Tout commence presque normalement. Si on considère que la normalité puisse être d'avoir une mère accroc à l'héroïne et un père, rock star version country, tout aussi défoncé. Non, mais attendez! Ne tournez pas les talons tout de suite! Je vous jure que cette histoire n'est pas triste. Enfin pas si triste, juste un peu sordide. Mais pas trop. Jeliza-Rose est une petite fille de 11 ans. Elle comprend sans vraiment chercher à évaluer son entourage. Elle n'est jamais allée à l'école, ce qui la préserve de toute comparaison avec l'extérieur. Sur un coup de tête, son père décide de l'emmener avec elle, au Texas, dans la maison de sa grand-mère décédée avant sa naissance. La maison est dans un état de vétusté avancée, le terrain qui l'entoure est une parcelle en friche, agrémentée d'une carcasse de bus rouillé. Et Jeliza-Rose se ravie d'être là avec ses amies, des têtes de poupées Barbie. A peine arrivés, Noah, père aimant et doucement déjanté, sombre dans l'immobilisme, comme à chaque fois qu'il se fait un fix. Il peut rester bloqué des jours et des nuits comme ça, Jeliza le sait et ne s'en formalise pas. Elle poursuit ses jeux. Son imagination est sa vraie nourriture. Elle s'invente des excursions, des découvertes, des conversations passionnantes. Petite sauvageonne crasseuse, elle mange de temps en temps quelques crackers avec du beurre de cacahuètes. La vie est parfaite en somme. Jusqu'au jour où elle rencontre ce qu'elle pense être un fantôme ou une Femme des Marais. Et la curiosité la pousse à faire connaissance avec cette femme effrayante et curieuse.
Tideland est un roman très particulier, à l'ambiance flirtant entre l'innocence et le malsain. Ce qui nous accroche au fil des pages c'est l'applomb de la petite narratrice qui, elle, trouve tout ça normal, qui ne se pose aucune question. Tout est premier et 36ème degré à la fois.
Mitch Cullin nous envoie dans la banalité de cette enfant, et le tour de force réside dans le fait qu'on ne la prend pas en pitié, alors que dans la réalité, tout nous pousserait à vouloir la secourir. Jeliza-Rose est une candide spectatrice et actrice de cette vie hors du commun, où l'adulte n'est ni un secours ni un obstacle et où le jeu est permanent.
Tideland est une fresque fantastique sans vraiment l'être. Il s'agit juste de la découverte d'un univers enfantin, magique et, s'il est torturé pour nous, lecteurs, il ne l'est pas pour la jeune héroïne. Et on se retrouve en déséquilibre face à ce récit. On est troublé de regarder se dérouler ce segment d'existence. On est complètement désarçonné. Et pourtant, c'était ça l'enfance. de notre regard d'adulte, on a l'impression que cette première période de la vie n'était en fait que de la folie douce. Mais sans conscience forgée à cet âge là, on ne s'en était pas rendu compte, c'est tout. Cullin n'écrit pas un livre, il nous offre un album photo, il anime un film pour notre plus grande surprise. Les images sont si bien décrites qu'on voit tout défiler en technicolor, les mots deviennent mouvements, couleurs et vies. Si vous arrivez à accepter ce quotidien là, aucun doute que vous serez conquis et embarqués jusqu'à la dernière page.