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Auschwitz et après tome 2 sur 3
EAN : 9782707326805
186 pages
Editions de Minuit (07/02/2013)
4.69/5   138 notes
Résumé :
Une connaissance inutile est le deuxième ouvrage de Charlotte Delbo sur les camps de concentration. Après deux livres aussi différents par leur forme et leur écriture que Aucun de nous ne reviendra et Le Convoi du 24 janvier, c'est dans un autre ton qu'on lira ici Auschwitz et Ravensbrück. On y lira plus encore une sensibilité qui se dévoile à travers les déchirements. Si les deux précédents pouvaient apparaître presque impersonnels par leur dépouillement, dans celu... >Voir plus
Que lire après Auschwitz et après, tome 2 : Une connaissance inutileVoir plus
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Le 2ème volet du témoignage de Charlotte Delbo issu de Auschwitz et après.
Plus intimiste, plus centré sur son expérience, plus personnel. Toujours dans la pudeur mais tout aussi indispensable pour ne pas oublier.
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On se sent nu, humble et démuni pour commenter ce document.
"Je suis revenue d'entre les morts et j'ai cru que cela me donnait le droit de parler aux autres et quand je me suis retrouvée en face d'eux je n'ai plus rien eu à leur dire parce que j'avais appris là- bas qu'on ne peut pas parler aux autres."
Un ton et un ouvrage qui ne vous ne laissent pas indemnes dans une
réalité crue, sans fioritures, un travail sensible, minutieux, authentique, une sensibilité exacerbée qui se dévoile à travers les déchirements." Mémoire, Douleur, Mort." Un mise en mots infiniment poétique et bouleversante, une prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants !
Comme une expiation de toutes ces horreurs incompréhensibles et difficilement appréciables pour ceux qui ne l'ont point vécue!!Et Pourtant!


"Auschwitz et après, Une Connaissance Inutile"est une traduction en mots du vécu de Madame Delbo, elle y est sensible et ouverte,s'affranchissant des barrières du temps,elle passe de sa déportation à son emprisonnement, à la mort de son mari, fusillé, à sa vie avant guerre,elle parle d'elle:il y est question d'inhumanité et de désespoir "On peut faire d'un être humain un squelette où gargouille la diarrhée, lui ôter le temps de penser, la force de penser. L'imaginaire est le premier luxe du corps qui reçoit assez de nourriture, jouit d'une frange de temps libre, dispose de rudiments pour façonner ses rêves. A Auschwitz, on ne rêvait pas, on délirait".....
Il y est question d'amour:" je l'aimais parce qu'il était beau , c'est une raison futile, je l'aimais parce qu'il m'aimait, c'est une raison égoïste"....
Il y est question de mémoire et de liberté, elles et ses camarades jouent le Malade Imaginaire :"C'était magnifique parce que pendant deux heures, sans que les cheminées aient cessé de fumer leur fumée de chair humaine, pendant deux heures , nous y avons cru. Nous y avons cru plus qu'à notre seule croyance d' alors, la liberté, pour laquelle , il nous faudrait lutter cinq cents jours encore".Dans le dénuement le plus extrême, elle achète à une gitane le misanthrope de Molière et l'apprend par coeur, un fragment chaque soir, elles se
Récitent des poèmes, Charlotte Delbo réussit à se rappeler 57 poémes!
Il y est question de mort:"Pour ceux qui étaient à Auschwitz, l'attente était une course devant la mort."
Il y est question de fraternité et d'entraide , de chaleur humaine entre les déportés même si la mort est omniprésente.
Il y est question de soif:"J'avais soif depuis des jours et des jours, soif à en perdre la raison. Soif à ne plus pouvoir manger, car je n'avais plus de salive dans la bouche, soif à ne plus pouvoir parler, car on ne peut pas parler quand on n'a pas de salive dans la bouche. Mes lèvres étaient déchirées,mes gencives gonflées, ma langue un bout de bois....tous mes sens étaient abolis par la soif."....
Comment survit - on à un tel cauchemar?par l'instinct de survie ? Par la poésie et la puissance des mots, de l'imaginaire, les ressorts de l'intelligence , la sensibilité exacerbée de ces êtres admirables dans leur infortune, par l'amitié et le désespoir de l'amitié?par l'amour et le désespoir de l'amour?
Y a t- il une vie après cet enfer, dans le froid mortel de l'espoir qui s'éteint et renaît encore et encore?et s'acharne.....
Respect total pour ces hommes et ces femmes là!
"Alors vous saurez
Qu'il ne faut pas parler avec la mort
C'est une connaissance inutile."



