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EAN : 9782203213319
200 pages
Casterman (04/03/2020)
4.06/5   149 notes
Résumé :
Berlin, avril 1945. Ingrid est allemande et sort de plusieurs années d’enfer sous le régime nazi. Evgeniya est russe et vient d’arriver à Berlin avec l’armée soviétique pour authentifier les restes d’Hitler. La première est épuisée, apeurée par les « barbares » qu’elle voit débarquer chez elle, tandis que la seconde, débordante de vie et de sollicitude, est intriguée par cette femme avec qui elle doit cohabiter. Mais chacune tient un journal intime, ce qui permet au... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (45) Voir plus Ajouter une critique
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Il faut plonger dans cet album graphique hors du commun, se laisser prendre par cette ambiance de fin du monde, cette fin de Reich dans ce qui fut la capitale d'une folie aux conséquences inquantifiables autant qu'épouvantables.
Tellement de vies ont été bouleversées, brisées, abrégées à cause d'une idéologie imposée puis acceptée par la majorité d'un peuple cultivé et discipliné, ce qu'il ne faut surtout pas oublier.
Avec Seules dans Berlin, Nicolas Juncker révèle non seulement un talent de dessinateur très original mais il réussit aussi une oeuvre d'historien que j'ai pu découvrir grâce à Vincent que je remercie.
Les deux femmes que tout oppose : une jeune russe, agent du NKVD, la police politique soviétique, et une berlinoise, bourgeoise qui aime un waffen-S.S. Toutes les deux, elles ont existé et ont livré chacune leur témoignage sur lequel Nicolas Juncker s'est appuyé pour bâtir son album.
En trois grandes parties se déroulant dans les derniers jours d'avril et au début du mois de mai 1945, ces deux vies qui se rencontrent, concentrent tous les drames et toutes les atrocités apportées par la guerre.
Dès le début, c'est Ingrid qui me plonge sans ménagement dans ce que vivent les Berlinois terrés dans leurs immeubles en ruine, dans des caves, alors que leur ville est bombardée et que les Russes approchent. Certains y croient encore comme Lothar, adolescent embrigadé dans les jeunesses hitlériennes. D'autres espèrent pouvoir manger avec l'arrivée de l'Armée rouge. Ingrid travaille avec le docteur Müssling pour la Croix-Rouge allemande.
Celle qui arrive avec l'armée russe est interprète. Malgré son appartenance au NKVD, cette police politique qui donnera le tristement célèbre KGB, Evgeniya Abramovna Levinsky, tente d'apporter un peu d'humanité au cours de ses rencontres.
Justement, pour se loger, elle se retrouve dans la même chambre qu'Ingrid Schneider (28 ans) puisqu'elle veut bien l'accepter. Evgeniya note tout car elle veut rédiger ses mémoires. Ses fonctions l'amènent au coeur du Führerbunker où elle est chargée de traduire les documents abandonnés par Hitler, Goebbels et consorts. Justement, où sont passés ces sinistres personnages ? Recherche et identification des corps ou de ce qu'il en reste sont bien démontrées par l'auteur.
Dans cet album graphique, il y a d'abord à voir et je reconnais avoir eu du mal avec les dessins de Nicolas Juncker. Pourtant, ils sont parfaitement adaptés à ce que vivent les gens au cours de ces journées terribles où l'on massacre et viole sans la moindre gêne.
La relation entre Ingrid et Evgeniya est très bien démontrée car ces deux femmes sont partagées entre compréhension et incommunicabilité.
Parce qu'elle a visité le camp de Theresienstadt avec la Croix-Rouge allemande, Ingrid rejette ce qu'Evgeniya lui apprend sur Treblinka et ce qu'on nommera plus tard, la shoah. Violée à de nombreuses reprises par les Russes, soldats et officiers, Ingrid tient son journal et sa lecture est terriblement impressionnante. C'est d'ailleurs une des caractéristiques de Seules à Berlin : des pages entières de dessins éloquents sans un mot et d'autres pleines d'une écriture dense.
