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Gérard De Chergé (Traducteur)
EAN : 9782743660499
304 pages
Payot et Rivages (23/08/2023)
3.9/5   443 notes
Résumé :
Emily St. John Mandel renouvelle le thème classique du voyage dans le temps à sa manière unique, dans une histoire envoûtante qui entremêle époques et personnages jusqu'au vertige.

Quel est cet étrange phénomène qui semble se produire à diverses époques et toujours de la même façon ? Dans les bois de Caiette, au nord de l'île de Vancouver, des gens entendent une berceuse jouée au violon, accompagnée d'un bruissement évoquant un engin volant qui décol... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (99) Voir plus Ajouter une critique
3,9

sur 443 notes
°°° Rentrée littéraire 2023 # 21 °°°

Le roman est vraiment étonnant. Il démarre de façon très classique par le récit de l'exil forcé en 1912 au Canada Edwin, jeune aristocrate anglais qui ne rentre pas dans le rang, donnant peu idée de l'étrangeté à venir. Et puis Emily St. John Mandel change radicalement son braquet temporel avec des chapitres sis en 2020, 2203 et 2401, et surprend en faisant intervenir des personnages de ces précédents romans, Station Eleven et L'Hôtel de verre, sans faire de son roman une suite, plutôt une extension. Et surprend encore avec ses tropes SF ( colonies lunaires avec dômes climatisés et champs robotisés, voyage dans le temps ).

Oui, Emily St. John Mandel s'est bien emparée du genre SF. Mais ici, pas de monde à sauver ou de grosse machinerie de cet ordre. Plutôt que d'encombrer son intrigue d'avancées technologiques et gadgets geek, l'autrice se concentre sur les drames intimes qui secouent ses personnages et l'évolution de leur psyché. Sur un tempo limpide et apaisant, elle croise les différents arcs narratifs temporels en imaginant un superbe meta fil conducteur :

« Il titube péniblement entre les arbres et, quelques instants plus tard, Edwin se retrouve seul à scruter les branches. Il s'avance … et l'obscurité s'abat, comme provoquée par une cécité ou une éclipse. Il a l'impression de se trouver dans un intérieur caverneux, genre garde de chemin de fer ou cathédrale, il entend des accords de violon, il y a des gens autour de lui, puis un son impossible à identifier … »

Cette expérience paranormale est vécue de la même façon par les principaux protagonistes à des siècles d'intervalle, créant ainsi un suspense fragmenté qui se diffuse lentement, puis se déploie pour revisiter ce que l'on savait des personnages, permettant au lecteur de découvrir ce qui leur est arrivé dans les silences interstitiels et ce qui aurait pu leur arriver, jusqu'à ce que toutes les pièces du puzzle se mettent à leur place et donnent sens.

Même si la résolution en elle-même n'a rien de révolutionnaire, on est happé jusqu'à la fin, hypnotisé par l'élégance stylistique d'une écrivaine dentellière , par la beauté élégiaque et poétique qui se dégage d'un texte qui se fait méditation philosophique sur le temps, la solitude, ainsi que le libre-arbitre et les choix d'une vie dont on recherche le sens, inlassablement, douloureusement.

« Je pense que, en tant qu'espèce, nous avons le désir de croire que nous vivons le point culminant de l'histoire humaine. C'est une forme de narcissisme. Nous voulons croire que nous avons une importance unique, que nous vivons le dénouement de l'intrigue, que maintenant, après des millénaires de fausses alertes, arrive enfin le pire qui soit jamais arrivé : nous avons enfin atteint la fin des temps. (…) Et si c'était toujours la fin du monde ? (…) Parce que nous pourrions raisonnablement considérer la fin du monde comme un processus continu et sans fin. »

Un beau roman empreint de mélancolie, très inspiré.
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Variation du très exploré voyage dans le temps d'une manière unique, poétique et ludique…

