Faire concurrence à l’état-civil, cette formule trop répétée de Balzac résume une première direction d’ambition. Le roman qui veut énoncer intégralement la totalité de l’existence, ou du moins le tableau complet de l’époque, sera touffu et inclusif avant tout. Dans son désir de tout embrasser et de tout engranger, il accueillera, il développera, et surtout il se commentera en permanence par des gloses de tout ordre. Je pense ici à la façon dont les grands romans du XIXe siècle entassent récits et descriptions dans l’étoffe illimitée des considérations, des informations, des envolées pensives, des interventions didactiques, des attendrissements sentimentaux, bref de tout l’éventail possible des gloses. Je pense en particulier aux arborescences infatigables du roman-feuilleton, en notant que c’est sur Alexandre Dumas et sur Eugène Sue, plutôt que sur Michelet, Balzac ou Hugo, que Umberto Eco centre son analyse de ce que signifie « beaucoup ».
À première vue, l’objectif rhétorique de la communication paraît clair : on veut gagner et garder l’attention et si possible entraîner l’adhésion – l’une des multiples sortes d’adhésion. Mais les moyens sont divers, l’effet qu’on veut obtenir est complexe, et malgré tant d’efforts l’effet n’est maîtrisé par personne. Tout se joue ici à l’interface, une interface de la communication qui est la scène du sens et de l’effet.
C’est là, entre le saturé et le lacunaire, que se pose la question de la densité. Appelons ici densité de l’énoncé sa charge ou son poids : ceci est plus compact et plus lourd et ceci l’est moins. Cette variable toujours présente nous renvoie à l’alchimie essentielle par laquelle le quantitatif (plus, moins) devient le qualitatif (l’effet). Si l’on se tient en ce point et qu’on regarde autour de soi, le panorama qu’on découvre devient immense.