L'horreur d'où qu'elle vienne est intolérable et j'ai trouvé de très haute tenue le travail de Nicolas Juncker. Seules à Berlin permet de ne pas oublier l'Histoire mais c'est d'abord une oeuvre artistique dont je tiens à souligner l'immense qualité.
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Librement inspiré par deux témoignages, Une femme à Berlin (anonyme) et Carnets de l'Interprète de guerre d'Elena Rjevskaïa, l'album Seules à Berlin est l'histoire de la rencontre de ces deux auteures. Cette histoire est une fiction, mais ces deux femmes qui ont servi de modèles à Nicolas Juncker ont réellement vécu. L'auteur en adaptant ces deux écrits, en les mêlant, réussit un album magnifique, bouleversant et passionnant.
L'une, Ingrid est allemande, proche du régime nazi, travaille pour la Croix-Rouge, et est aussi interprète russe, tandis que l'autre Evgeniya, russe, vient d'arriver à Berlin et fait partie du N.K.V.D. (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures).
Dans une première partie, nous faisons connaissance avec Ingrid pour les quelques journées du 20 au 27 avril .
Le récit débute donc le 20 avril 1945, à Berlin, le jour de l'anniversaire du Führer, mais l'ambiance n'est pas à la fête car le IIIème Reich vit ses derniers instants. Les habitants affamés se terrent dans les caves pour échapper aux bombardements alliés, tels des rats. La ville n'est que ruines et les Russes vont arriver. Parmi les Berlinois Ingrid, 28 ans, survit tout en continuant à écrire son journal et note « Les Russes… Ils seront bientôt là. Nous le savons tous. Les Russes… Avoir faim… Attendre. »
Une deuxième partie est consacrée à Evgeniya et couvre les journées du 30 avril au 3 mai avec la prise du Reichstag et le suicide d'Hitler. La jeune interprète de l'état-major russe de 19 ans, dont le supérieur est chargé de retrouver les restes d'Hitler après son suicide devra l'aider à procéder à son identification. Elle aussi tient un journal intime.
Les deux jeunes femmes vont avoir à se côtoyer, puisque Evgeniya va loger chez Ingrid. Nicolas Juncker décrit et illustre très bien cette cohabitation qui s'avère difficile, depuis le 3 mai jusqu'au 11 mai, date à laquelle « C'est désormais officiel. Nous avons trouvé Adolf Hitler. »
L'épilogue nous rend compte de l'après 11 mai jusqu'au 18 mai 1945 où Evgeniya quitte Berlin.
Nicolas Juncker a eu la fabuleuse idée de faire se rencontrer ces deux femmes, de faire croiser les deux destins de cette soviétique et de cette allemande proche des nazis, deux femmes que tout oppose et qui pourtant, devant cohabiter, ne seront jamais proches mais vont tisser un lien entre elles. L'écriture participe à cette union, chacune d'elle a à coeur de relater dans son journal ces difficiles et éprouvantes journées avec tout ce dont elles sont témoins ou carrément victimes. Elles se retrouvent d'ailleurs, dans une forme de violence exercée à leur encontre.
Les viols de guerre massifs commis par les soldats de l'Armée rouge ne sont pas omis et élément moins connu, l'une des premières consignes enseignées à ceux qui s'engagent « Il ne peut y avoir de prisonniers dans l'armée rouge, que des traîtres. »
Leurs journaux intimes respectifs dans lesquels elles content les derniers instants de Berlin sous le joug nazi sont des écrits essentiels.
En adaptant et en croisant deux romans, Nicolas Juncker réalise une sublime performance.
Si l'écriture est réussie, les dessins et les couleurs sont à la hauteur et le tout se combine parfaitement. le ton est donné dès le départ avec ces premières lignes « Berlin est un champ de gris. » et l'écrivain saura utiliser toutes les nuances de ce gris pour accompagner son récit illustré par les bâtiments en ruine et les visages émaciés et décharnés des Berlinois. Seules quelques touches de rouge sombre viendront rompre cet univers grisé lors de l'arrivée des Russes avec la prise du Reichstag.
Par le biais original de ces deux voix féminines extrêmement touchantes et vraies, Nicolas Juncker signe un formidable bouquin aussi passionnant qu'instructif.
Un grand merci à Vincent pour m'avoir permis cette belle découverte.

