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EAN : 9782378803544
282 pages
L' Iconoclaste (06/04/2023)
3.7/5   1028 notes
Résumé :
Je ne suis pas certaine d'avoir pleinement saisi ce qui m'est arrivé, ni ce qui m'a conduite à agir comme je l'ai fait. Certains matins, tout me semble limpide. À d'autres moments, je me vois comme un monstre, une créature que je ne reconnais pas, qui m'aurait possédée dans un instant de vulnérabilité. Mais je crois que cette image vient du regard des autres.
J'ai fait ce que je pouvais.
Il n'y a pas de morale à cette histoire. Tout ce que je sais, c'e... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (250) Voir plus Ajouter une critique
3,7

sur 1028 notes
Dans un chalet au bord d'un lac, la narratrice et son amant (M) se retrouvent en secret, l'amant subit une crise cardiaque et laisse sa maitresse au bord de l'effroi. Cette dernière, sous le choc, ne veut pas quitter son défunt amant, elle l'emmène avec elle dans sa voiture au bord de l'implosion tout en clandestinité. Elle écrit une lettre à son épouse pour expliquer son choix, pour expliquer son amour infini pour M. Recèle de cadavre, la narratrice nous décrit son parcours amoureux auprès de cet homme marié. Leur coup de foudre, l'évidence de cette relation adultérine. L'héroïne, mère d'une petite fille de sa précédente relation, tombe sous le charme de ce quarantenaire. Elle quitte tout et se lance à corps perdu dans une relation sans promesse, sans lendemains définis. Elle accepte l'amour et la tendresse que son amant ressent pour son épouse, elle explique son besoin de solitude, son refus de subordination dans une relation où tout le monde se mélange, une relation comme madame et monsieur tout le monde, elle accepte le manque, l'absence. Cela devient sa raison de vivre. Elle attend son amant. A son décès, l'héroïne perd toute raison et M, mort devient une obsession.

Adeline Dieudonné nous livre ici un roman épatant sur les lignes d'une histoire d'amour hors norme, où l'amour ne se commande pas, où les choix semblent impossibles. Peut-on aimer deux femmes en même temps? Peut-on se satisfaire d'une histoire à mi temps? Roman à la fois sociologique et psychologique, Reste marque les esprits torturés. Les scènes en huit clos s'impriment et ne s'oublient pas. On frissonne devant cette double décomposition, autant du mort que de cette femme qui ne peut se résoudre à quitter son amant, à le rendre à son épouse. Des flashs musicaux accompagnent ces jours d'angoisse, d'amour impossible. Des passages par dizaine résonnent, cognent, nous font arrêter la lecture pour en savourer toute la puissance narrative et introspective.

L'épilogue est une pure merveille, comme ces scènes dramatiques et tragiques d'un western américain.
Comment peut finir une telle histoire ? Seule l'autrice à l'écriture singulière en détient la réponse. On reconnait la patte d'Adeline bien évidemment. Son attrait pour le monde animal est toujours omniprésent dès les premières pages, son humour, sa finesse, sa grandiloquence narrative, c'est Adeline Dieudonné, c'est elle, sans fausse note, sans lourdeur, sans temps mort. On avale les pages de ce dernier roman, Reste sans voir le temps défiler. On tremble, on comprend qu'il est possible d'aimer autrement, d'aimer un homme qui n'est pas libre, de l'accepter sans rien attendre, de tout prendre quand il est là, tout donner, tout graver dans sa mémoire, sur sa peau, sur son coeur.

Lien : https://coccinelledeslivres...
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Je viens de terminer la lecture de "Reste" et honnêtement je ne sais pas trop qu'en penser. Peut-être qu'il vaudrait mieux que j'attende un peu de temps pour formuler une évaluation finale.

Le thème est hautement dérangeant : la narratrice du roman qui se balade pendant 6 jours avec le corps de son amant mort noyé.
Insolite aussi la décision de la narratrice-sans-nom d'écrire 2 longues lettres à l'épouse même de M. (son amant) qu'elle n'a jamais rencontrée.

