X
Donc, j’entre. Rien d’autre à faire : dans le jour, dans
le soir, dans la nuit.
Dans ce que je ne sais pas dire. Dans ce que je ne sais
pas voir.
L’espace est immense ou étroit, c’est la même chose.
J’entre.
Entrer suppose qu’on est sorti. Mais quand était-ce ?
Et où ?
Je compte sur mes doigts. Je les confonds. Je les perds.
Où en sommes-nous ? Voyons voir. Le soleil éblouit.
L’horizon s’obscurcit.
J’avance dans ce qui s’avance et se retire. Je suis sur un fil.
Je vais tomber. Est-ce qu’on appelle cela le présent .
VIII
Je sors et j’entre en même temps. On appelle ça naître.
Chacun connaît cette indécision. Sortir et entrer à la fois,
Du chaud dans le froid, du silence dans le fracas, de la
pénombre dans l’éclat.
Le hurlement vient-il du dehors ou du dedans ? Des deux
en même temps ?
Les poings se serrent, les doigts s’ouvrent. Vont-ils vers le
monde ou vient-il vers eux ?
Des voix parlent mais on ne les entend pas. Ou si on les
entend
On ne les comprend pas. On est sans mots avec sa peau
Avec juste l’air dans sa bouche pour crier.
VII
Vais-je entrer dans le poème ou en sortir ? Comment
savoir ?
Il faudrait que quelque chose me pousse, qu’une voix
m’appelle.
Pour le moment je reste là au borde de dire ou de
me taire.
Et le poème tient pourtant dans cette hésitation, ce
balancement :
Entrer ? Sortir ? Trouver le monde ? Le perdre ?
Le poème est un petit morceau de jour qui brille un instant
et s’éteint.
Je le regarde. Je l’écoute faire son bruit de salive et de bouche.
Quelqu’un se cache entre les syllabes. Je ne le vois pas, mais
il est là.
POÉSIE HISPANIQUE – l’Espagne contemporaine : de l'Ultraísmo à Sanchez Ortiz (France Culture, 1982)
Une compilation des émissions « Albatros », par Gérard de Cortanze, diffusées les 3, 10, 17, 24 et 31 janvier 1984 sur France Culture. Invités : Jacques Ancet, Saül Yurkievich, Claude Miniere et Severo Sarduy. Poètes évoqués : José Angel Valente, Pere Gimferrer, Andres Sanchez Robayna, Julian Rios et Emilio Sanchez Ortiz.