La lecture d'un pamphlet est une expérience littéraire délicate : héritier du satirique, le pamphlétaire écrit une prose de la colère et du réquisitoire. La brièveté est nécessaire pour pareil texte, car le lecteur ne peut sans lassitude supporter longtemps le même niveau élevé de vitupérations et de rhétorique vache. Bruno Lafourcade réussit bien cet exercice de la colère, en opposant deux "générations", celle qui dit "nous" par sa plume, et l'autre, la précédente, qui eut vingt ans en 68. L'auteur incarne ceux qui eurent vingt ans en 1980 et reproche à la génération précédente de lui avoir laissé un monde invivable, un pays envahi, désagrégé, une civilisation moribonde, une culture réduite à des industries d'hébétude. Le tableau que fait l'auteur du monde après Mitterand, le nôtre, est juste et saisissant. Ses pages finales sur les manifestations de "Charlie" sont impressionnantes. J'ai quelques doutes, cependant, sur la dimension "générationnelle" du livre : en construisant son essai sur une opposition de générations, vieux contre jeunes, Lafourcade ne cède-t-il pas lui-même à l'un des poncifs de la gauche progressiste qu'il dénonce par ailleurs ? C'est une des questions que suscite ce pamphlet, dont le but n'est pas de faire réfléchir, mais d'outrager les puissants du moment. Ce but est atteint et c'est réjouissant.
Commenter  J’apprécie         130
Aujourd'hui, tout sert votre propagande, rien de ce qui est populaire ne lui échappe, dont l'essentiel se résume à ceci : si l'on arrive à défendre les Noirs contre les Blancs, les Blanches contre les porcs, les mamans contre les mères, les filles contre leurs pères, les élèves contre leurs professeurs, les cancres contre les bons élèves, Angot contre ses lecteurs, les lecteurs contre Millet, la XVII° contre Camus, le français contre l'Académie, les égorgeurs contre leurs victimes, les écologistes contre les arbres, les arbres contre les chiens, les voitures contre les murs, les murs contre les cons, et les cons contre l'auteur de ces lignes, les Français seront sauvés.
p. 77
Nous crevions sous la vertu, que la canaille humaniste nous donnait pour la vérité, quand elle en fut l’inverse exactement ; et la vertu et la canaille n’auraient bientôt plus de cesse qu’elles n’aient corrompu en entier les moins putréfiables d’entre nous. Nous commencions de vivre dans l’atmosphère étouffante de la culpabilité occidentale : la déchristianisation de la charité faisait ses premiers pas dans le monde. […] Nous ne versions pas dans les bons sentiments, nous nous y roulions.