Avouez que pour une femme de 41 ans, prof de Français et mère d'une gamine cela fait plutôt beaucoup à avaler et digérer.

Ce récit perturbant contraste cependant avec un style et un langage hautement littéraire, voire poétique, qui sont la marque de qualité de ma compatriote, Adeline Dieudonné.

Quoi qu'il en soit, une façon bien originale à réagir à la mort soudaine de l'être que l'on aime par-dessus tout.

L'ouvrage est riche également en considérations originales et profondes sur les grandes questions de l'existence humaine : naissance et décès, amour et couple, femme et homme, flirt et fidélité, etc.
Par ailleurs, en maniant un vocabulaire simple et parfois limite, l'auteure réussit à aller très loin dans ses réflexions perçantes.

Quand bien même si le niveau de "Reste" n'arrive pas à celui de son chef-d'oeuvre, "La vraie vie" de 2018, je pense que cet ouvrage mérite recommandation. Personnellement, j'ai l'intention de relire certains passages et de revenir ultérieurement sur le présent billet.
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J'avais adoré "La vraie vie", beaucoup beaucoup moins "Kérozène". Je ne savais donc pas du tout à quoi m'attendre avec "Reste", que les nombreux retours enthousiastes des Babelpotes m'ont incitée à lire. Incomparable avec "Kérozène" (ouf !), j'ai passé un bon moment, même s'il ne m'a pas totalement transcendée.

"Reste", c'est le mot que la narratrice, une certaine S., crie au plus profond d'elle-même à l'homme qu'elle aime, un certain M. Ensemble depuis huit ans, il n'en est pas moins marié à une autre depuis bien plus longtemps et avec qui il a un fils. Mais le couple fonctionne bien ainsi, S. aspirant à une vie indépendante après deux grosses déceptions amoureuses. Ils ont plaisir à se retrouver, pour quelques heures ou pour un week-end, comme c'est le cas en ce moment, dans un chalet à la montagne.

Mais M. est mort. Il est allongé sur le lit à côté d'elle. Et pour le garder plus longtemps pour elle toute seule, pour faire comme s'il n'était pas mort, elle décide de ne prévenir personne. Elle le charge dans sa voiture et part. Mais avant cela, elle écrit une lettre à la femme légitime...

Il y aura deux lettres en tout, dans lesquelles elle se raconte à sa rivale et lui livre une grande partie de son intimité. Elle revient souvent en arrière : sa vie avant M., sa rencontre avec M., sa vie avec M. Et puis aussi sa vie après M., dont les six jours de "vagabondage" avec le cadavre de son homme : six jours pendant lesquels elle défie la mort en se voilant la face, en ne voulant pas accepter la réalité.

Je cherche en vain ce qui ne m'a pas plu dans ce roman. Je n'ai, en fait, aucun reproche à lui faire, et c'est ce qui me met mal à l'aise puisque je n'arrive pas à mettre la main sur l'élément qui m'a empêchée de m'embarquer totalement. Parce que oui j'ai aimé, mais pas plus que ça finalement.

L'autrice nous livre un personnage à la psychologie fouillée et une "épopée" certes morbide mais qui ne manque pas d'intérêt. Les lieux sont à peine décrits, on sait juste que ça se passe à la montagne, mais on n'a pas besoin d'en savoir plus, et étonnamment ça ne m'a pas manqué, moi qui apprécie d'habitude des décors bien implantés.

C'est très bien écrit, l'autrice a une joli plume, comme j'avais pu le remarquer avec ses deux livres précédents. Elle est peut-être moins mordante, moins incisive ici, plus doucereuse. Serait-ce là mon problème : m'a-t-elle tapée moins fort ? M'attendais-je à prendre plus de coups ? Sans doute... peut-être...

