Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2017/2018, écrits, dessinés, encrés, mis en couleurs par
Francesco Francavilla qui a également réalisé le lettrage et la mise en couleurs. En ouverture du premier épisode, l'auteur a dédicacé cette histoire à
Will Eisner (1917-2005) et à
Darwyn Cooke (1962-2016).
À Central City (une ville fictive), un sans-abri revient voir son pote Carl Stevens (58 ans), avec une boutanche à la main, sous une pluie battante. Il découvre le cadavre de son ami étendu sur e sol. Peu de temps après, la police est sur place pour enquêter, sous la supervision du commissaire Eustace Dolan. Après avoir écouté le témoignage du sans-abri, et les informations des policiers, Dolan remonte s'abriter dans sa voiture, pendant que le fourgon de la morgue emmène le corps. Il sursaute quand Spirit se manifeste sur la banquette arrière. Il lui indique le peu qu'il sait, et Spirit indique qu'il s'intéresse à cette affaire. Spirit quitte la voiture du commissaire et monte dans la sienne, conduite par Eb, un jeune afro-américain. Eb dépose Spirit au cimetière, puis rentre en ville et se gare devant le restaurant
Fellini, où il retrouve son cousin Vince, avec qui il papote et mange un morceau. Après quoi, ils sortent et Vince propose à Eb d'aller voir un film. Mais une voiture s'arrête et le conducteur demande à Vince de monter dedans pour affaire. Vince se retourne vers Eb et remet la séance de cinéma à plus tard.
La voiture où est monté Vince croise le fourgon mortuaire qui arrive à sa destination quelques rues plus loin. 2 silhouettes encapuchonnées en sorte, et vont prendre livraison du corps de Carl Stevens, l'un des 2 hommes versant un pot-de-vin au médecin légiste. Spirit est tranquillement affalé dans son fauteuil en train de manger des nouilles instantanées, en regardant la télévision. Il s'agit d'une émission d'information dans laquelle John Bartlett évoque la possibilité d'utiliser du charbon pourpre en abondance près de la ville comme source d'énergie, et où Mark Hooper (responsable de la direction des énergies municipales) dénonce les risques à exploiter des mines de charbon pourpre. Spirit est interrompu par l'irruption d'Eb qui lui indique que des voleurs de banque viennent de frapper à la Banque Centrale et qu'ils sont en train de prendre la fuite. La voiture des fuyards se fait rattraper par celle de la police. Cette dernière percute un poteau, mais celle des voleurs a un pneu crevé. Les bandits sortent de la voiture, et s'enfuient chacun de leur côté, Vince partant vers une ruelle déserte. Une silhouette encapuchonnée sort de l'ombre derrière lui et lui injecte un produit en lui enfonçant l'aiguille d'une seringue dans le cou.
The Spirit est un personnage qui a été créé par
Will Eisner en 1940, publié dans le magazine Register and Tribune Syndicate jusqu'en 1952. Dans les premières années, Eisner en était le scénariste, dessinateur et encreur. Dans les dernières années de publication, Eisner n'en assurait plus que la supervision. The Spirit est un policier appelé Denny Colt qui revêt une sorte de costume civil avec des gants, d'un feutre mou et un masque riquiqui, et qui effectue des enquêtes. À ce genre d'histoire peuvent se mélanger les conventions narratives d'autres genres, comme celles du policier, du film noir, de l'horreur, de la comédie et même des histoires d'amour. Au fil des strips, le plus remarquable dans ces histoires est l'évolution de la narration visuelle, les dessins de
Will Eisner donnant toute leur saveur à ces enquêtes gentilles. du coup, il est un peu vain de vouloir réaliser d'autres histoires du Spirit, même des hommages. En effet, il ne s'agit pas d'un personnage avec une histoire personnelle remarquable, ou d'un détective aux méthodes mémorables. Réaliser un hommage à ce personnage, c'est avant tout rendre hommage à son auteur, sans réussir à se montrer aussi inventif ou aussi élégant que lui. D'un autre côté,
Francesco Francavilla a déjà prouvé sa capacité à réaliser des histoires de détective à la manière des pulps, avec un petit parfum de superhéros, que ce soit avec son propre personnage Black Beetle (2011/2012), ou que ce soit pour
Zorro sur la base d'un scénario de Matt Wagner, adaptant le roman d'
Isabel Allende dans
Zorro: Year one (2009).
