les yeux.
C'était l'époque où le massacre des indios touchait à sa fin, les ingénieurs payaient tant par scalp aux "chasseurs" qui éliminaient ces Mapuches entêtés, qui refusaient de quitter la vallée des barrages. Au début, tant par paire d'oreilles ; plus tard, ils avaient réclamé les yeux, pour être sûrs que la région serait complètement débarrassée des indios. "Matanza"... la carte de géographie est pleine de villages et de rivières auxquels ce nom terrible est resté.
En un éclair, elle imagina les gifles, les coups de pied, les insultes -parle putain, où est Emilio ? où est cachée Cora ? qui les a aidés à s'enfuir ? -, la maison dévastée, les menaces, les livres jetés par terre, la frayeur de son père... Mais pourquoi devraient-ils l'arrêter ? Pour chercher quoi ? Elle ne possédait rien à part ses livres, elle n'avait rien fait. Et alors ? Les autres, ceux qui avaient été arrêtés, les morts, les desaparecidos avaient fait quelque chose peut-être, étaient coupables de quelque chose ?
Nous habitions un petit bourg dans la pampa. Une atmosphère effrayante, les rues silencieuses : partout où on se tournait, on voyait des individus armés, venus du chef-lieu de province pour empêcher les opposants d'aller voter ; et en revanche, des estancias les plus éloignées, des camions de pauvres bougres embarqués de force pour cocher le nom d'un certain candidat en échange d'une demi-litre de vin et dix cigarettes.