Enfin voilà, j'ai aimé. J'ai aimé le personnage principal dans son introspection (même si les lettres sont adressées à la femme légitime). J'ai aimé la narration à la première personne, les chapitres courts et les retours en arrière, rendant la lecture dynamique et rapide. Mais il m'a manqué un petit quelque chose, une petite étincelle qui ne m'aura pas permis d'être totalement emportée par l'histoire de S., pour qui je n'ai pas vraiment eu d'empathie.
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Ce court roman ne manque pas d'originalité dans son scénario, même si les douleurs du deuil, de la séparation sont vécues souvent différemment selon les personnes.

Ici, c'est l'amante qui perd l'homme qu'elle aime, accidentellement. Alors que l'épouse ignore les faits, elle choisit de lui écrire, exposant ainsi sa peine, son désarroi, mais aussi son inconséquence dans le choix qu'elle fait de garder le corps auprès d'elle dans la montagne où elle voudrait finalement l'inhumer.

A-t-elle besoin de raconter sa vie au-delà de sa détresse du moment, de lui décrire ses amours, ses orgasmes, ses ruptures? La veuve n'a sûrement que faire de cet étalage malsain dont la narratrice semble inconsciente, perdue dans sa douleur qu'elle ne comprend pas qu'elle pourrait peut-être partager autrement.

Malgré cela, son road-movie cadavérique, bien qu'invraisemblable -- mais n'est-ce pas le rôle du roman de toucher à l'irréel à travers pourtant ce que certains appellent improprement les choses de la vie, -- présente un certain intérêt, son dénouement est assez réussi.

Il manque cependant à mon goût du style, d'autant que l'histoire se déroule dans le décor si riche de la montagne, d'un lac, d'une rivière, l'ensemble offrant des possibilités multiples pour étoffer un récit où les émotions ne m'ont pas paru transmises au lecteur.

Le titre est bien choisi, cependant le livre ne suscite pas l'envie de rester avec l'héroïne plus longtemps que les trois journées que dure son délire.
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Ce livre, je n'étais pas vraiment sûre de vouloir le lire, je le pensais éloigné de mes goûts littéraires. Pourquoi ? Parce que je n'aime pas trop les romans d'amour.
J'avais également peur du thème sur le décès de l'être aimé. Mais Magali (@Ladybirdy) a su me convaincre et puis, j'avais vraiment aimé un des romans précédents de l'autrice, « La vraie vie ». Je me souviens du malaise que j'avais ressenti. Il en faut du talent pour faire ressentir de telles sensations !

Ce roman-ci aussi, dans une certaine mesure, m'a troublée, dérangée, mais aussi emportée à l'autre bout du monde par la force émotionnelle du récit.

*
Le jour se lève. La lumière de l'aube dessine, sur un paysage lacustre de haute montagne, un sentiment de solitude, de vide, d'isolement.
De la couverture, du titre « Reste », retentit en moi un cri silencieux qui rebondit sur les parois de la montagne et se perd, se noie sur la surface bleutée et froide du lac. C'est ce ma première impression au moment de débuter ce récit.

La narratrice passe quelques jours privilégiés avec son amant M dans un chalet au bord d'un magnifique lac de montagne. C'est le matin, elle se lève tranquillement, le corps encore engourdi de sommeil et d'amour. M est parti nager, comme chaque matin.

« J'avance seule dans le brouillard
C'est décidé ça y est, je pars
Je m'en vais
À l'autre bout du monde »

Son regard se pose sur le lac, froid, bleu acier, sans aucune ridule pour l'apercevoir en train de nager. Elle remarque alors une forme inhabituelle à fleur d'eau, inerte, sombre. Elle met quelques instants à réaliser l'impensable.
M est mort.

« J'arrive sur les berges d'une rivière
Une voix m'appelle puis se perd
C'est ta voix
À l'autre bout du monde »

C'est un choc, un électrochoc. Quelque chose se brise en elle. Elle se sent seule, perdue, personne pour lui venir en aide, la soutenir, lui dire quoi faire. Et puis, elle ne veut pas que des inconnus le touchent, s'occupent de lui, le lui prennent, l'emportent loin d'elle. Elle ne peut se résoudre à être dépossédée de sa présence, de sa mort. Elle ne veut pas rendre le corps à la famille, pas tout de suite.