Ce livre est un livre très agréable à lire, et qui happe son lecteur immédiatement. Il démarre en 1912. Edwin, jeune homme de la bourgeoisie anglaise, venu chercher un sens à sa vie aux Etats-Unis, arrive sur l'île de Vancouver. En s'enfonçant dans la forêt de Caiette, il entend tout à coup une musique, des accords de violon très exactement, suivi d'un bruit étrange impossible à identifier tout en ayant la sensation d'être dans une sorte de caverne très sombre. Cela ne dure que quelques secondes, mais le jeune homme en reste pétrifié et profondément bouleversé, ce d'autant plus qu'il fait la rencontre, dans cette même forêt d'un étrange personnage, un homme d'église, comme surgi d'on ne sait où…En 2020, Paul Smith et sa soeur Vincent, que nous avions rencontrés dans le précédent livre de l'auteure, L'hôtel de verre, puis en 2203, Olive Llewellyn, double de l'auteure qui vient de publier un roman post-apocalyptique situé pendant une pandémie et le confinement consécutif, vont vivre ou relater la même chose. En 2401 l'institut du Temps veille à la cohésion temporelle de l'univers et Zoey, brillante physicienne, s'interrogent sur ces anomalies qui la perturbent, bien trop de personnages ont vécu ce phénomène mystérieux qui semble traverser ainsi le temps et les époques. Que signifient-ils ?

Une théorie a émergé chez les transhumanistes de la Silicon Valley, théorie avec laquelle Emily St. John Mandel va s'amuser : Alors que vous êtes sur Babélio, sur votre ordinateur ou sur votre téléphone, que vous lisez ces lignes, puis que vous comptez aller vous reposer, ou préparer le repas, sortir le chien ou aller travailler, imaginez deux secondes, que vous ne soyez que le simple fruit d'une programmation informatique dans une sorte de vaste simulateur. Oui, et si nous vivions dans une simulation ? Qu'est-ce que l'existence dans ce cas ? Serait-ce si grave de vivre une pseudo vie dans une simulation si nous n'en sommes pas conscient ? « Si nous vivons dans une simulation, comment saurions-nous qu'il s'agit d'une simulation ? » Et comment vivre dans ces conditions si nous en avons l'intuition ?

L'auteure, d'une manière facétieuse, propose, pour répondre à cette question, d'éclater le monde en mille morceaux, de déchirer l'espace-temps, de croiser les histoires possibles avec grâce et poésie en une construction brillante mais sans rigueur et questionnement scientifique, d'où quelques facilités par moment qui peuvent faire tiquer le lecteur en quête d'explications plus poussées, je pense notamment aux plus férus de SF…C'est davantage un univers dans lequel nous invite Mandel que dans une quête de sens rationnel, la science-fiction n'est qu'un moyen mais pas une fin en soi. Ainsi voyons-nous des capsules lunaires dans lesquelles le ciel terrestre est reproduit, des forêts sur l'île de Vancouver dans lesquelles de drôles de personnages s'égarent, des périodes de confinement analysés de façon troublante…C'est un livre empreint d'une belle mélancolie et je dois dire que cela apporte beaucoup de charme venant compenser grandement la petite frustration éprouvée par les facilités scénaristiques que j'ai parfois pu ressentir.


Oui, nous sentons que Mandel a mis son propre vécu dans ce livre au travers du personnage d'Olive. Sur une colonie lunaire, en l'an 2203 cette écrivaine est connue pour avoir écrit un roman se déroulant après une pandémie. Elle est en tournée promotionnelle lorsqu'une véritable pandémie se déclenche, menant à des confinements. Troublant lorsque nous savons que Emily St. John Mandel, a écrit un roman post-apocalyptique quelques années avant une véritable pandémie et des confinements…De fait, Olive incarne à la fois la réalité de l'auteure (livre écrit certainement pendant le confinement quelques années après Station Eleven), son autobiographie (de nombreuses questions sur le pourquoi et le comment des romans post-apocalyptique , si nombreux, jalonnent le texte et nous sentons que ce sont des questions qui taraudent Mandel et dans ce livre elle donne des réponses et se confie. Elle fait même dire à Olive que les récits sur les voyages dans le temps est un thème rabattu, comme pour s'excuser d'en faire un nouveau) et la science-fiction qui est le thème de prédilection de l'auteure (l'histoire d'un voyage dans le temps que Mandel nous propose selon sa vision à elle, plus poétique que scientifique, plus ludique que sérieuse) qui se mélangent.

« Je suis convaincue que si nous nous tournons vers la fiction post-apocalyptique, ce n'est pas parce que nous sommes attirés par le désastre en soi, mais parce que nous sommes attirés par ce qui, dans notre esprit, risque fort de se produire. Nous aspirons en secret à un monde moins technologique ».