De fait, s'il parcourt les premières pages de cette bande dessinée, il y a de forte chance pour que le lecteur tombe tout de suite sous le charme, et que ses réticences fondent comme neige au soleil. Francavilla donne l'impression de réaliser des cases avec des contours tracés un peu rapidement, des dessins simples, des couleurs appliquées à la truelle. Dans le même temps, ses planches se lisent avec une facilité ensorcelante, et l'ambiance qui s'en dégage est irrésistible. L'histoire baigne majoritairement dans des teintes de bleu allant du bleu-violet au bleu cobalt, attestant de scènes de nuit sombres, sans être sinistres. Lorsque le lieu est éclairé par une lumière artificielle, il apparaît des teintes allant du jaune de Mars au jaune paille. Lorsque le danger ou la violence se manifeste, l'artiste utilise des teintes rouge, le rouge de la cravate de Spirit y faisant écho. À chaque page, le lecteur admire la fluidité de la narration visuelle chaque case étant de lecture immédiate, même si Francavilla applique plus d'aplats de noir qu'Eisner. Les contours de ces zones de noir sont irréguliers sans être pour autant déchiquetés, donnant du poids à la page, de la texture aux surfaces détourée, créant des effets de contraste, sans pour autant être aussi radicaux que ceux de Sin City de
Frank Miller. L'impression globale qui se dégage des planches n'est pas méchante, cruelle ou dépourvue d'espoir comme cela peut l'être dans Sin City.
Francesco Francavilla se livre donc à une adaptation de l'oeuvre de
Will Eisner. Il a choisi de conserver l'impression d'une époque se situant dans les années 1940/1950, que ce soit pour les tenues vestimentaires, pour les voitures, ou pour l'absence de technologie récente comme les téléphones portables. Cela lui permet d'intégrer une technologie d'anticipation au regard de cette époque, une installation minière à l'allure inquiétante du fait de ses machinerie et au fonctionnement évoquant les mines du dix-neuvième siècle. Dans cet environnement graphique, les gardes avec des manteau à capuche et des lunettes avec des verres rouges font sens visuellement. L'artiste intègre ainsi une ambiance pulp, avec une mystérieuse organisation se livrant à un trafic de minerai dans des souterrains, en employant des individus soumis à une forme d'esclavage. Francavilla construit des pages d'une grande lisibilité, avec des dessins donnant une impression d'évidence sans être simplistes, et de successions de cases montrant le mouvement sans être juste une décomposition d'un unique mouvement. Il intègre aussi quelques clins d'oeil, à commencer par les
lettres du mot Spirit, intégrées dans la page de titre, mais sans l'inventivité de
Will Eisner pour qu'elles deviennent des éléments constitutifs du décor.
Le lecteur plonge donc dans un récit à la narration visuelle épatante, pour une intrigue assez simp
le. Spirit découvre un mystère : celui d'une succession de meurtres et de disparition, ce qui va le mener vers cette affaire de charbon pourpre évoquée à la télé. le récit avance à coup de dialogue, course-poursuite, et confrontation physique à main nue ou avec arme à feu. Sur ce dernier point, l'auteur reste fidèle à la vision de
Will Eisner : Spirit n'utilise pas d'armes à feu.
Francesco Francavilla reprend donc également la tenue basique de Spirit : costume bleu, cravate rouge, feutre mou et masque de type loup. Les dessins sous-entendent également que Spirit vit dans le cimetière de la ville, ce qui est conforme à la mythologie du personnage. Il met en scène Eb, le jeune assistant de Spirit, s'affranchissant de la polémique du son nom, en le raccourcissant. Il intègre un personnage féminin : Lisa Marlowe, une détective privée dont le nom rend hommage à Philip Marlowe, le personnage créé par
Raymond Chandler (1888-1959). Il se tient soigneusement à l'écart du cliché de la demoiselle en détresse puisque c'est Lisa Marlowe qui sauve la vie de Spirit. le lecteur se rend compte qu'il est happé par cet hommage proposant des pages à la narration exemplaire, avec une utilisation intelligente et pertinente des conventions du genre. le lecteur prend donc grand plaisir à voir la forme gisante du cadavre dans un terrain vague sous la lumière blafarde des feux de la voiture de police, la course-poursuite de voiture toute sirène hurlante sous une pluie battante, Lisa Marlowe filant à toute allure sur sa moto, l'intrusion en catimini de Spirit dans un immeuble paraissant abandonné, l'interrogatoire musclé d'un individu ligoté sur une chaise, etc.
Alors même que Spirit est un personnage un peu superficiel dont l'intérêt majeur des aventures réside dans les dessins de
Will Eisner,
Francesco Francavilla réussit le pari déraisonné de rendre hommage à la fois au personnage, à la fois à son créateur, sans essayer de le copier servilement, sans sacrifier sa propre personnalité graphique, pour un récit conforme aux conventions attendues, avec une verve épatante.