« Ta voix qui me dit mon trésor
Tout ce temps, je n'étais pas mort
Je vivais
À l'autre bout du monde »

Elle a besoin de temps pour accepter son décès, lui dire au revoir, le laisser partir, faire son deuil. Alors elle le sort de l'eau, le rentre dans la maison et elle décide de le garder pour elle quelques heures.
Quelques jours…

« Sur la rivière il pleut de l'or
Entre mes bras je serre ton corps
Tu es là
À l'autre bout du monde »

Mais elle ne veut pas que son épouse s'inquiète de ne pas le voir rentrer, alors elle lui écrit une lettre pour l'informer de son décès. Parfois, j'ai eu l'impression que l'épouse s'effaçait, et que la narratrice me parlait de sa vie, de sa relation avec les autres, avec M.
Au départ, j'ai été glacée par ce récit sous la forme d'un long monologue : il m'a paru froid et distant comme le bleu minéral de ce lac. Et puis, j'ai perçu petit à petit, combien les apparences étaient trompeuses. C'est au contraire une lettre qui se veut douce et aimante, une lettre pour dire combien M lui était précieux.

Et en écrivant, son esprit s'égare sur les rives du temps, remonte le cours de son histoire.

« M. m'avait appris à prendre ma place, à prendre forme. Avant lui j'étais une matière molle, presque liquide, qui s'ajustait aux nécessités de l'autre.
En m'interrogeant continuellement sur mes besoins, il m'avait appris à m'y intéresser, à les autoriser. À m'autoriser. Il me laissait de l'espace sans laisser de vide. Je me suis solidifiée à son contact, un noyau s'est formé au centre de la matière molle. »

Sa réaction m'a paru étrange, décalée, je me suis demandée si elle n'était pas partie dans un autre monde, un espace intérieur qui se libèrerait d'une trop grande souffrance, d'un trop grand vide.
M est présent dans chaque mot, dans chaque respiration, on ressent de plein fouet cet amour qui déborde de chaque ligne du texte.

« Je te rejoins quand je m'endors
Mais je veux te revoir encore
Où est-il
L'autre bout du monde »

*
L'autrice a écrit ce roman en écoutant de la musique. J'ai ressenti un rythme, une musicalité des mots qui m'ont enveloppée et accompagnée tout du long.
Parmi les titres que l'on trouve à la fin du livre, se trouve un titre qui a ma préférence, c'est « A l'autre bout du monde » d'Emilie Loizeau. Les paroles de cette chanson ont résonné dans ma tête tout du long de ce récit, mélange de rêves et d'espoir, de souvenirs et de tristesse, de solitude et de douleur.

Le texte est très beau et prévenant, introspectif et profond, d'une justesse incroyable, sans pathos ni larmes. Certains passages sont difficiles à lire, mais magnifiques par l'entièreté de cet amour. Des mots reviennent, silence, mensonge. Et avec ce silence, une impression de claustrophobie, d'étouffement.
Alors bien sûr, dans ce roman, il va être question du temps qui passe et des souvenirs, de la fragilité de l'amour, de l'acceptation de la mort et du deuil.

J'ai aimé le ton qui s'affranchit des normes et des contraintes sociales, de la bienséance, du politiquement correct. Adeline Dieudonné n'a pas son pareil pour parler en toute franchise de la réalité des femmes, des mères et des épouses. Ainsi, elle aborde également la place des femmes dans la société et les relations entre hommes et femmes.

