Premier roman que je lis de l'auteur; je l'ai abordé sans avoir rien lu au préalable, de sa biographie, de sa bibliographie etc. le plus vierge possible pour apprécier ce texte pour lui-même. Petit texte que je me suis procuré dans la bibliothèque de ma ville; il était mis en avant, comme en hommage à l'auteur disparu peu avant.
J'ai beaucoup aimé le début. On aborde la ville de Sinaga comme les personnages qui débarquent : de loin d'abord, par de larges plans, puis avec un effet zoom ensuite. Cette entrée en matière est très cinématographique. Beaucoup de récit, de descriptions et de sensations. Une impression de premier contact qui se dégage; par le récit de Loti, nous voyons par ses yeux et vivons les mêmes sensations que lui. Des formes, des textures, des couleurs; c'est assez contemplatif et dépaysant. Ce sera le ton du roman, qui s'appliquera à observer les habitants de Nopal et à les comprendre, pour se fondre dans leur monde.
On n'aura pas plus de background que cela, puisque le point de vue est interne. On peut estimer que ça manque de contexte : on ne sait pas grand chose de Nopal (comment on l'a découverte, quand se situe-t-on dans le temps, comment peut-on arriver dessus etc.). En plus, l'endroit semblant être la dernière société utopique de la galaxie (de l'univers ?), alors elle se cache bien; rien de sort de Nopal. Mais je trouve que c'est suffisant, et cela offre une immersion plus vraisemblable.
C'est Loti qui raconte. Au présent; mais un présent de narration très distancé par rapport à ce qui est raconté. Comme si le choix de raconter au présent avait été fait comme pour revivre pleinement et de manière simultanée les événements racontés. Car Loti semble revivre ce qu'il raconte, et le présent nous permet de découvrir en même temps que lui toute la nouveauté de ces lieux dépaysants et très différents. Plusieurs fois le « je » narrant se distingue du « je » narré, avec quelques prolepses qui laissent deviner l'écart entre les deux moments. Mais on ne saura jamais vraiment quand ni pourquoi le narrateur a commencé ce récit.
Un souvenir de Loti, c'est la découverte de l'autre, de son fonctionnement. Accepter et comprendre des moeurs, sa culture, sa façon de voir. Beaucoup de descriptions de corps étrangers, faits de plumes, de peau semblable à l'écorce d'orange, aux visages aplatis… Et aussi des dialogues explicatifs pour permettre à Loti et Marjorie de comprendre leur nouvel environnement. On leur explique les règles sociales, le fonctionnement de Nopal, etc.
Se fondre dans l'autre implique aussi de se délester de son regard, de ses propres habitudes et de ses préjugés d'humain. Loti et Marjorie veulent comprendre et finir leurs jours sur cette planète, alors ils souhaitent l'épouser pleinement. Mais pour cela, il faut un peu oublier qui l'on est, devenir soi-même autre. C'est tout l'enjeu d'un rite en particulier du roman, et aussi ce qui donne au roman son titre. Car Loti va céder quelque chose (et je vous laisse découvrir quoi). C'est un peu un roman de l'éloignement, de la perte de repères : Loti va vers l'altérité d'une part, tout en s'écartant de ses origines d'autre part.
La plume m'a plu d'emblée. Elle est d'une rare beauté sensuelle. Très rapidement, le regard de Loti s'attarde sur les corps. le sien, celui de son épouse, et celui des Autres. Avec curiosité, sans jugement, avec amour même je dirais. Corps et sexe sont les deux grands personnages de ce récit. L'écriture mime cette sexualité fortement présente à chaque ligne, de manière imagée. le choix des mots n'est pas anodin. le parfum qui pénètre les pores de la peau, les androïdes qui pénètrent dans la chambre, un « bourgeon gonflé » pour signifier un dirigeable, les parois de la chambre qui se resserrent… Ce n'est pas une coïncidence, et j'ai trouvé que c'était à la fois très présent mais aussi très subtil. J'ai trouvé cela d'une grande beauté poétique, avec un naturel qui se dégage avec franchise, comme ces corps nus.
Car les personnages ont une sexualité très libre dans ce texte. Cela fait partie des moeurs de Nopal, comme tant d'autres choses que l'on découvre. Une autre façon de vivre, de consommer, d'appréhender son environnement direct et son entourage. Une grande liberté des corps règne sur Nopal, c'est assez déroutant au début; jusqu'à ce que, même pour nous lecteurs humains, le regard s'habitue à la nudité et au libertinage établi. Une grande douceur émerge de ces relations entre les personnages : c'est doux, comme ces corps emplumés. J'ai aimé le regard de Loti.
Malgré tout, une grande réserve sur l'intrigue, que je ne pense pas avoir captée totalement. D'abord, à cause du rythme. Je l'ai dit plus haut, ce petit roman est plutôt contemplatif. Et puis pouf, à un moment il se passe un truc. L'alternance descriptions-petite partie de jambes en l'air-contemplation-réflexion intérieure-action ne m'a pas semblé très fluide ni super bien huilée; les différentes actions du roman arrivent un peu pouf, comme un cheveu sur la soupe. C'est je pense fait exprès, comme pour traduire la différence dans les manières d'agir et de penser des différentes créatures qui peuplent Nopal. Notre logique n'est pas universellement répandue et pratiquée. de ce fait, pas mal d'ellipses ponctuent le récit et isolent les différents événements vécus par les personnages; difficile d'y trouver un lien cause –> conséquence (une logique très humaine…).
Au-delà de cette rupture volontaire (je pense) du rythme, je dois aussi avouer que certains épisodes m'ont paru complètement absurdes. Je me suis demandé plus d'une fois si l'auteur n'avait pas ingéré des champignons hallucinogènes ou consommé du LSD, à l'image de ses personnages qui tentent plusieurs expériences liées aux drogues. Cela rajoute de l'incompréhension à l'ensemble. Une manière assez cohérente de nous perdre, à l'image des personnages dans ce monde inconnu. Je me suis aussi demandé si ce récit n'était pas celui d'un rêve, tant l'onirisme semble présent. Toutes les interprétations à mon sens sont possibles.
Mais je retiendrai plusieurs choses. D'abord, l'amour inconditionnel de Loti et Marjorie, deux personnages très âgés; leur amour est resté pur, et j'ai adoré voir des personnages principaux vieux (et quand je dis vieux, c'est vraiment vieux, ils ont tous deux dépassé le siècle). Je retiendrai aussi toutes les réflexions intéressantes générées par les questionnements de Marjorie et Loti. Notamment sur ce qui définit l'Ego, la liberté et ses limites, comme celles de l'utopie qui entraîne des contreparties questionnables. Mais aussi sur le regard porté sur les androïdes, ou encore le travail aliénant les individus et comment faire société ensemble quand l'individualisme est porté à son paroxysme.
Derrière ce petit texte apparemment anodin et léger, il y a un fond discret mais bien présent qui interroge notre façon d'être, de penser, d'agir, face aux Autres. Une réflexion présente dans bien des bouquins de SF et de premier contact, mais j'ai trouvé ici le propos très intime, et intéressant justement pour cela. J'ai aimé la manière originale d'aborder ces thématiques maintes fois traitées.
Un côté surréaliste qui m'a un peu perdue mais une ambiance, une plume et un traitement de thèmes déjà vus qui m'ont beaucoup plu. Je poursuivrai volontiers ma découverte de l'auteur.
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