Élaborer un monde entier de curiosité linguistique, métaphorique et humaine dans la chair à déguster du fruit kaki et de quelques autres plus rares encore – pour nous d'ici.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/04/14/note-de-lecture-
rhapsodie-curieuse-alexander-dickow/
Cette étonnante échappée s'orchestre en effet, dès son sous-titre (« diospyros kaki ») autour d'un fruit réputé exotique (mais la définition même, silencieuse ou tacite, de l'exotisme se révèlera sans doute l'un des enjeux du texte), celui du plaqueminier du Japon, plus communément connu sous le nom de kaki. Mobilisant aux côtés de cette baie placée ainsi en position centrale un ensemble d'autres fruits, mais aussi quelques légumes, épices, voire autres mets possibles occasionnels,
Alexander Dickow transforme subrepticement d'abord les personnages d'Arcimboldo, déjà révoqués en doute dans le si beau «
Vanité aux fruits » de
Derek Munn, en personnages de kabuki, en conquistadores dévoyés, ou en ambassadeurs secrets d'un nouvel universalisme, débarrassé le cas échéant de ses oripeaux coloniaux. En une sarabande des goûts bien plus que des couleurs, il rejoint certaines préoccupations de
Ryoko Sekiguchi et notamment celles de son «
L'astringent », pour transformer progressivement un « simple » tour d'horizon des saveurs oubliées, méprisées ou banalement inconnues en un plaidoyer qui va s'affirmer au fil des pages comme rusé, et politique en diable. Prenant en apparence progressivement la contraposée du «
Éloge de la fadeur » de
François Jullien, nous voici vite plongés au coeur d'une guerre du goût, conflit à basse intensité mais néanmoins décisif à bien des égards.
La guerre du goût – qui est bien plutôt, fort peu bourdieusienne par là même, une esquisse d'anthropologie du jugement de goût par le biais de la curiosité – dévoile ensuite ses véritables enjeux, sans doute : suivant un cheminement souvent parallèle à, et largement aussi rusé que, celui de l'intelligence artificielle discrètement mise en scène par
Laure Limongi dans «
Ensuite j'ai rêvé de papayes et de bananes » (et reprise dans «
J'ai conjugué ce verbe pour marcher sur ton coeur ») – et on songera aussi certainement, ici, à celle construite par
Ian Soliane dans «
Basqu.I.A.t »), le terrain des opérations se déplace vers celui de la langue – et peut-être davantage encore vers celui de la traduction, autre métier d'
Alexander Dickow. Jouant d'abord de fruits spécifiques dont l'apparence même – ou, mieux, le changement de goût durant leur absorption – sonnerait comme une véritable trahison potentielle, il introduit au fur et à mesure de l'avancée de cette thèse masquée des tournures américaines, des syntaxes italiennes, des effets grammaticaux espagnols, pour mieux miner, faire claudiquer, faire résonner et faire raisonner cette langue française qui est ici le vecteur principal de la démonstration en cours.
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