*
Pour conclure, « Reste » est un roman épistolaire parfaitement maîtrisé, un livre sensible et marquant qu'il est difficile de lâcher. Je l'ai lu quasiment d'une traite, me retrouvant littéralement en apnée, impatiente de découvrir comment l'autrice allait conclure ce récit.
Une belle surprise qui m'a poussée à lire à la suite « Kérozène ».
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critiques presse (7)
Culturebox
02 janvier 2024
Toujours aussi déjantée, l'écrivaine belge imagine une femme qui garde, par amour, le cadavre de son amant décédé subitement.
Lire la critique sur le site : Culturebox
SudOuestPresse
04 juillet 2023
Après le best-seller « La Vraie vie », l’autrice belge revient avec une histoire d’amour perdu. Son amant meurt, elle va partir avec son corps dans une cavale insensée.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Marianne_
26 juin 2023
Avec le singulier « Reste », Adeline Dieudonné raconte le drôle de voyage dans lequel le personnage de S décide de se lancer. Sur la banquette arrière se trouve le corps sans vie de M. Histoire de voler à la mort quelques instants de vie, et faire le deuil de leur histoire d’amour illégitime...
Lire la critique sur le site : Marianne_
LaLibreBelgique
25 avril 2023
Une femme regarde dans le rétroviseur de ses amours. M., l'amant, le seul qui l’a aimée, disparaît brutalement. Funérailles iconoclastes.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Culturebox
17 avril 2023
"Reste" de l'écrivaine belge Adeline Dieudonné : un très bon nouveau roman de l'auteure de "Kérozène" et de "La Vraie Vie".
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeSoir
11 avril 2023
Le troisième roman d’Adeline Dieudonné, « Reste », est un grand moment. De folie et d’amour. La narratrice embarque son amant mort dans un roadtrip étonnant.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LeFigaro
30 mars 2023
Un matin d’avril 2022, dans un chalet au parfum de sel et de pierre, un homme se lève. Il embrasse sa maîtresse, enfile son maillot et s’en va faire quelques brasses dans le lac, en face. Combien de temps s’écoule? La femme se réveille, prépare le petit déjeuner, du café, du fromage, du pain, puis lève les yeux vers la nappe d’eau noire.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (157) Voir plus Ajouter une citation
Je fais le deuil de lui depuis le début. Je n'ai rien à regretter, je n'ai pas gaspillé une seconde. Je l'ai aimé comme je n'aurais pas pu aimer à vingt ans. Je crois qu'on ne s'aime vraiment qu'à l'ombre de la mort. Ou quelque chose comme ça.
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Je me suis rappelé, avec Romain, les premiers mois de Nina, comme la fatigue nous avait transformés en animaux. Ou m'avait transformée en chienne en tout cas, lui je sais pas. Au début, quand je me levais la nuit pour m'occuper de la petite, j'avais un regard attendri sur mon homme, profondément endormi, si beau, si inoffensif. Ça avait duré une dizaine de jours, après quoi la tendresse s'était muée en agacement, puis en haine pure. La privation de sommeil m'a amenée aux confins de la raison. Nina n'a pas dormi plus de trois heures d'affilée jusqu'à ses deux ans. Romain travaillait à l'époque, pas moi. C'était la raison qu’il invoquait pour se débiner lors des réveils nocturnes. Et puis, si cette enfant ne dormait pas, est-ce que je n'y étais pas un peu pour quelque chose ? Si je l'avais un peu laissée pleurer au début, on n’en serait pas là. Sur le moment, je n'ai pas compris l'injustice. Je n'ai pas réalisé que si je n'avais pas de boulot, c'était peut-être parce que mon CDD de prof n'avait pas survécu à l'annonce de ma grossesse, qu'une fois l'enfant sorti de mon ventre aucune place en crèche publique n'avait pu lui être trouvée, malgré les listes d'attente, les coups de fil suppliants, qu'une place en crèche privée boufferait les trois quarts de mon salaire, alors tu comprends chérie, ça vaut pas vraiment le coup, autant que tu t'occupes de la petite, ça grandit tellement vite à cet âge-là, reste à