Son petit nez fin, retroussé, avait quelque chose d’enfantin et ses lèvres charnues, pulpeuses, ne faisaient qu’accentuer son pouvoir d’attraction. Jamais il n’avait vu une créature aussi belle, alliant à la fois délicatesse, finesse, intelligence et sensualité.
Il s’en trouva profondément ému. Elle était l’exacte réplique de ses toiles, elle semblait donner vie à l’être rayonnant qui habitait son imagination depuis si longtemps.
La Réelle que j’étais parvins à prendre le dessus la plupart du temps et j’en fus très soulagée. Même si le simple fait de me sentir délivrée était une émotion, ce qui était anormal. Je ne voulais pas parler à Antoine de ce que je ressentais, qu’on me fasse subir une nouvelle programmation, qu’on change mon système hormonal. Je ne voulais pas être à nouveau un bout de viande que l’on formerait à servir autrui.
Tout à coup, je devinais l’enfant, l’adolescent plein d’espoir, qu’il avait pu être un jour. Cela éveillait en mon cœur un immense océan de couleurs. C’était délicieux, momentané, inopiné ! Cette félicité mettait pause sur le présent et me rendait, l’espace d’un battement de cil, plus vivante que jamais. Je finis par en conclure secrètement que c’était un fragment de ce Bonheur dont parlaient tant les humains.
Nous les appelons les « Réels » justement, car l’ère des robots est dépassée ! Ce sont des êtres aussi vivants que vous et moi. Cela dit, ils n’ont pas un cerveau complet, leur façon de penser est beaucoup plus simple et précaire que la nôtre. Ils subissent, avant et après gestation, tout un conditionnement à l’obéissance et aux comportements humains. Mais ils ne sont pas considérés comme tels.
Finalement, l’argent a remporté la bataille contre l’éthique : on a autorisé vos créateurs à vous vendre… Mais je n’y croyais pas. Même les animaux ressentent des sentiments. J’étais sûr qu’il était impossible de créer des êtres sans émotions.