Au retour, nous traversâmes des faubourgs affreux avec d'horribles maisons de briques, tristes et mal tenues. J'étais assisse près d'une fenêtre. Je levai les yeux et je vis derrière moi , se tenant à un des anneaux du plafond à cause des cahots de la rue, ce jeune homme pas tout à fait inconnu puisque c'était celui de la cafétéria. Il était blond, les yeux bleus, très grand, très maigre; son long bras se balançait en cadence selon les soubresauts du véhicule et son corps en suivait les mouvements. Il me regardait. Je me sentis protégée. Pourquoi?
"Mademoiselle, dans mon pays, les maisons sont comme celles-ci!
-Où donc?
-A Saint-Quentin, dans le nord de la France."
J'ai pensé: miséricorde! Pauvre homme! Il sort d'une très vilaine ville! Je ne dis rien, mais je pensais que cela devait être un vilain pays. On est gâté quand on a vécu à Florence.
Alors le ton de la conversation changea. Il me disait: " Comment, vous, élevée dans une école chrétienne, vous raisonnez comme une hérétique, comme une protestante? " Je n'étais donc plus une "convertie" mais une "hérétique" , une "protestante". Alors à quoi bon toutes mes hésitations, toutes mes souffrances? Était-ce possible? J'étais en train de protester, fabriquer toute seule une religion que j'avais abandonnée sans la connaître? Alors que faire, que devenir? C'était simple : ne plus me confesser, ne plus communier et essayer de "penser".
Il y a toujours des dames russes dans la maison, et des messieurs aussi. Ce sont des "pensionnaires". C'est à eux qu'il faut toujours dire bonjour et merci. mademoiselle pense que c'est de la politesse. Ces Russes parlent très vite, une jolie langue qui ressemble à de la musique. Ils parlent russe très vite pour que je ne comprenne pas ce qu'ils disent et Grand-Maman me regarde , secoue un peu la tête, et pleure.