Depuis son enfance, Joséphine ne se lassait pas des promenades au bord de la mer. Elle savait que, d’une saison à l’autre, les falaises ne se ressemblaient jamais. Le brouillard, la brume, la bruine et les esprits errants qui hantaient ces rivages rendaient l’extrémité de la presqu’île à la fois mystérieuse et attachante. Assez pour s’y ancrer à jamais.
Par nature, cette maîtresse femme détestait le vacarme du monde. Elle se sentait en harmonie avec elle-même dans ce pays qu’elle n’avait jamais vraiment quitté.
Les garde-fous qui maintenaient les comportements civilisés à leur juste place volaient en éclats. L’envie de sexe se débridait, se libérait, s’agitait. Moisson des blés, moisson des corps. En même temps que la terre libérait son énergie, les appétits déchaînés d’Émile l’accompagnaient dans ce chant du monde. Qui aurait pu songer un instant que son esprit allait passer cul par-dessus tête et qu’il allait commettre l’inexcusable ?
Le jeune paysan n’était pas homme à se poser trop de questions. Il se contentait de céder à ses pulsions et de courir après les illusions.
L’enfant ne comprenait pas le sens des phrases que prononçait sa grand-mère. Elle était trop petite. Le ton et l’émotion qui habillaient ses propos s’enchaînaient. Ils la pénétraient cependant au plus profond de son être. Mots, phrases, expressions, bribes de patois du Cotentin entraient et s’installaient dans les plis secrets de sa mémoire d’enfant. Julia ne se doutait pas que, devenue adulte, ces instants remonteraient un jour à la surface. Ils éclateraient comme des bulles de cidre bouché, charriant derrière eux la tragédie d’une vie.
La guerre avait perturbé bien des projets. Chez eux comme chez beaucoup d’autres. Ce soir, elle comprenait qu’elle ne pouvait plus tout attendre du destin. Ses maternités étaient peut-être arrivées trop vite et l’imprévisible aussi, sous les traits de Pierre Ozouf. À nouveau, elle connaissait une forme de solitude qui lui rappelait parfois la vie à la Crasvillerie. Si elle devait trouver sa place, ce serait grâce à elle seule, en comptant sur ses propres forces.
Pas question d’arrêter de marcher. Non ! Marcher encore, marcher jusqu’à la limite de l’épuisement, en brûlant nos dernières forces, voilà la vérité ! Certains fuyards avaient pris place dans des charrettes ou sur le caisson d’une pièce d’artillerie. Images terribles que cet exode éclairé, de place en place, par des incendies courant sur la campagne, réduisant en cendres les villages et les souvenirs de ceux qui les avaient abandonnés.
Rencontre avec Michel Giard, à propos de son livre "Passeurs de mots" (Éditions de Borée - septembre 2017).
Lorsqu'ils acceptent de suivre leur oncle Jean Quesnel, libraire installé depuis de nombreuses années, Antoine, Marie-Françoise et Louis Giard sont loin d'imaginer ce qui les attend de l'autre côté de ces collines qu'ils n'ont jamais franchies. Outre la vie citadine, les trois enfants vont découvrir le monde des livres, à une époque où soif de connaissance rime avec émancipation. Antoine apprendra le métier en commençant par le colportage. Il va sillonner le pays et lire les nombreux ouvrages qu'il est censé vendre, romans d'aventures, almanachs et autres titres de la Bibliothèque bleue. Quelques années plus tard, en épousant Bernardine, elle-même fille de libraire, il va perpétuer la tradition familiale, qui sera reprise par son propre fils.
Ecrivain éclectique, Michel Giard a déjà publié une soixantaine d'ouvrages. Historien, chroniqueur radio, conférencier et grand voyageur, il se passionne pour les aventures humaines. "Passeurs de mots" est son second roman aux éditions de Borée.
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