la maison, profite. J'ai pas réalisé combien j'étais épuisée, que passer ne serait-ce que deux heures loin de mon bébé m'apparaissait comme un luxe inespéré, que sa présence m'arrachait à moi-même, constamment, à mes pensées, m'abrutissait et que ça ne s'arrêtait jamais, pas même la nuit. Alors regarder Romain dormir avec cet air de légitimité tatoué sur le front, comme s'il attendait qu'on le félicite pour sa dure journée de travail, ça m'enflammait parfois les tripes, et Nina somnolant sur mon bras, comment un léopard sur sa branche, mon poids se balançant d'un pied sur l'autre avec une régularité de métronome, j'avais parfois envie de lui lancer à la tête le premier objet venu. Pas pour qu'il prenne le relais. Juste pour qu'il ne dorme pas. Pas tant que je n'y aurais pas droit moi aussi.
(p.212-214)
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Je ne t'ai sans doute pas assez remercié, mon amour. On oublie toujours de dire merci, on dit « je t'aime » et on croit que ça suffit. Alors merci, pour tout ce que tu sais déjà, pour m'avoir aidée à réaliser que j'étais autre chose qu'une fille sexy en short, merci d'avoir aimé mes muscles, ma force, mon agressivité, d'avoir ri à mes blagues pas drôles, respecté mon besoin de solitude, merci de m'avoir embrassée en pleine rue, merci pour le cul qu'on a réappris ensemble. Merci pour ta fragilité. Merci d'avoir accepté de te débarrasser avec moi des artifices à la con du manège amoureux, la jalousie, la possession, les preuves à brandir, merci de m'avoir vue comme une alliée, pas comme une adversaire, merci d'être devenu mon meilleur ami. Au revoir, mon amour.
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Je me suis mise à rouler vers le barrage en rêvant d'un brasier flottant, comme j'ai dû en voir, je ne me souviens pas bien où, sans doute un film ou un documentaire sur des îles lointaines. Des gens en pagne sur une plage, confiant leur mort à l'océan, sur un radeau qui s'embrase en s'éloignant vers l'horizon, entouré de fleurs rouges prétentieuses. Je suis arrivée dans la vallée, ai pris un nouveau versant. Est-ce que j'étais prête à brûler M. ? Je ne voulais pas qu'il pourrisse, je ne voulais pas l'enterrer, ni le faire disparaître au fond d'un lac. J'aurais eu l'impression de l'abandonner. Je préférais rester près de lui jusqu'au bout. Si j'avais pu lui tenir la main pendant qu'il brûlait, je l'aurais fait. M'allonger près de lui, me consumer, mélanger nos cendres.
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Je ne pense pas qu’on m’ait appris à me taire. Simplement, on ne m’a pas appris à parler. Et on m’a dissuadée d’essayer. J’ai compris très tôt que pour être aimée des hommes il fallait éviter de leur prendre la tête, éviter d’être une chieuse, une grande gueule, une mégère.
Comment ma sœur a-t-elle fait pour échapper à ça ? D’où lui vient cette voix forte, claire ? Cette façon qu’elle a de ne jamais se laisser emmerder ? De défendre son territoire ?
Et vous ? Comment vous faites ?
Moi, j’ai mis des années à comprendre l'arnaque. Avec Romain, si j'évoquais un besoin, si je réclamais un changement, il refusait simplement la discussion, regardait ailleurs, changeait de sujet, allumait la télé. Je finissais par m'énerver toute seule. Lui, impassible, monosyllabique, me renvoyait l'image de l'emmerdeuse que je redoutais d'être. Il ne me restait qu’à choisir entre l'acceptation et la rupture. Et je me voyais capituler, endossant la figure martyre de la mater dolorosa avec un enthousiasme suspect. Avec le temps, il n'était plus nécessaire de passer par la case « dispute à sens unique », j'avais appris à ravaler mes besoins, notre vie à deux s'ordonnait autour de ceux de Romain. Je vivais la tête haute, drapée dans ma résignation, auréolée de ma vertu sacrificielle, romantisant ma posture de sainte persécutée. Je me donnais le beau rôle. Ça me dispensait d'agir, de lutter. Évidemment, ce sont des choses que je n'ai comprises qu’après l'avoir quitté.
(P.98-99).
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