Éteignez télévisions, ordinateurs et téléphones portables, coupez la radio, éloignez les journaux, vous avez avec ce petit livre «
Sous le ciel de l'Altaï » une manière poétique et simple de vous dépayser totalement et de perdre vos repères aux confins de la Chine.
Déconnexion salvatrice et précieuse, de temps à autre, en ces temps anxiogènes. Rien qu'un regard sur la couverture choisie par les éditions Picquier, et aussitôt le mauve des montagnes vous enlace de sa quiétude. Regardez, ouvrez, respirez. Ce livre vous promet une belle récompense : le dernier chapitre qui est d'une beauté à couper le souffle…
Li Juan a acheté avec sa mère et sa grand-mère un petit atelier de couture qui fait aussi épicerie sur les hauts plateaux de l'Altaï, « là où le ciel est d'un bleu étincelant, la lumière éblouissante sur les étendues immenses de la steppe ». Loin de tout. Pour y accéder il faut d'abord traverser une grande partie du désert de Gobi puis une grande chaine de montagne. Un mode de vie sauvage et nomade puisque toutes trois suivent les éleveurs kazakhs dans leur transhumance. Ce sont ces récits, écrits entre 1998 et 2003 dans cet atelier semi-ambulant, ses témoignages de cette vie rude et solitaire qui nous parviennent, empreints de poésie, de fraicheur et d'humilité.
Ce processus créatif qu'est l'écriture permet à l'auteure d'atteindre une plus grande harmonie, une vie plus sereine et plus lucide et de conserver les beaux sentiments de ce passé à la fois difficile et beau que les femmes de la famille ont choisi, en toute conscience, pour s'éloigner du système.
« Dans ces montagnes, la vie se déroule sous un voile indécis, comme si le temps ne se mesurait qu'à l'aune des fêtes ou des aléas du climat, sans que jamais se fasse sentir le cycle des jours. Cependant, même si on ignore quel jour on est, il passera tout de même ce jour, il passera comme une ombre ».
La vie de Li Juan est une vie de travail, souvent même de dur labeur (le métier de couturière nous est décrit avec détails et, dans cette vie dénuée de tout, n'est alors pas une activité facile, quant à celui d'épicière, il les met en contact avec beaucoup d'hommes complètement ivres) mais aussi de bonheurs simples basés sur le moment présent, même si les conditions de vie sont rudimentaires, précaires, et que espace de travail et espace de vie personnelle se confondent.
Cette lecture nous permet de relativiser en ces temps troubles, nous invite à plonger dans un monde d'un autre temps, le monde d'avant, sans technologie, sans surconsommation, sans compétition…et la poésie qui imprègne la description des paysages nous abreuve de douceur, de caresses particulièrement bienvenues.
« La rivière traverse ce bois lumineux comme une plongée dans la nuit. Sous l'épais couvert des arbres, les eaux sont obscurcies par la pénombre, mais les ombres mouvantes laissent passer des éclats de lumière. Quand la rivière traverse le bois, elle semble plus limpide que lorsqu'elle coule en plein soleil. Les rochers qui affleurent au milieu du courant, lavés par les eaux, ne portent ni poussière, ni lichen ».
Li Juan nous conte ce qui fait son quotidien depuis les rigueurs hivernales, le fonctionnement surprenant et erratique d'organisations telles que la banque ou la poste, le comportement en société des hommes et des femmes, celui des enfants, les succès et les déconvenues du commerce familiale, sa brève histoire d'amour avec un transporteur, Les difficultés de s'occuper d'une grand-mère vieillissante, les réactions imprévisibles d'une mère un peu sauvage.
Mais aussi, sur un plan plus ethnographique, les moeurs, les us et coutumes des musulmans kazakhes qui sont une inépuisable source d'étonnement pour elle qui est han, ainsi que le bonheur procuré aux habitants lorsqu'un nouveau vêtement est coud et donc le sens de ce métier dans une région où il est rare de s'acheter un nouveau vêtement. Un tableau accepté, ni rejeté, ni idéalisé, décrit seulement, avec ses différences nuances de gris et ses aplats de couleurs.
Les chapitres s'enchainent comme de petites nouvelles à déguster, de petites aventures dont certaines ne manquent pas d'humour ou de tendresse. La toute dernière, comme évoqué en préambule, est une véritable pépite de Nature Writing au temps suspendu, une errance dans ces paysages où « l'être humain approche en un clin d'oeil l'éternité et la mort ». Nous est dévoilé un monde merveilleux, vaste, proche, authentique avec lequel et dans lequel on se sent être en connivence.
« Ce que je cherche à exprimer, c'est que ce monde dépasse tout ce qu'on peut imaginer de bienveillant, de juste et de beau. Ici est ma vie (…) le monde est à portée de ma main. Dès que je me couche, le sommeil vient. J'ai de quoi me nourrir et me vêtir. Je ne vois pas ce qui pourrait me manquer. Si, je n'ai pas d'amour. Mais est-ce bien vrai ? Quand je vois celui qui vient vers moi, quel est cet élan qui jaillit soudain dans mon coeur ? ».
En ouvrant ce livre, vous allez plonger dans la littérature chinoise certes, mais surtout dans la singularité d'une littérature kazakh aux accents très poétiques, une littérature de l'Altaï, des steppes et des yourtes, un récit qui permet de s'évader, de couper avec les technologies et avec le cycle du temps. Une littérature salvatrice.
« C'est un mode de vie très ancien qui a traversé les siècles avec aisance, qui est en accord avec l'environnement, en étroite relation avec lui, si bien qu'il est devenu aussi naturel que la nature elle-même. Les enfants qui grandissent dans ce milieu, j'observe leur résistance, leur innocence, leur douceur, leur calme ; ils sont faciles à contenter, il leur en faut peu pour être heureux : et ça aussi, c'est en accord avec la nature ».