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"Seules dans Berlin", bande-dessinée de Nicolas Junker a d'office un intérêt évident : celui d'avoir été écrit, pour pouvoir être lu et que soit enfin connu un sujet longtemps passé sous silence.

Si la période de la seconde guerre mondiale a été maintes et maintes fois revisitée, je n'avais jusqu'alors rien lu qui relate le sort des femmes allemandes, à l'issue de la bataille de Berlin du 16 avril au 02 mai 1945, lorsque les Russes l'emportent contre les dernières résistances de la Wehrmacht.
Si je connaissais approximativement L Histoire, je n'avais en tête, pour ce qui fit alors le quotidien des Berlinois, que ces images en noir et blanc de ces habitants hagards, principalement des femmes évidemment, qui déblaient des monceaux de décombres dans un paysage apocalyptique.
Mais il existe tout un pan de cette période qui fut tu, ou du moins assourdi. Celle des femmes. Et particulièrement celle de Marta Hillers.

Nicolas Junker dans "Seules dans Berlin" livre une fiction, s'appuyant cependant très pertinemment sur deux témoignages de femmes, retranscrits dans :
• "Une femme à Berlin" (anonyme à sa publication, puis attribué à Marta Hillers en 2003)
• et "Carnets de l'Interprète de guerre" d'Elena Rjevskaïa (de son vrai nom Kagan), interprète membre du NKVD au sein de l'armée soviétique.


Nicolas Junker s'est inspiré du journal intime de Marta la Berlinoise, tenu entre le 20 avril et le 22 juin 1945, publié sous le titre "Une femme à Berlin", mais qui restera cependant anonyme... jusqu'en 2003!
Et pour cause, au vu des évènements qu'elle y rapporte et qui la marquèrent intimement:
entre avril et septembre 1945, environ deux millions d'Allemandes ont été violées par des soldats russes.
Marta Hillers a 34 ans à l'époque. Elle fera partie des nombreuses victimes de ces viols "de masse". Elle relatera la vie quotidienne des Allemands après l'arrivée des Russes dans Berlin : on manque de tout, nourriture, eau, électricité... A ces journées décharnées s'ajoutent les viols. Lorsque l'on connaît le "parcours du combattant" en 2021 d'une femme ayant subi un viol, pour faire entendre sa voix, accéder au droit à porter plainte et, à l'arrivée de ces procédures, au peu de condamnations, on imagine aisément comment furent traitées les femmes victimes de viol en 1945... Marta Hillers restera anonyme, car la publication de son journal (en anglais aux Etats-Unis, en 1954, puis en 1959 dans une version suisse germanophone) fait scandale: la journaliste est accusée de s'être "prostituée"!

Nicolas Junker casse enfin cette chape de silence et nous donne à imaginer ce que ces 2 millions d'Allemandes vécurent.

Pour mettre en perspective ces événements, l'auteur fait se rencontrer cette journaliste berlinoise qu'il nommera Ingrid, (personnage inspiré donc de Marta Hillers), avec Elena Rjevskaïa, cette engagée volontaire aux côtés de l'armée soviétique qui se révélera précieuse, car maîtrisant la langue allemande. Ses carnets sont une mine d'or, un témoignage de l'intérieur tout particulier en ces jours de guerre puisqu'émanant d'une femme. Elena y consignera ses journées, les derniers moments du Reich, sa découverte du bunker d'Hitler et de ses restes carbonisés, les nombreux interrogatoires d'Allemands et ses impressions.