Lire L'hôtel de verre avant de lire ce livre-là n'est pas une condition nécessaire mais comme il est plaisant de retrouver les personnages de ce précédent livre lorsque nous les connaissons ! C'est un plus indéniable.
Bien sûr, qui dit voyage dans le temps dit modification, ou pas, de l'histoire, éternelle et passionnante question. de nombreuses questions métaphysiques, celles relatives au voyage dans le temps mais d'autres aussi, sont abordées avec pertinence.

« Il y a toujours quelque chose. Je pense que, en tant qu'espèce, nous avons le désir de croire que nous vivons le point culminant de l'histoire humaine. C'est une forme de narcissisme. Nous voulons croire que nous avons une importance unique, que nous vivons le dénouement de l'intrigue, que maintenant, après des millénaires de fausses alertes, arrive enfin le pire qui soit jamais arrivé : nous avons enfin atteint la fin des temps ».


L'auteure renouvelle donc le thème très classique du voyage dans le temps à sa manière unique, dans une histoire envoûtante qui entremêle époques et personnages, jusqu'au vertige. C'est beau, mélancolique, haletant, c'est une façon vraiment singulière d'approcher ce thème récurrent de la Science-Fiction. Si certaines facilités ont quelque peu, par moment, tempéré mon enthousiasme heureusement il a été également bien nourri par le charme réel du livre. Je l'ai lu d'une traite avec grand plaisir et c'est un livre de science-fiction accessible au plus grand nombre qui ne peut laisser indifférent.

« Aucune étoile ne brûle éternellement ».

Un grand merci à Stéphane ( @Lenocherdeslivres ) à qui je dois la lecture des deux livres de cette auteure, j'ai suivi ses conseils, excellents, en lisant d'abord L'hôtel de verre puis La mer de la tranquillité.