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Nettement plus personnel qu' "Aucun de nous ne reviendra", ce deuxième tome d' "Auschwitz et après" livre une Charlotte Delbo plus présente, plus sensible, plus ouverte à écrire son ressenti et à mettre des mots sur ce qu'elle a vécu.
Il n'y a pas le dépouillement du premier tome, Charlotte Delbo y évoque Auschwitz et Ravensbrück d'une manière très sensible et personnelle, n'hésitant pas à parler et à nommer certaines de ses compagnes d'infortune.
Elle livre également des réflexions très profondes sur sa déportation, permettant au lecteur d'entrapercevoir ce qu'a pu être Auschwitz pour des millions de personnes : "On peut faire d'un être humain un squelette où gargouille la diarrhée, lui ôter le temps de penser, la force de penser. L'imaginaire est le premier luxe du corps qui reçoit assez de nourriture, jouit d'une frange de temps libre, dispose de rudiments pour façonner ses rêves. A Auschwitz, on ne rêvait pas, on délirait.".
Il y est question d'amour, d'amitié, de désespoir, de la mort, de la souffrance, de la soif, mais aussi d'une fraternité entre déporté(e)s et subrepticement entre les lignes d'espoir.
S'affranchissant des barrières temporelles, Charlotte Delbo passe de sa déportation à son emprisonnement, à la mort de son mari, à sa vie avant guerre, et ce qui pourrait apparaître comme un puzzle sans queue ni tête revêt finalement une certaine logique narrative qui ne perd à aucun moment le lecteur.
D'Auschwitz, il en est beaucoup question dans ce témoignage : "Pour ceux qui étaient à Auschwitz, l'attente était une course devant la mort.", mais si dans le premier volume Charlotte Delbo insistait sur le caractère de déshumanisation de l'endroit, ici il est aussi question d'entraide, même si la mort est omniprésente, tout comme la soif sur laquelle l'auteur revient longuement dans un chapitre particulièrement poignant.
L'utilisation du "je" est omniprésente et permet à l'auteur de se livrer comme elle n'avait pas pu le faire précédemment, d'exprimer son ressenti avec un certain recul, rendant encore plus vivant son récit : "Aucune larme ne m'est venue. Il y a longtemps, longtemps, que je n'ai plus de larmes.".
Et puis, Charlotte Delbo évoque aussi Ravensbrück après un transfert en train quasi surréaliste et un passage dans une ville de Berlin en partie en ruine.
Là aussi, les conditions d'internement sont très dures, mais Charlotte Delbo y parle aussi d'une forme d'entraide et de fraternité, avec une obsession : celle qu'au moins l'une d'elles revienne pour pouvoir témoigner.
C'est bouleversant mais aussi poétique car Charlotte Delbo n'hésite pas, lorsque le récit n'est plus possible, à utiliser la poésie.
Ainsi, il y a notamment un magnifique poème en hommage à son mari, résistant, fusillé au fort du Mont-Valérien en mai 1942.

"Une connaissance inutile", dans un style différent d' "Aucun de nous ne reviendra", est un livre fort et un bouleversant témoignage d'une rescapée d'Auschwitz et de Ravensbrück qui trouvât le moyen de faire résonner les mots de Molière au milieu de l'Enfer.
Une formidable leçon de vie et d'humilité.
Lien : http://lemondedemissg.blogsp..
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Dans ce second volet (si on peut l'appeler comme cela), Charlotte delbo va nous donner une vision beaucoup plus personnelle des camps. On va suivre sa propre expérience et en prenant part à toute cette horreur, elle nous livre un peu d'elle-même dans ce texte.

Précédemment on avait à faire à des hommes et des femmes lambda qui avaient vécus une abomination, mais on regardait tout cela d'un point de vue presque extérieur. L'auteure ne nous permettait pas une prise de position en pénétrant à l'intérieur des camps. Dès lors que l'on entame ce livre on se retrouve plongé dans les camps à côtés d'une multitude de femmes, dont l'une est Charlotte Delbo. Car toutes ces femmes, nous les connaissons, elles sont nos mères, nos soeurs, nos voisines, elles sont des femmes inconnues ou encore des héroïnes. Mais elles représentent toutes un bout de notre histoire.