Les deux regards de ces femmes, non seulement parallèles, mais en plus croisés et confrontés (puisque Nicolas Junker les fait cohabiter sous le même toit), enrichissent le récit et opèrent une mise en perspective passionnante, car nous voyons L Histoire avec les yeux du vaincu, mais aussi du vainqueur, véritable choc des propagandes, et cependant toujours avec le vecteur d'être femme dans ces événements.

Les planches en noir et blanc traduisent les abîmes dans lesquelles sont plongés les personnages, la dureté de la période, la violence et la brutalité partout. Et parfois, la couleur vient mettre en exergue un moment puissant : que ce soit la découverte d'une compote de pommes et l'explosion de sa saveur dans une bouche affamée, ou bien la prise du Reichtag tout en tons de rouge sombre.
Les visages peuvent paraître ébauchés car représentés sans bouche, mais ils donnent en réalité toute son ampleur aux regards. Des regards creux, absents ou hallucinés de ceux qui ne sont plus rien, le regard en bille noire d'Elena, pétrie de l'idéal communiste, mais qui conserve une forme de distance et lui permet une attitude quasi journalistique.

Difficile d'aborder en quelques planches et peu de textes la période majeure que constitua cette fin de guerre:
• l'auteur évoque ces jeunes totalement endoctrinés et lancés en victimes sacrificielles dans les derniers combats
• la violence de l'entrée dans Berlin des troupes russes dont les soldats, éprouvés par des années de combat, seront sans aucune pitié pour les civils, tous assimilés à des nazis
• le sort dramatique des soldats russes prisonniers en Allemagne et traités par leur propre pays comme des traîtres !
• le rôle très discutable De La Croix rouge allemande
• le "réveil" de tout un peuple qui semble soudain ouvrir les yeux sur la folie d'un régime qui les a menés en enfer; le déni face aux 1ers témoignages sur l'existence des camps de concentration
• l'opportunisme gras de ceux qui ne voient que leur intérêt et sont prêts, tout pro-nazis qu'ils étaient hier, à accueillir et nourrir les Russes...

Nicolas Junker sait restituer sobrement toute la cruauté de cette période, la désillusion et la résignation des vaincus, mais aussi le cynisme et l'ironie dans l'attitude des vainqueurs.
L'auteur dépeint un monde où plus rien n'a de sens, où des enfants au cerveau labouré par la doctrine nazie prennent les armes, où les femmes d'un peuple vaincu sont traitées pire que des bêtes. C'est l'horreur rajoutée à l'horreur. Si tant est que le nazisme n'avait pas aboli encore toute forme d'humanité, les exactions qu'engendre la fin de cette guerre parachèvent ce tableau dramatique.

J'ai trouvé très puissant et saisissant l'insertion des extraits, manuscrits, du journal intime du personnage d'Ingrid. Elena découvre ce journal et le lit. Elle y découvre les horreurs subies par Ingrid, relatés avec une telle honnêteté et tant de réalisme qu'on se retrouve nous aussi plongés dans ce cauchemar.

L'auteur a eu la sobriété de ne pas remettre dans le contexte de toute une guerre et de la montée du fascisme ces abominations vécues par les civils. Car évidemment, quand on lit ce témoignage, comment ne pas penser à tous ceux qui ont péri, massacrés, torturés pendant que bon nombre défilait le bras levé?
Comme il serait facile de fermer les yeux sur les exactions commises sur les civils.... À l'aune de combats barbares, il fut évident pour des soldats russes de ne voir dans ces femmes vaincues que des représentantes "pur jus" d'un nazisme déchu. Je salue l'intelligence de l'auteur à n'être pas tombé dans cette facilité sordide. Car la violence de la vengeance est un cercle sans fin. La question est si difficile, "L'ordre du jour" d'Eric Vuillard notamment éclaire en partie sur la complexité de cette guerre.

