Un regard dépassionné
En 1963 Enzensberger avait 35 ans et toutes ses dents. Cinquante années plus tard, il revient sur cette période de sa vie : il a séjourné en Union Soviétique et à Cuba, il voulait voir de ses propres yeux. A cette époque-là il était proche du mouvement protestataire des étudiants et appartenait à l'intelligentsia de gauche.
Ces souvenirs en forme de collage me semblent ternes. Cette impression est certainement liée à la distanciation (ou autocensure ?) que s'impose l'auteur. Ni héroïsation ni repentir. D'ailleurs il n'en a nul besoin. le texte est basé sur des notes qu'il a prises à l'époque et qu'il a redécouvert par hasard dans son archive personnelle.
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autobiographie éclatée du grand écrivain allemand, aujourd'hui, âgé de 90 ans.
À la lecture de vieux carnets oubliés, Enzensberger livre ses souvenirs des années de 1960 à 1970.
Il relate avec talent
Sa rencontre avec Khouchtchev, en 1963
Son amour tourmenté pour sa seconde épouse, la belle Mâcha.
Ses voyages à travers la planète, du Cambodge à Cuba.
Au fil des pages, il dialogue avec son propre moi, se fait juge de sa vie, rit, souvent, de lui-même.
Un intellectuel de gauche, parfois tapi dans l'ombre, qui fuit la lumière et se joue des médias.
un ouvrage passionnant qui fourmille d'anecdotes jubilatoires et traverse le XX ième siècle.
À lire absolument.
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C’est au crépuscule calme d’une vie bien remplie que Hans Magnus Enzensberger a fait il y a quelques années la découverte de vieux papiers dans sa cave, souvenirs décolorés du tumulte que constituait sa vie amoureuse cinquante ans plus tôt. Des souvenirs du cœur auxquels font habilement écho les événements politiques de l’époque.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Là où il est le plus à l’aise, c’est quand il évoque des fables d’albums pour enfants. À propos du culte de la personnalité, il pense à l’éléphant. Quand celui-ci arrivait au village, dans son enfance, tout le monde voulait le voir. Il y avait une telle foule, amassée autour de l’animal, que le petit garçon ne voyait jamais rien. Le culte de la personnalité, c’était pareil. Aux obsèques de Staline, cent six personnes ont péri sur la place Rouge. Sa propre fille n’a pu s’en tirer qu’en se réfugiant sous une voiture. Aujourd’hui, au contraire, quand il marche dans Moscou, les gens se poussent du coude et l’un dit : « Tiens, il y a Khrouchtchev qui passe. » Et l’autre hausse les épaules et répond : « Je le connais. » Parfois, il a même vu quelqu’un cracher.
La parole de Khrouchtchev n’est pas enthousiasmante ; ce qu’elle a qui donne à penser, c’est son common sense et sa roublardise, son courage et son flair pour ce qui est possible. Son langage tend à ramener l’inconnu au connu. Voix égale, vocabulaire restreint, syntaxe minimale. Les attaques rhétoriques lui restent dans la gorge et ne font pas plausible, ce que l’orateur remarque aussitôt. Son indignation non plus n’a pas l’air toute fraîche, elle s’exprime comme si elle lui venait à l’esprit pour la centième fois. Il ne voit pas pourquoi il faudrait répéter sans cesse pareilles évidences. Les vues qu’il a des choses ne sont pas nombreuses, mais ce sont pour lui des certitudes. Des doutes surgissent rarement, mais c’est bien pourquoi il les ressent comme des menaces.
« Nos écrivains, déclara-t-il, n’écrivent pas de mauvais romans parce qu’ils défendent le socialisme, mais parce que le bon Dieu ne leur a pas fait la grâce d’avoir du talent. Où qu’on regarde en Union soviétique, on ne voit poindre aucun Tolstoï, aucun Dostoïevski, aucun Tchekhov. Mais nous ne manquons pas d’auteurs sans talent. » Il estimait qu’il fallait des écrivains s’adressant à des millions de lecteurs, mais que la littérature russe avait aussi besoin d’autres auteurs, écrivant pour cinq mille lecteurs. Personnellement, il n’avait rien à faire du nouveau roman, qu’on portait là aux nues. Mais le droit d’expérimenter devait être respecté par tous.
Du temps des tsars, la fonction publique comptait treize échelons, j’ai appris cela dans les romans russes. Cela a moins changé qu’on ne pourrait le croire. Un vieux petit monsieur, peut-être du cinquième ou quatrième échelon, me fait signe de venir à l’écart et me met dans la main une assez grosse enveloppe de roubles en coupures. Et à quoi est destiné cet argent ? La question l’étonne. Mais vous êtes notre hôte, dit-il. Quand on est invité, est-on censé vivre de l’air du temps ? Mes objections sont balayées. « Acceptez donc cela simplement comme une avance sur les droits d’auteur que vous vaudront vos publications à venir. »
Leningrad était un lieu mythique, pour ne pas dire tabou, situé dans un Orient qui n’avait rien de proche : d’abord parce qu’une armée allemande, vingt ans auparavant, avait encerclé, assiégé et affamé Leningrad, ensuite parce que Yalta avait fait disparaître cette ville derrière un rideau bien difficile à ouvrir. L’atmosphère, des deux côtés du mur de Berlin, était militante et empestée par la peur d’escalades à la couture des deux empires.
Hammerstein ou l'intransigeance
Marque-page 26-02-2010