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De la friture sur l'horloge.
Avec toutes ces histoires de machines à voyager dans le temps, de fantasmes uchroniques et d'altérations inopinées du passé, on peut se demander ce qu'attend la science pour se mettre au diapason de la littérature depuis le roman d'H.G Wells en 1895. Chercheurs, arrêtez de chercher, garez la DeLorean en double file et essayez de trouver de temps en temps, nom de Zeus ! Il suffirait de transformer nos rêves en équation.
Comme la logistique a donc du mal à suivre, Emilie St John Mandel science-frictionne à son tour sur ce marronnier de campeurs de la Lune, sans se focaliser sur le mode d'emploi des treks temporels. Lors d'une croisière, on ne visite pas la salle des machines. Elle s'intéresse aux émotions de ses personnages et aux passions qui tatouent la mémoire. Les personnages ont des brèches dans lesquelles le temps se faufilent.
En 1912, un jeune anglais oisif qui se cherche s'exile sur l'île de Vancouver et il est témoin d'un phénomène étrange dans une forêt : écran noir, notes de violon et vrombissement d'une machine inconnue. Encore plus bizarre que de tomber sur quelques illuminés qui font des câlins aux arbres avec leur Sylvothérapeute à polaire parce qu'ils n'ont personne pour leur gratter le dos à la maison. Bégaiement du coucou ? Interférences entre l'heure d'hiver et l'heure d'été ? Overdose de cèpes ?
En 2020, Mirella, veuve depuis « l'Hôtel de Verre », ce personnage secondaire du précédent roman d'Emilie StJohn Mandel, dont je vous conseille la lecture, assiste à la projection d'une vidéo lors d'un concert expérimental mettant en scène une amie disparue qui témoigne du même phénomène. L'hallucination ne peut pas être collective et ce n'est pas non plus une intoxication avec le jus de cèleri et l'émulsion de fèves du tonka servis pendant l'entracte pour la faune culturelle citadine. J'extrapole.
Cet arrêt sur image fait l'objet également d'une description dans le roman d'une certaine Olive Llewellyn, écrivaine d'une colonie lunaire venue promouvoir son livre sur terre en 2203, en pleine pandémie. Nouvelle référence à un précédent ouvrage de l'auteure : le magistral « Station Eleven ».
Un personnage mystérieux, Gaspery Roberts, vacataire du futur à l'Institut du temps, enquête sur cette anomalie et s'invite dans les trois époques incognito pour comprendre l'origine du bug.
La manie de vouloir réécrire l'histoire ne date pas de nos petits déboulonneurs de statues mais ce récit est bien plus intéressant que ces moralisateurs du passé car il interroge la réalité du monde et l'incapacité à être heureux dans le moment présent.
Pour les cinéphiles, l'atmosphère du roman est plus proche de « l'année dernière à Marienbad » d'Alain Resnais que de Matrix. Emilie St John Mandel (on dirait un nom de personnage de la série policière en charentaise « Barnaby ») nous épargne les effets spéciaux de manche mais elle structure son roman comme une succession d'illusions pour des personnages qui ne recherchent plus le temps perdu, étouffés par des madeleines au goût amer. Perso, je préfère les Figolus.
J'ai apprécié la construction du récit et le dénouement donne presque envie de reprendre les premiers chapitres pour revisiter l'histoire avec toutes les clés de compréhension.
Je trouve aussi que la science-fiction sied (ODP, tu m'as scié, arrêtes de lire des classiques, tu écris comme un mort) plutôt bien au style évanescent et froid d'Emily St.John Mandel.
Je ne savais pas que la mer de la tranquillité est une mer lunaire située sur la face de la lune qui montre ses fesses à la Terre. Pensez à mettre vos tongs la prochaine fois que vous serez dans la lune.
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Je lis les chroniques de tout le monde qui glorifie ce roman, et je me demande pourquoi, moi je ne ressens pas la même chose.
Pourtant, à la lecture de ce récit, je pensais à deux films que j'adore énormément : La Jetée de Chris Marker et l'Armée des 12 singes de Terry Gilliam, notamment avec tous ses passages où Gaspery apparaît dans la vie de certains à différents moments de leur existence (les fillettes, le pont, un meurtre). Parce qu'il y a des fuites dans le passé pour ne pas revenir, parce qu'on peut se faire arrêter si on ne respecte pas la ligne du temps, parce qu'il y a des histoires du virus… Alors, j'aurais dû apprécier ce roman.
Le mystère qui entoure cette rupture du temps à Caiette sous l'érable avec la berceuse au violon et le son de l'aéronef, poésie auditive transmis par l'écrit, aurait également dû me plaire, me fasciner…
Parce que ses histoires de la vie sur La Lune sous les dômes, avec ses lumières éteintes et sans ses sons de la Terre, étaient le reflet d'une vie terrifiante pour ceux qui connaissent le chant des oiseaux et les belles lumières que l'on peut voir sur Terre par exemple, lorsque les nuages sont rose et orange au levée du Soleil…
Parce que j'adore les romans qui parlent de Voyage dans le temps. Mes préférés étant le Grand Livre de Connie Willis, Terminus de Sweterlitsch, Destination Fin du monde de Silverberg, Flashforward de Robert J.Sawyer, La Brèche de Lambert…
Tout était présent pour apprécier ce roman. J'adore son écriture, j'ai adoré Station Eleven et L'Hôtel de Verre… Et toutes ses belles citations qu'elle nous transmet, ses belles réflexions qu'elle nous évoque…

Mais alors,
Alors pourquoi me suis-je tant ennuyée pendant ma lecture ? La fatigue ? Suis-je devenue blasée par des lectures similaires ? J'espère bien que non. Ce serait plus que triste. Alors, je souhaite que ce ne soit que la fatigue et que dans quelques années, je me projette à penser, à un voyage dans le temps vers le futur, dans lequel j'ouvrirais de nouveaux les pages de la Mer de la Tranquillité, pour mieux l'apprécier cette fois-ci.
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Mélancolie intemporelle

Un phénomène surnaturel survient toujours de la même façon à différentes époques.
Une expérience intense et intrigante pour ceux qui la vivent. Une berceuse jouée au violon suivie d'un bruit très étrange qui pourrait être celui d'un engin spacial qui décolle.
Peu évident pour Edwin, l'exilé anglais, qui en 1912 va vivre un moment absolument hallucinant au pied d'un érable d'une forêt de l'île de Vancouver. Tout cela n'est qu'un début car Emily St John Mandel va nous faire voyager sur un axe temporel qui va nous mener jusqu'en 2401, sur une colonie lunaire.
En cette année très lointaine, l'institut du temps détecte une anomalie qui vient perturber la cohésion temporelle de l'univers. Zoey, une brillante physicienne s'interroge sur la reproduction de ce phénomène et laisse alors partir à regret son frère mener une enquête à travers différentes époques...