"Seules dans Berlin" est un ouvrage pour moi nécessaire, témoignage douloureux de celles qui se turent pendant des décennies, un pan de l'Histoire qui ne pouvait plus rester méconnu.
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Seules à Berlin est une BD dans laquelle Nicolas Juncker nous invite à visiter un coin obscur de la Seconde guerre mondiale.
Berlin, avril 1945. Autant vous dire que la guerre est presque finie et dans ce « presque » il y a beaucoup de choses qui peuvent encore se passer. C'est dans cette anfractuosité du temps que le récit s'engouffre et nous révèle la rencontre improbable de deux femmes qui n'avaient pas lieu de se retrouver sur le même chemin, qui plus est elles sont ennemies, l'une est allemande, l'autre russe.
Elle s'appelle Ingrid, elle est allemande, vit à Berlin, son compagnon est engagé dans les Waffen SS quelque part dans la guerre sur un de ses multiples fronts, sans qu'elle ne sache où. Elle subit de manière passive comme tant d'autres femmes et hommes depuis plusieurs années l'enfer du régime nazi. Sans doute fut-elle proche de ce régime comme tant d'autres citoyens allemands sans pour autant être engagée dans sa vision politique. Evgeniya est russe et vient d'arriver à Berlin avec l'armée soviétique pour authentifier les restes d'Hitler dont on vient d'apprendre le décès, son suicide dans son bunker. Elle fait partie du N.K.V.D. (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures).
Le hasard va les faire se rencontrer sous le toit de la même logeuse.
Dès les premières pages de cet album graphique hors du commun, j'ai été saisi dans le dessin, dans les traits des personnages par cette ambiance crépusculaire, de fin de règne.
L'originalité de cette BD, même traitée sous l'angle de la fiction, est la rencontre de deux personnages féminins ayant réellement existé et qui nous transmis leur récit respectif des événements de cette guerre dont elles ne seront jamais plus tard sorties indemnes.
L'une d'elle, je vous en ai déjà parlé dans ma chronique du récit Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 juin 1945, de Marta Hillers. Ce récit m'avait beaucoup touché. L'autre récit que je n'ai pas lu est Carnets de l'Interprète de guerre d'Elena Rjevskaïa.
Il est probable qu'elles ne se soient jamais rencontrées alors qu'elles étaient toutes deux plongées dans un Berlin apocalyptique au même moment. Il est possible cependant que cela fut. Dans un décor proche de l'enfer, Nicolas Juncker a l'excellente idée de les réunir dans cet album magnifique, bouleversant et passionnant.
Ce sont tout d'abord deux femmes que tout oppose et qui pourtant vont devoir cohabiter durant quelques semaines en raison des aléas de la guerre. Elles ne seront jamais proches mais vont cependant tisser un lien étrange et presque invisible entre elles. J'ai aimé l'écriture et les dessins qui participent à cette rencontre, chacune d'elle écrit son journal, relate les difficiles et éprouvantes journées, ce que chacune voit, ce dont elles sont témoins ou carrément victimes. Elles disent la violence de la guerre, le viol aussi. Ingrid fut violée comme tant d'autres femmes berlinoises durant cette période s'écoulant d'avril à juin 1945. Deux millions de femmes allemandes furent violées sur cette période par les soldats soviétiques, participant en tant qu'alliés à l'effondrement du régime du IIIème Reich.
Ingrid et Evgeniya se retrouvent ainsi dans cette violence exercée à leur encontre parce qu'elles sont femmes dans une guerre faite par les hommes, c'est cela qui les rapproche brusquement...
Ingrid fut violée peut-être par plusieurs soldats russes, en général c'était comme cela que les choses se déroulaient, continue de se dérouler d'ailleurs. Les récents événements relatant le conflit entre l'Ukraine et la Russie l'attestent. J'en veux pour preuve notamment les massacres de civils qui furent perpétrés dans la ville ukrainienne de Boutcha entre les 27 février et 31 mars 2022. C'est une pratique historique de l'Armée rouge, cela fut, cela le sera, fait partie d'une systématisation de masse qui dépasse la notion d'exaction. Non seulement les autorités russes ferment les yeux sur ces faits, les couvrent, mais les encouragent aussi. Il faut punir l'ennemi de toutes les manières possibles. Cela fut toujours ainsi. C'est une sorte de manière de servir dans son ensemble la grande cause patriotique qui anime le fameux dessein russe, depuis Alexandre 1er jusqu'à Vladimir Poutine en passant par Joseph Staline.
Dans ce chaos au bord de l'abîme, chacune écrit son journal, tente de survivre à travers les mots pour dire l'horreur, le désarroi, leurs émotions souterraines. Ces deux voix féminines sont extrêmement touchantes, rendues vraies par la sensibilité du texte et du dessin de Nicolas Juncker. Elles seront éternelles.
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C'est un album dans toutes les nuances de gris ; mais d'un gris effroyable…
Feldgrau, gris taupe, gris anthracite, gris fer, vert-de-gris, gris poussière et puis gris cendres.
C'est aussi un album hors du commun qui montre la Bataille de Berlin vue par les femmes.
L'histoire se situe à l'aube de la Libération entre avril et mai 1945 ; Berlin, comme d'autres grandes villes allemandes telles Dresde, Hanovre ou Hambourg, vient d'être anéantie sous les bombes américaines et britanniques. Les ruines encore fumantes sont réduites à l'état de poussière sous les obus et les chenilles des chars russes ; l'Armée Rouge pille se qui reste encore debout tandis que ses soldats couchent sauvagement et violent les berlinoises sans limite d'âge.
Ingrid, 28 ans, est allemande et travaille pour la Croix-Rouge.
Evgeniya Levinsky, 19 ans, est russe et fait partie des troupes d'élite du N.K.V.D., une sorte de Commissariat du Peuple aux Affaires Intérieures, l'équivalent de la Gestapo.
Les routes vont se croiser et ces deux femmes que tout oppose vont trouver pendant quelques jours un terrain d'entente.

