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EAN : 9782070322114
220 pages
Gallimard (16/03/1982)
4.11/5   37 notes
Résumé :
À propos
« Tristia dont le titre est emprunté à Ovide est un retour à la culture et à la terre où Mandelstam situe les sources de la poésie : Homère, Ovide, Catulle, et la Crimée, les contrées de la mer Noire qui s'étendent jusqu'aux monts du Caucase, et qui, pour le poète, sont inséparables du paysage historique, culturel et géographique de la Méditerranée. Ici convergent la pensée juive, grecque et chrétienne. C'est aussi, avec les îles Fortunées, le pays f... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Le poète russe paiera cher pour ses vers. En lutte contre le stalinisme, la poésie d'Ossip Mandelstam ne peut pourtant être réduite à sa dimension politique.

Le recueil qui ouvre cette anthologie est un témoignage puissant du courant acméiste qu'ont incarné Akhmatova comme Mandelstam. En effet, les poèmes de « Pierre » sont le monde sensible tout entier capté, enveloppé, traduit et rendu au lecteur dans la langue poétique. Ainsi, nous éprouvons « le gel de l'éternité » qui « pleut dans le diamant glacial » ou encore « le frémissement des libellules, promptes à vivre et aux yeux bleus ».

Le recueil « Tristia » prend des airs de voyage, la Russie des allures toscanes, la Neva couleur de Styx baigne aux pieds de l'immortelle Jérusalem. de Dante à Perséphone, de Venise à Moscou, le poète se fait unificateur de mythes.

C'est peut-être dans ses « Poèmes », pour beaucoup non publiés de son vivant, que nos chemins se séparent, l'acméiste devient plus esthète que touchant, ces poèmes moins immédiatement accessibles.

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La mémoire du coeur

Ossip Mandelstam était un poète russe du mouvement “acméiste” (dont faisait partie également la grande Anna Akhmatova).

"Acmé" signifie "apogée". Et l'on comprend mieux pourquoi à lire les poèmes de cet ensemble de recueils que constitue "Tristia et autres poèmes". C'est l'apogée d'une âme qui se délivre, qui s'offre au lecteur capable de lire en laissant parler son émotion. Il y a de la vie brûlante au sein de ces pages comme un feu enclos dans le papier.

Ossip Mandelstam a eu un jour l'idée fatale d'écrire un poème pour ridiculiser Staline. Il fut donc envoyé dans un goulag où il y mourut. Brutale méthode mais inefficace à tuer l'oeuvre du poète. On n'empêche pas l'herbe fauchée de repousser.

J'aimerais vous raconter une très belle anecdote qui vous donnera peut-être envie de découvrir la poésie de Mandelstam.
Peu de temps avant qu'il ne soit envoyé au goulag, sa femme Nadejda et quelques amis du couple Mandelstam, ont appris "par coeur" l'intégralité de son oeuvre. Tous ses papiers avaient été, au préalable, détruits : la bureaucratie soviétique ne méritait pas de mettre la main sur de tels écrits.

C'est donc dans le coeur de sa femme et de ses amis que la poésie d'Ossip Mandelstam a pu survivre, continuer de battre. Ce coeur de poète a été ensuite rendu aux hommes lorsque les dépositaires se sont chargés de retranscrire son oeuvre.

Et si nous avons aujourd'hui encore, la chance de pouvoir nous plonger dans cette poésie d'une immense richesse, c'est à ces âmes de scribes fidèles que nous le devons. Et l'on dit que c'est une chose stupide que de faire apprendre "par coeur" des textes aux enfants...
Si Nadejda Mandelstam avait suivi cette voie stérile, c'est une pierre importante qui manquerait à l'édifice de la beauté. Il n'y a d'ailleurs qu'en français, étrangement, que se trouve l'expression "apprendre par coeur". Et bien peu de gens savent en saisir toute l'importance.

Car le coeur n'est pas seulement cet organe de vie défini par la science, cette pompe qui irrigue tout le corps.
Le coeur – n'en déplaise aux scientistes de bas étage –, est aussi ce qui nous pousse à vivre au-delà de nous-mêmes.

© Thibault Marconnet
Le 30 janvier 2014
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L'acmé, c'est la pointe, le comble, l'apogée. Un terme directement tiré du grec antique, et que le courant poétique russe de l'acméisme rattache à la célébration du monde quotidien et concret. L'acméisme s'oppose ainsi au symbolisme, en cherchant à revenir au contact de la vie réelle, minérale, et d'en faire le matériau direct du poème. Une poésie qui idéalise l'artisan, ou le paysan. Pour Mandelstam, la musique s'approche du moujik, dans une Russie où couvent les Révolutions de 1917.