Si j'ai trouvé la partie historique intéressante, la partie contemporaine ne m'a pas vraiment transporté. Tout a réellement décollé pour moi lorsque l'on est passé dans le futur. Une dimension où Emily St John Mandel excelle avec maestria.
Boucles temporelles, anomalies, simulations, colonies lunaires technologies avancées, l'auteure nous suggère des univers très évocateurs et nous promène avec aisance sur l'axe du temps.
Mais attention, ici la science-fiction est un moyen et non une fin. Les adeptes des voyages temporels risquent la déception. Ce roman aborde avant tout des questions métaphysiques. Quelles répercussions peuvent avoir nos choix sur nos existences ? Les traces que nous laissons peuvent elles avoir un impact sur l'avenir ?
Et surtout, des sentiments qui modèlent à eux seuls une belle histoire mystérieusement fantastique.

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critiques presse (2)
LaPresse
30 octobre 2023
Différentes trames narratives s’entrecroisent dans ce roman fascinant qui mêle les époques, jusqu’à une finale qui réussit avec élégance à faire concorder ces innombrables fils rouges que tend l’autrice entre les différents personnages et lignes du temps.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LaLibreBelgique
28 septembre 2023
Dans "La mer de la tranquillité", Emily St. John Mandel imagine que l'on puisse se promener sur la ligne du temps pour en corriger les anomalies. Non sans risque.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (45) Voir plus Ajouter une citation
" Jeune homme, déclara son père, nous n'avons fait qu'apporter la civilisation à ces gens...
- Et pourtant, reprit Edwin, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'ils semblent plutôt préférer la leur, en fin de compte. Leur propre civilisation, j'entends. Ils se sont très bien débrouillés sans nous pendant pas mal de temps, n'est-ce pas ? Plusieurs milliers d'années, si je ne m'abuse ?"
(...)
"Pourquoi partons-nous du principe que ces contrées lointaines nous appartiennent ?
- Parce que nous les avons gagnées, Eddie, déclara Gilbert après un bref silence. On peut supposer que les natifs d'Angleterre n'ont pas été unanimement ravis de l'arrivée de notre aïeul au vingt-deuxième degré, mais bon, l'Histoire appartient aux vainqueurs.
- Guillaume le Conquérant, c'était il y a mille ans, Bert. Nous devrions quand même être capables de nous montrer un peu plus civilisés que le petit fils dément d'un pillard viking."
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La première colonie lunaire fut construite sur les vastes plaines silencieuses de la Mer de la Tranquillité, à proximité de l'endroit où les astronautes d'Apollo 11 avaient aluni en un siècle reculé. Leur drapeau était toujours là, au loin, fragile petite statue sur la surface sans vent.
L'immigration dans la colonie suscita un vif intérêt. La Terre était alors extrêmement surpeuplée et nombre de régions en avaient été rendues inhabitables par les inondations ou la chaleur.
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Jamais plus à la Cité de la Nuit. Cette phrase avait un rythme qui me plaisait, si bien qu’elle se logea dans ma tête. J’y pensai souvent au cours de ma première semaine de travail, car celui-ci était d’un ennui motel. L’hôtel ayant des prétentions rétro, je portais un costume coupé dans un style antédiluvien et un chapeau d’une forme insolite appelé fédora. J’arpentais les couloirs et montais la garde dans le hall. J’étais attentif à tout et à tous, conformément aux instructions. J’ai toujours pris plaisir à observer les autres, mais les clients d’hôtels se révélaient étonnamment inintéressants. Ils arrivaient et ils repartaient. Ils apparaissaient dans le hall à des heures improbables, réclamant du café. Ils étaient ivres, ou ils étaient sobres. C’était des hommes d’affaires, ou alors ils étaient en vacances avec leur famille. Ils étaient éreintés par leurs voyages. Certains essayaient d’introduire en douce des chiens. Les six premiers mois, je ne dus alerter la police qu’une seule fois, après avoir entendu une femme hurler dans l’une des chambres de l’hôtel, et ce ne fut même pas moi qui passai l’appel : j’allai trouver le manager de nuit, qui appela la police à ma place. Je n’étais pas présent quand la femme fut emportée sur une civière par les urgentistes.