A Berlin, en ce printemps 45, le quotidien est devenu très difficile pour les enfants, les filles, les femmes et les vieillards qui subissent l'effondrement total de leur pays devenu fou sous l'emprise du parti national-socialisme. Comme figuré dans le film de Roberto Rossellini : ALLEMAGNE ANNÉE ZÉRO, de nombreuses régions sont devenues des champs de ruines et les villes ne sont plus que carcasses d'immeubles calcinés où se terre une population affamée et hébétée perpétuellement à la recherche de sa nourriture quotidienne ; les bébés mal-nourris meurent de faim. Les malades affaiblis meurent de faim.
Les troupes d'élite du N.K.V.D. étaient entrainées pour effectuer les missions les plus dangereuses comme les infiltrations ou les parachutages derrière les lignes ennemies. D'autres unités étaient à l'origine des forces spéciales soviétiques chargées des camps de prisonniers de guerre et des exécutions. Cette police militaire influente et redoutable - capable de tirer sur ses propres soldats refluant des assauts ou se prêts à se rendre à l'ennemi - tenait son formidable pouvoir du haut commandement et rendait compte directement à Staline. La mission de l'unité berlinoise dans laquelle était affectée la camarade Levinsky était de localiser la dépouille d'Adolf Hitler
Le comportement des soldats soviétiques était certainement ambivalent ; ils n'avaient pas la moindre pitié pour les femmes qui tombaient entre leurs mains – la guerre est une affaire d'homme, le viol est une arme de guerre – mais ils prenaient soin des malades et des blessés. Les actes de viol, d'agression ou d'esclavage sexuel perpétrés par l'Armée Rouge étaient très fréquents même si le haut commandement dénonçait la pratique et condamnait à la déportation ou à la peine de mort les coupables. A peine les rues sécurisées, les soldats se précipitèrent dans les caves et se livrèrent au pillage. Ils emmenèrent des femmes et des jeunes filles : Humiliation, affaiblissement, assujettissement et destruction ; viols multiples et collectifs fréquemment commis en public et le plus souvent accompagnés de brutalités et de coups. Dans certaines maisons on se livrait un monstrueux trafic de femmes même s'il arrivait que des soldats russes pris en flagrant délit de viol fussent abattus d'un coup de pistolet par leur officier.