Dès les poèmes initiaux, on relève une profusion, d'images empruntées à l'Antiquité, parmi lesquelles Psyché et les fleuves des enfers comme le Lethé, et dont l'eau apporte l'oubli. Cet oubli, Mandelstam et l'acméisme ne le cautionnent pas. Car le savoir passé peut permettre de mieux incarner le présent, de lui rendre saveur et sens, et donc de garder un cap au coeur du chaos révolutionnaire qui s'abat sur cette oeuvre poétique en gestation.

« Courage, humains !
Rayant l'océan comme avec une charrue,
Nous nous souviendrons même dans la froidure du Léthé
Que la terre nous coûta dix ciels. »

Malgré ce contexte difficile, Mandelstam n'est pas du genre à s'apitoyer. Il continue de chanter cette nouvelle Russie avec hargne, acceptant et même célébrant l'effort que demande ce nouveau siècle pour continuer à créer.

La parole parfois rugueuse, et même rocailleuse de Mandelstam emprunte à toutes les époques. Antiquité, mais aussi Renaissance italienne, en particulier l'âpreté de la langue de Dante et la suavité de celle de l'Arioste. Mandelstam tisse un réseau de signes et références, images et sonorités inspirées d'autres cultures, et qu'il s'attache à recréer en russe. Les mots qui en résultent présentent « une gerbe de signification qui fuse dans toutes les directions », comme le déclarait Mandelstam dans ses Entretiens sur Dante.

Maître artificier, le poète acméiste fait résonner la nature, de la syrinx à la pierre. Tel un « duvet de fer » ou une « tendre épouvante », ses vers oxymoriques entremêlent étroitement brutalité et douceur. Mandelstam imite en cela la Phèdre de Racine, autre influence importante.

Même dans les paysages les plus secs et glacés, le poète travaille la terre et la pierre pour recomposer une parole en forme de cathédrale personnelle, où la voix auparavant assourdie par le bruit du temps retrouve de l'élan, de l'écho.

« Pour le mot bienheureux, pour le mot insensé,
Je m'en vais dans la nuit soviétique prier. »

Cette poésie-cathédrale fait souvent penser à un orgue baroque, mais se fait soudain beaucoup plus recueillie et accessible au moment de la déportation et de l'imminence de la mort à Voronèje. Cherchant la fraternité des plus humbles, non sans cesser de fixer l'immensité des montagnes et du ciel, Mandelstam compose un chant du cygne, expression qui peut difficilement mieux s'appliquer qu'à cet amoureux des oiseaux et à la beauté simple et universelle de ses derniers poèmes.

Et les rêves ravivés par l'épreuve du réel peuvent alors renaître l'espace de quelques instants qui résonnent dans l'avenir :

« dans les livres souriants, dans les jeux des enfants,
Je vais ressusciter pour dire que le soleil brille »
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Tristia est vraiment le marqueur d'une époque troublée par tous les événements qui s'enchaînent sur le sol russe.
L'auteur avec une musicalité bien à lui, nous conte au travers de vers aux mots empreints d'un réalisme mélancolique, un quotidien brumeux, incertain.
Sa poésie, synthèse d'une prose qui trouve ses sources dans la grandeur antique, chrétienne et juive, puis indéniablement dans l'âme russe et slave ou un incontestable fatalisme du poids de l'histoire se fait jour, dans sa pensée d'artiste prisonnière d'un système politique, qui l'empêche d'exister pleinement en toute liberté.
Se réfugiant dans la beauté de la poésie des anciens ou dans les évocations de lieux qui l'inspirent, Mandelstam essaie toujours de garder le contact avec un réel gris et difficile pour lui et les siens. Ses vers reflétant en permanence cette liaison intense avec cette terre qu'il aime tant pour sa diversité culturelle, n'hésitant pas à crier une prose poétique d'espoir, de révolte, de vie pour lui et tous les artistes entravés dans leur liberté créative.
D'ailleurs, c'est cette attitude courageuse qui lui sera fatale avec son fameux poème sur le tyran Staline, l'emmenant dans les affres des persécutions, de la prison et de la déportation au goulag.
Mais pour le poète qu'il était, se taire aurait été contraire à ses valeurs, son caractère et surtout à sa poésie libre, ancrée sur ces terres de l'Europe orientale aux influences cosmopolites et universelles comme son parcours
pétrit d'une culture aux racines plurielles.
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Il se voulait l'ami des Grecs anciens et de l'Italie renaissante. Il cherchait dans la forêt des mots à dire un monde simple, mais le siècle, ce siècle fatal qui revient de plus en plus souvent dans ses poèmes, le ronge. Il n'est pas un Hellène du temps de l'élégie. Il est un Soviétique du temps de l'ogre. Il voit fondre sur son monde songeur la bêtise des censeurs réalistes. Peut-on inventer une langue plus anticommuniste que ce lyrisme fasciné par les grands rites sombres, que ce regardeur solitaire d'un monde qu'on n'assomme pas de formules précuites, que ce suicidaire qui, pour qu'on en finisse avec lui, dit de Staline la vérité? Cela s'est remarqué. Il en est mort.
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Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
« Tout était jadis. Tout se répète encore. Et seul nous est doux l’instant de reconnaître. »
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Celui qui a un cœur, celui-là doit entendre, ô temps, Ton navire rouler par les fonds...
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LENINGRAD

Je suis revenu dans ma ville familière jusqu'aux sanglots,
Jusqu'aux ganglions de l'enfance, jusqu'aux nervures sous la peau.

