« Il avait quarante-deux ans. Il n'y avait rien devant qui le motivât encore et si peu derrière dont il aimait se souvenir… » Voilà notre homme…je vous présente William
Stoner…une vie triste, grise, solitaire, ponctuées d'illusions perdues, ça ne donne pas franchement envie n'est-ce pas ? Pourtant, voilà un chef d'oeuvre. Cinq étoiles, un vrai cinq étoiles.
Je me suis prise de passion pour ce William
Stoner, cet homme ordinaire, stoïque, au physique un peu disgracieux, «voûté dès son plus jeune âge», supportant, toute sa vie durant, des échecs et surtout de multiples humiliations. Comment peut-on dévorer un livre, le déguster, l'aimer, alors que ce livre relate la vie confinée d'une sorte d'anti-héros ? Comment peut-on finir le livre, être émue au point de se murmurer « merveille…» ?
Sans aucun doute l'écriture feutrée, délicate et ciselée de l'auteur y est pour quelque chose, sans parler de la traduction d'
Anna Gavalda qui a réussi à rendre compte du génie de
John Williams. La présence d'éclats lumineux traversant la vie de
Stoner nous font également soupirer d'aise, comme autant de notes d'espoirs et d'étoiles saupoudrées, venant illuminer le roman. Enfin et surtout William
Stoner est proche de nous, il parle de façon intime à notre façon de faire face à nos propres illusions perdues. Il est profondément humain au point de ne plus être un personnage fictif.
L'histoire se déroule au début du XXè siècle.
Stoner vient d'une famille paysanne du Missouri. Alors que son destin de fermier semble tout tracé, son père, contre toute attente, le pousse à tenter l'université de Columbia pour, au départ, des études courtes d'agronomie permettant de l'aider à produire davantage. A la suite d'un cours de littérature anglaise, où il comprend que « le poème de Milton qu'il lisait – ou l'essai de Bacon, ou encore la pièce de
Ben Jonson – changeaient l'humanité qu'ils avaient prise pour sujet et la changeaient pour la seule raison qu'ils en étaient dépendants », il décide de changer de cursus et deviendra professeur de Littérature anglaise. Il ne quittera jamais le campus, se liera d'amitié avec deux collègues. Et tombera amoureux d'Edith avec laquelle il se mariera vite et aura une fille, Grace. Témoin lointain des soubresauts de l'histoire (les deux guerres mondiales, la crise de 1929), son mariage sera un fiasco, sa vie conjugale se révélera être très vite âpre et amère, son rôle de père sera entravé et gâché, son métier, dans lequel il va se révéler peu à peu, sera ponctué d'embuches et de frustrations. Il devra renoncer à son véritable amour, découvert tardivement à l'âge de 43 ans. Une suite d'illusions perdues pour cet homme plongé dans un milieu où les contraintes sociales étouffent toute velléité de bonheur.
Cet homme m'a tant touchée. S'il semble hésitant, peu engageant de prime abord, indifférent au monde qui l'entoure, passif, il s'avère être de plus en plus calme et rassurant. Il saura prendre des décisions radicales et courageuses même si ces décisions auront pour conséquences de l'isoler davantage. Étonnamment, il se révèle également être un grand amoureux. Amoureux de la littérature, du savoir, amoureux de sa fille et amoureux de Katherine. Un amoureux aux multiples facettes, la passion, la flamme, la foi seront toujours présents, intenses et inébranlables. Oui, quelle tendresse et quelle proximité j'ai eu pour cet homme studieux, pour ne pas dire besogneux, stoïque, sensible et habité par une passion inébranlable des livres ! « Il n'avait jamais perdu de vue le gouffre qui séparait son amour de la littérature de ce qu'il était capable d'en témoigner. »
La poésie, présente tout au long du livre, souvent pour capturer la beauté des paysages, est au sommet de son art quand
Stoner observe la femme qu'il aura aimé profondément, Katherine : « Ses yeux, qu'il avait vus brun sombre ou noirs étaient en réalité d'un violet très profond. Leur éclat s'irisait lorsqu'ils accrochaient le faible halo de la lampe et comme ils changeaient sans cesse de nuance selon l'angle sous lequel il les regardait, même fixes ils vivaient encore. Quant à son teint qui, de loin, semblait si pâle, il cachait sous son masque d'albâtre une carnation d'un rose intense et délicat. On avait l'impression qu'un rai de lumière traversait un verre dépoli. Et comme c'était toujours le cas avec ces peaux si fines, la maîtrise, le calme et la réserve qui, avait-il cru, trahissaient sa nature profonde masquaient en réalité une gaieté et une ardeur dont l'intensité était d'autant plus vive qu'elle était ainsi tenue secrète. »
Une lecture indispensable à tous les amoureux des livres. La soif de savoir et de lecture y est flamboyante ; elle ne connait ni loi, ni âge, ni limite et sera la seule passion qui ne trahira pas
Stoner même dans les pires moments de sa vie. Les livres, ces compagnons salvateurs. Ce sera d'ailleurs le dernier geste de tendresse qu'il aura juste avant de mourir : celui de prendre et de caresser un livre…