Janvier 1957, au Caire.
Une nuit, Fouad Barkouk, un jeune officier de l'armée égyptienne, se présente avec un mandat d'amener au domicile de Salomon Cohen, un prospère commerçant juif. Rachel-Rose, la fille de Salomon, lui ouvre en nuisette légère.
La prestance de l'officier, l'étrange façon dont il l'aborde, jettent l'adolescente totalement naïve dans un trouble de grande sensualité. D'autant que l'officier semble conscient et même satisfait de l'effet produit sur la fille du commerçant juif qu'il vient arrêter. Au point de renoncer, cette nuit-là, à la mesure d'arrestation.
Mais en réalité la jeune fille importe peu à Fouad. Il n'a qu'une seule idée en tête, venger sa mère morte dans la solitude et l'indifférence de ses anciens patrons, les commerçants Salomon et Margot Cohen…
Fouad a tous les atouts pour réussir un plan subtil : un sentiment aigu d'humiliation sociale et une profonde conviction nationaliste.
Tout cela à l'heure où l'Egypte de Nasser expulse, en les spoliant de leurs biens, tous les habitants non-arabes et non-musulmans. « A l'instant où la guerre de Suez avait pris fin, ce ne fut plus la guerre, mais la paix qui devint terrible. »
Fouad va donc profiter de la situation précaire des Juifs en Egypte pour ourdir un jeu machiavélique.
Sous prétexte de le soustraire à la prison, il séquestre Salomon dans une chambre en tous points semblables à celle où sa mère a vécu sa misérable existence.
Il séduit également Rachel-Rose, la déflore et la maintient de longues semaines sous son emprise amoureuse, tandis que les parents de la petite, feignant l'ignorance, laissent faire.
Malgré la cruauté de la situation, Rachel-Rose connait pourtant dans les bras du bel officier les émois du premier amour, sans remords, ni péché.
Elle est si fraîche, si éperdument offerte, que le coeur de Fouad parfois vacille, allant même jusqu'à songer à renoncer à l'exécution de son plan. Mais le souvenir des anciennes souffrances est trop fort et l'aveuglement volontaire des Cohen ne fait que raviver son désir de vengeance.
Le drame se nouera trois mois plus tard, mais l'accomplissement de la vengeance n'aura-telle pas un goût amer ?..
Productrice, animatrice de radio et écrivaine d'origine égyptienne,
Paula Jacques, offre avec «
Rachel-Rose et l'officier arabe » un beau roman ambigu et sensuel, plein d'équivoque et d'une savoureuse suavité, qui emporte le lecteur dans l'Egypte des années 1950, époque de prédilection de l'auteur où roman après roman, elle saisit la fin du monde cosmopolite qui fut le sien et poursuit sa propre version de la comédie humaine qu'elle épingle avec une subtilité fine et incisive, utilisant souvent les ressorts tragi-comiques pour dépeindre la réalité de ce pays qui lui tient à coeur.
Membre du jury du Prix Fémina depuis 1996 et couronnée par ce même prix en 1991 pour le roman «
Déborah et les anges dissipés »,
Paula Jacques, au fil de nombreux livres, a toujours fait grand cas de la psychologie de ses personnages, les analysant avec une férocité du regard et une tendresse du coeur assorties d'une grande lucidité.
Dans «
Rachel-Rose et l'officier arabe », elle montre de la sorte que tout n'est pas « blanc ou noir » et que chacun porte en soi une face cachée et trouble.
Ainsi Salomon, qui sous des dehors résolus, laisse sa propre fille aux mains d'un être vil et complexe. Il ne jouit en définitive d'aucune qualité morale pour faire face à l'adversité, cache une grande lâcheté le rendant incapable de tenir tête à Fouad. On se rend compte alors que c'est la peur la première ennemie de Salomon et non pas l'officier arabe. La peur qui l'incite à fermer les yeux sur le déshonneur de sa fille, la peur qui l'entraînera dans la chute.
A l'inverse, Fouad, très antipathique au début, être amer à l'orgueil démesuré, va finalement montrer des sentiments et de l'humanité. Il va surtout prendre conscience que la vengeance n'apporte pas toujours l'apaisement escompté.
Rachel-Rose, sous ses airs candides et puérils, cache aussi une personnalité bien complexe. La relation amoureuse et perverse qu'elle entretient avec Fouad va révéler son penchant pour les relations « dominant-dominé » bien loin de la jeune fille discrète et réservée qu'elle affiche en famille…
Tous ces personnages démontrent de façon comique et dramatique à la fois que rien n'est figé dans le temps et que les périodes difficiles et troubles peuvent changer le caractère des hommes ou montrer qui ils sont réellement.
L'auteur le fait sans parti pris, décrivant simplement les bons côtés mais aussi les travers des gens qu'ils soient juifs ou égyptiens.
Avec ce séduisant roman, elle saisit la fin d'un monde, celui du cosmopolisme et de la diversité, au profit du nationalisme et du racisme de l'époque de Nasser, monde d'arbitraire où l'on emprisonne, spolie, exile sans raison tous les non-musulmans, ce qui fait dire à l'officier arabe « le monde change, les grands deviennent petits et il se pourrait bientôt que les petits deviennent très grands. »