Le job était tranquille. Mon esprit vagabondait. Jamais à la Cité de la Nuit. Quelle avait été la vie de Talia là-bas ? Pas formidable à l’évidence, n’importe quel imbécile pouvait s’en rendre compte. Certaines familles sont meilleures que d’autres. Quand la sienne avait quitté la maison d’Olive Llewellyn, une autre avait emménagé, mais je n’arrivais pas à me souvenir de cette nouvelle famille en dehors d’une impression générale de déréliction. À l’hôtel, je ne voyais Talia qu’épisodiquement, traversant le hall quand elle rentrait chez elle après le travail.
À cette époque, j’habitais un petit appartement terne situé dans un bloc de petits appartements ternes à l’extrême bout de Colonie Un, si près du Périphérique que le dôme frôlait presque le toit du complexe résidentiel. Parfois, quand il faisait nuit noire, j’aimais à traverser la rue jusqu’à la route périphérique pour regarder, à travers le verre composite, les lumières de Colonie Deux qui scintillaient au loin. Ma vie, en ce temps-là, était aussi terne et étriquée que mon appartement. J’essayais de ne pas trop penser à ma mère. Je dormais toute la journée. Mon chat me réveillait en fin d’après-midi. Au coucher du soleil, j’avalais un repas qu’on pouvait raisonnablement considérer comme un dîner ou comme un petit déjeuner, j’endossais mon uniforme et me rendais à l’hôtel pour observer des gens sept heures durant.
Je travaillais depuis environ six mois lorsque ma sœur eut trente-sept ans. Zoey était physicienne à l’université et son domaine d’expertise avait un rapport avec la technologie quantique de la blockchain, concept que je n’avais jamais été capable de comprendre malgré les efforts louables de ma sœur pour me l’expliquer à plusieurs reprises. Je l’appelai pour lui souhaiter un bon anniversaire et je m’aperçus, juste avant qu’elle décroche, que je ne l’avais pas félicitée pour sa titularisation. Qui remontait à quand ? Un mois ? Je ressentis une variété familière de culpabilité.
« Joyeux anniversaire, lui dis-je. Et félicitations, aussi.
– Merci, Gaspery. » Elle ne s’appesantissait jamais sur mes manquements, et je n’arrivais pas tout à fait à analyser pourquoi cela me donnait le sentiment d’être si lamentable. Il y a une douleur sourde, spécifique, à devoir accepter le fait que tolérer vos défauts requiert une certaine générosité d’esprit chez les êtres que vous aimez.
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Edwin St.John St.Andrew, dix-huit ans, traîne le poids de son nom doublement sanctifié à bord du bateau à vapeur qui traverse l'Atlantique. Les yeux plissés contre le vent qui souffle sur le pont supérieur, il se cramponne au bastingage de ses mains gantés, impatient d'avoir un aperçu de l'inconnu, s'efforçant de discerner quelque chose - quoi que ce soit ! - au-delà de la mer et du ciel, mais il ne voit que des dégradés de gris sans fin. Il est en route vers un monde différent.
(Incipit)
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À Buenos Aires, Olive rencontra une lectrice qui tenait absolument à lui montrer son tatouage. « J’espère que vous ne trouverez pas ça bizarre », dit la femme en remontant sa manche pour révéler sur son épaule gauche une citation du livre – 'Nous savions que ça allait arriver' – tracée d’une belle écriture cursive.
Olive en eut le souffle coupé. Ce n’était pas simplement une réplique de 'Marienbad', c’était un tatouage qui figurait dans Marienbad. Dans la seconde moitié du roman, son personnage Gaspery-Jacques avait cette phrase tatouée sur le bras gauche. Vous écrivez un livre avec un tatouage fictif et voilà que celui-ci prend corps dans la réalité ; après ça, presque tout semble possible. Elle avait déjà vu cinq tatouages semblables, mais c’était toujours aussi extraordinaire d’observer comment la fiction pouvait déteindre sur le monde et laisser une marque sur la peau de quelqu’un.
– C’est incroyable, dit-elle dans un murmure. C’est incroyable de voir ce tatouage dans le monde réel.
– C’est la phrase de votre livre que j’ai préférée, dit la femme. Elle est vraie dans tellement de domaines, n’est-ce pas ?

p.107
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Vidéo de Emily St. John  Mandel
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