Ingrid tient un journal intime XXXXX. Elle raconte XXXX son quotidien XX. Elle aligne chaque jour XXX des croix XXXXXXX qui attestent de toutes les fois où elle subit XXXXX l'innommable XXXXXX… Tous les jours XXXXX il y a des croix parce que XXX tous les jours XXXX il y a eu viol.
Son journal signera aussi sa perte car certains soldats allemands de retour des camps de prisonniers ne pardonnèrent pas à leurs femmes cette ultime infamie.
Désastre.
La Seconde Guerre mondiale fut probablement le conflit militaire le plus meurtrier de l'histoire. Entre 60 et 85 millions de personnes furent tuées, ce qui représentait plus de 2,5 % de la population mondiale de l'époque.
Les femmes et les plus fragiles payèrent un lourd tribut.
Les conséquences et les traces indélébiles des exactions subies par les femmes ne partirent pas à la machine. Lavage après lavage le tissus se déchira davantage jusqu'à partir en lambeaux. Jamais il ne reprendra pas sa couleur d'origine.
Le gris des hommes.
La solitude des femmes.
Un album d'une force effroyable. Un dessin dur et expressif que j'aurai aimé plus soigné, moins anguleux, mais il rapporte la dureté de cette tragédie.
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critiques presse (1)
BoDoi
28 août 2020
Seules à Berlin est un bijou pas toujours facile d’accès, dont la subtilité se mérite au fil de pages un brin arides, mais habilement agencées.
Lire la critique sur le site : BoDoi
Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Berlin est un champ de gris.
Berlin était déjà la capitale du gris.
Gris taupe, gris anthracite, gris fer, vert-de-gris,
gris du Volkischer Beobachter.
Mais un nouveau gris s’est abattu sur la ville,
le gris de la poussière et des cendres,
le fruit des avions américains et anglais, des canons russes.
Un gris cosmopolite, omniprésent, poisseux,
un gris dont on ne peut se débarrasser.
Un gris juif, en somme.
Commenter  J’apprécie          270
Chez les rats, ce sont les femelles qui travaillent. Amazones d’un Reich sans eau courante, sans charbon, sans gaz ni électricité. Seules capables d’improviser une soupe d’orties ou une salade de pissenlits arrachés au bitume.
Les mâles, eux, sont perdus. Ce Reich n’est plus le leur. Ils gisent tels des bateaux en cale sèche.
Incapables. Inertes. Inutiles.
(page 17)
Commenter  J’apprécie          290
Les femmes de l’Armée rouge.
Elles se sont engagées pleines de haine et de violence. Se sont battues deux fois plus que les hommes. Parce qu’on ne leur pardonnait rien. Parce qu’on attendait deux fois plus d’elles. Parce qu’elles savaient le sort que les Allemands leur réservaient. Empalées, yeux crevés, seins coupés. Parce qu’elles devaient se protéger aussi de nos propres soldats.
(page 56)
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- C’est l’une des premières consignes qu’on nous apprend quand on s’engage… Il ne peut y avoir de prisonniers dans l’Armée rouge, que des traitres.
- Et tu me dis ça comme ça ? Mais vous ne valez pas mieux que nos S.S. ?
- Mmmh… C’est vrai que j’ai vu bien des nôtres se faire fusiller par le NKVD au cours de cette guerre…
(page 168)
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Et puis, on a quand même conquis un continent ! Ça aussi, ils seront bien obligés de le reconnaître, plus tard !
- Oh ! À propos ! À propos des pays étrangers ! Saviez-vous quel est le mot allemand le plus connu à l’étranger ? Kaputt ! Ah ! Ah ! Ah !
(page 26)
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