Tu es de retour, avale donc d'un trait
L'huile de foie de morue des lanternes de Leningrad sur les quais !

Le petit jour de décembre, reconnais-le bien vite
Au jaune d'œuf dissous dans le goudron sinistre.

Pétersbourg ! je ne veux pas encore mourir :
De mes téléphones, tu as les numéros.

Pétersbourg ! J'ai les adresses d'autrefois
Où je reconnais les morts à leurs voix.

J'habite l'escalier de service et la sonnette
Arrachée avec la chair tinte dans ma tête.

Et toute la nuit jusqu'à l'aube j'attends les hôtes chers
Et les chaînettes de la porte cliquettent comme des fers.


Décembre 1930, Leningrad.
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"L'air grisâtre est bruissant et moite ;
On se sent bien et à l'abri dans la forêt.
Docile je vais porter une fois encore
La croix légère des promenades solitaires.

Et de nouveau, vers l'indifférente patrie,
le reproche, comme l'oiseau, monte en spirale.
Je participe à la vie ténébreuse, je suis innocent de ma solitude.

Un coup de feu. Sur le lac assoupi
Les ailes des canards pèsent lourd à présent.
Les troncs des sapins sont hypnotisés
Par le reflet d'une double existence.

Ciel vitreux à l'étrange miroitement,
de l'univers la brumeuse douleur -
Ô permets-moi d'être pareillement brumeux,
Permets-moi de ne pas t'aimer."
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Nous vivons sans sentir sous nos pieds de pays,
Et l’on ne parle plus que dans un chuchotis,

Si jamais l’on rencontre l’ombre d’un bavard
On parle du Kremlin et du fier montagnard.

Il à les doigts épais et gras comme des vers
et des mots d’un quintal précis comme des fers.

Quand sa moustache rit, on dirait des cafards
Ses grosses bottes sont pareilles à des phares.

Les chefs grouillent autour de lui - la nuque frêle.
Lui, parmi ces nabots, se joue de tant de zèle..

L’un siffle, l’autre miaule, un autre encore geint -
Lui seul pointe l’index. Lui seul tape du poing.

Il forge des chaînes, décret après décret...
Dans les yeux, dans le front, le ventre et le portrait.

De tout supplice sa lippe se régale.
Le Géorgien a le torse martial.

DISTIQUES SUR STALINEo
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Videos de Ossip Mandelstam (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ossip Mandelstam
Prose et poésie d'Ossip Mandelstam (France Culture / Répliques). Photographie : Ossip Mandelstam, vers la fin de sa vie. © Mandelstam Centre, Moscou. Production : Alain Finkielkraut. Réalisation : Didier Lagarde. Avec la collaboration de Anne-Catherine Lochard. Diffusion sur France Culture le 19 mai 2018. Ossip Emilievitch Mandelstam (en russe : О́сип Эми́льевич Мандельшта́м), né le 3 janvier 1891 (15 janvier 1891 dans le calendrier grégorien) à Varsovie et mort le 27 décembre 1938 à Vladivostok, est un poète et essayiste russe. Il est l'un des principaux représentants de l'acméisme, dans la période dite de l'âge d'argent que la poésie russe connaît peu avant la révolution d'Octobre. Il écrit en 1933 une “Épigramme contre Staline”, qui lui vaut arrestation, exil, et finalement mort durant sa déportation vers la Kolyma. Évocation de la vie et de l'œuvre d'Ossip Mandestam dont Le Bruit du Temps publie une nouvelle traduction. « Le Bruit du Temps est une maison d'édition qui redonne confiance dans la vie intellectuelle. Après notamment l'immense poème épique de Robert Browning, “L'anneau et le livre”, et les “Œuvres complètes” d'Isaac Babel, voici que paraissent en deux volumes somptueux la prose et la poésie d'Ossip Mandelstam : “Œuvres poétiques” et “Œuvres en prose”. Je ne pouvais laisser passer une occasion si belle. J'ai donc invité celui qui a entrepris la retraduction de tous ces textes : Jean-Claude Schneider et l'historienne d'art Véronique Schiltz, qui a aussi traduit le poète Joseph Brodsky. Avant d'entrer avec eux dans l’œuvre fascinante et difficile, je voudrais demander à ces deux grands lecteurs ce qu'il faut savoir de la vie de l'homme dont nous venons d'entendre la voix. » Alain Finkielkraut
Invités :
Véronique Schiltz, archéologue et historienne de l'art française, orientaliste et helléniste
Jean-Claude Schneider, poète, essayiste et traducteur
Sources : France Culture et Wikipédia
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