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EAN : 9791030409857
136 pages
Allia (06/09/2018)
5/5   2 notes
Résumé :
“Je suis un tenant de ce que j'appellerai le 'principe de difficulté' : mieux vaut être averti de la difficulté d'une tâche et la trouver facile que de la juger facile et d'échouer faute d'en avoir compris les difficultés. Peut-être le cas du chinois a-t-il quelque chose d'exemplaire de ce point de vue parce qu'il exige une conscience plus aiguë des problèmes à résoudre, et présente-t-il de ce fait un certain intérêt pour les non sinologues.”
Un sinologue pa... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
A quoi sert de lire ces quatre petits essais sur la traduction du chinois en français, si l'on n'est pas traducteur, ni sinologue, ni, en somme, concerné par les questions pratiques abordées par l'auteur ? D'abord, les exemples de poésie et de prose évoqués sont extrêmement beaux, et plutôt que de lire un poème ou un passage philosophique tout traduits, comme des objets finis, on prendra un plaisir renouvelé à voir par quelles étapes le traducteur parvient à sa version finale, en passant par divers tâtonnements et de multiples tentatives. Ensuite, la littérature chinoise classique est peut-être ce qu'il y a de plus difficile à rendre en français, surtout dans le genre poétique : c'est donc une grande leçon de langue et de littérature françaises que l'auteur propose à ceux qui aiment leur langue et souhaitent la connaître plus intimement. Et puis, la lecture de la poésie ne s'accommode pas de la rapidité consommatrice : prendre un texte étranger, voir comment il est lu, analysé et rendu en français, nous impose cette lenteur indispensable pour savourer le texte, le ruminer et le faire sien. C'est donc un petit art de lire que Jean-François Billeter nous propose ici.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
En rendant /shen/ par "esprit", nous avons introduit dans notre traducion, que nous le voulions ou non, l'idée d'un esprit opposé à un corps. Or on trouve en chinois classique des équivalents de notre mot esprit et de notre mot corps, mais ils n'ont jamais entre eux le même rapport que les deux mots français. Comme l'observe Marcel Granet, "les Chinois ne croient pas que l'âme donne vie au corps ; ils croient plutôt, pourrait-on dire, que l'âme apparaît après un enrichissement de la vie corporelle." En d'autres termes, l'âme ou l'esprit sont pour eux une manifestation supérieure de l'activité corporelle. Ils ne voient donc pas d'opposition, ni même de discontinuité entre le corps et l'esprit, mais une continuité. Ils voient, plus exactement, diverses formes d'activité plus ou moins organisées, plus ou moins subtiles, qu'ils considèrent comme inférieures ou supérieures. Cela se voit dans leur théorie médicale classique, qui ne se sert pas de deux termes pour décrire la totalité active que nous sommes, mais les trois termes jing, qi et shen.Ces termes désignent tous les trois des formes d'énergie, ou des formes d'activité. Jing, littéralement "les essences", désigne les substances actives que nous avons en nous. Qi, littéralement "le souffle", désigne l'activité elle-même, sous toutes ses formes, ou "l'énergie" si l'on préfère. Quant au mot Shen, il désigne les phénomènes de synergie, c'est-à-dire les phénomènes résultant d'une organisation supérieure de l'énergie, ou de l'activité. Ces trois notions forment un ensemble très différent de notre couple "Corps/esprit", qui est d'origine grecque*.

[*Note du lecteur : et pas biblique.]

p. 71
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Il est en tous cas permis de penser qu'il y aurait davantage de bonnes traductions si ces opérations étaient toujours consciencieusement accomplies. Pierre Klossowski a traduit de la façon suivante la plus célèbre phrase de Wittgenstein, celle qui clôt le Tractatus : "Ce dont on ne peut parler, il faut le taire." Il a négligé la quatrième opération [s'assurer que ce qui est dit en français correspond à ce qui est dit dans la langue originale]. Il n'a pas pris le temps de comparer sa phrase à celle de Wittgenstein et de s'assurer qu'elle signifiait la même chose. "Taire" signifie "garder pour soi" quelque chose que l'on pourrait exprimer si l'on voulait. Mais Wittgenstein a écrit : "Worüber man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen" : ce dont on ne peut pas parler, là-dessus il faut garder le silence, s'abstenir de dire quelque chose. Il ne recommande pas de taire quoi que ce soit, mais de cesser de parler quand les limites du langage sont atteintes et qu'il se met à tourner à vide. En un sens, tout Wittgenstein est dans cette proposition. La négligence du traducteur est grave, de même que celle de l'éditeur qui a réimprimé cette faute pendant plus de trente ans.

Note : "Tractatus logico-philosophicus", Gallimard 1961. La faute est corrigée dans la nouvelle traduction de Gilles-Gaston Granger (Gallimard 1993) : "Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence."

p. 92-93
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Il faut goûter "toute la saveur" du poème, comme dit Su Dongpo, "le savourer" (wei zhi), tel est le terme habituel à l'époque : se le réciter à mi-voix, méditativement, pour en éprouver peu à peu tous les effets. Nous concevons la lecture (ou la récitation) comme un exercice obéissant à un temps linéaire. Tout nous y porte : notre écriture, la syntaxe de nos langues, la notion même de /discours/, mais aussi les genres et les formes prosodiques que notre tradition a privilégiés. La "savouration"* chinoise est plutôt soumise à un temps circulaire : elle demande que l'on s'arrête au poème, qu'on y revienne et s'y arrête à nouveau pour en approfondir peu à peu la compréhension, pour l'enrichir d'une part toujours plus grande de l'expérience enfouie dans notre mémoire. Le poème est une sorte /d'agencement nucléaire/ destiné à être développé par une savouration récurrente. La puissance de ce /noyau/ se mesure aux effets qu'il déploie à la longue. (...) La grande poésie chinoise a privilégié les formes courtes, mais pour produire des effets "longs".

* Note de l'auteur, "savouration", terme emprunté à François Jullien, "Le plaisir du texte : l'expérience chinoise de la saveur littéraire".

p. 25
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Ce contraste avec les études de musique mérite réflexion. Le jeune musicien apprend à analyser la forme de l'oeuvre et à lui donner vie en l'interprétant : il se l'approprie doublement. En lettres, l'étudiant apprend principalement à parler des oeuvres. Il ne se les approprie pas à la façon du musicien, il n'entre pas en elles par une pratique de plus en plus maîtrisée de leur forme. Il n'acquiert nullement le pouvoir propre aux écrivains qui est, non pas celui de /parler/ des choses, mais celui de mettre en oeuvre toutes les ressources du langage pour /dire/ les choses. Il en résulte une frustration qui n'est pas avouée, mais assez communément ressentie. Or les étudiants en lettres pourraient acquérir au moins une partie de ce pouvoir en pratiquant la traduction, puisqu'elle consiste à /dire/ dans une langue ce que l'auteur a /dit/ dans une autre - à le dire aussi bien que lui, de façon à ce que cela produise le même effet.
p. 117
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Je dis "cette langue" parce que le chinois dit "classique" n'est pas séparé du chinois actuel comme le grec et le latin le sont de nos langues modernes. Il n'est pas une langue morte, mais plutôt un registre de la langue, celui de l'expression concise et quintessenciée. Aussi les Chinois ne parlent-ils pas de "langue classique", mais de "langue écrite" (wenyan). Cette langue écrite a été d'une extraordinaire continuité à travers les siècles tandis que l'usage courant évoluait plus rapidement, comme il est naturel, surtout dans la période récente. Les deux registres n'en continuent pas moins de communiquer de cent façons.
p. 7
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