Tout d'un coup, ce texte prend une nouvelle dimension, car en prenant place au coeur de son récit, elle nous interpelle et nous emmène avec elle. Ces camps de la mort deviennent dès lors également un lieu rempli d'espoir et d'amitié. Toujours sous la forme d'un documentaire, Charlotte Delbo va nous parler de soutient, d'amitié, d'amour et d'espoir. L'espoir de meilleur lendemain, car on ne peut pas parler d'espoir de survit : il n'y en a malheureusement aucun.

Cette solidarité entre femme qui se dessine sous nos yeux, nous bouleverse. Ce texte devient un témoignage pour toutes les femmes qui ont survécus à l'appel du lendemain. A celles qui seront encore en vie mais également à toutes celles qui ne sont plus des nôtres. Entre richesse d'écriture et précision des détails on semble transporté dans les camps de la mort. A travers de nombreux chapitre court, on suit des destins tragiques et brisés qui demeurent encore aujourd'hui des forces de la nature. Puis Charlotte Delbo mêle à son texte la poésie et la littérature, avec les arts qui permettent encore une fois de s'évader malgré l'horreur.

Ce témoignage d'une grande richesse parvient à nous donner la vision la plus aboutie (à mon avis) de ces années aux camps. Un texte puissant que je ne serais que recommander aux inconditionnels de cette période. Ceux qui veulent avoir une vérité nue.
Lien : https://charlitdeslivres.wor..
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Barbelés des mots

Charlotte Delbo (1913-1985) fut l'assistante de Louis Jouvet avant-guerre. Résistante avec son mari durant l'Occupation, ils furent arrêtés tous deux. Lui fusillé, elle déportée pour Auschwitz-Birkenau. Comment dire cela ? par quelle langue noire faire l'énoncé d'une telle atrocité ? Comme si c'était aussi simple, comme si ce fait était égal aux autres – alors que rien jamais ne pourra justifier de telles horreurs.
Vers la fin de la guerre, elle fut changée de camp. Sa nouvelle destination, à peine moins sinistre que la précédente : Ravensbrück.

À la libération du camp, elle reprendra son activité théâtrale aux côtés de Louis Jouvet. Des 230 femmes parties avec elle dans le convoi de Compiègne pour Auschwitz, seules 49 d'entre elles reviendront ; seules ces quelques femmes auront pu passer – mais à quel prix ! –, entre les griffes du massacre sans nom. Et pour quel retour ? Pour quelle vie ? Y a-t-il seulement une vie possible après ce là-bas, après cet enfer terrestre ?
Ce n'est qu'au tout début des années 70 que Charlotte Delbo décidera de faire publier son amère trilogie déchirante : Auschwitz et après.

D'un tel témoignage on ne ressort pas. Car lire de tout son être, c'est entrer nu dans la chair vivante du silence. Mais ici, dans la plaie de cet ouvrage, le silence est un squelette décharné qui claque au vent : drapeau de chair déchirée. On entre dans ce livre comme dans la peau morte d'un serpent – avec pour seul habit, la squame rayée des déportées. On pénètre dans le froid terrible des appels qui durent toute la nuit pour ces fantômes de femmes qui ne savent plus ce que c'est que le jour, qui n'ont que la lumière crue et maladive des lampes électriques pour tout soleil ; on sent la diarrhée qui colle aux jambes amaigries, desséchées de leur pulpe vitale ; on éprouve la soif tenace, l'absence de salive qui vous fait la bouche comme un gros ballon de colle ; on perçoit l'immonde cacophonie de hurlements rauques, de voix hystériques. Oui, “la mort est un maître venu d'Allemagne” ainsi que l'écrivait Paul Celan dans son Todesfuge, sa Fugue de mort.

Que celui qui ne craint pas d'être bouleversé – ébranlé au plus profond de lui-même – ; que celui-là seul ose donc s'aventurer dans cette oeuvre. Si des lambeaux de son coeur restent accrochés dans les barbelés des mots, c'est que sa lecture n'aura pas été vaine.

Comme le disait le Christ à la Bienheureuse Angèle de Foligno dans ses visions extatiques : « Ce n'est pas pour rire que je t'ai aimée !... »
Et ce n'est pas non plus pour rire que Charlotte Delbo a témoigné.
Puisque notre société est devenue celle du “rire” sur commande – qui est d'ailleurs tout sauf le rire franc et sincère de la joie –, que chaque ricaneur insipide se le tienne pour dit et passe son chemin !

Extrait du poème PRIERE AUX VIVANTS POUR LEUR PARDONNER D'ÊTRE VIVANTS (p. 186) :

"Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d'être habillés de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie..."

© Thibault Marconnet
18/04/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Citations et extraits (50) Voir plus Ajouter une citation
PRIERE AUX VIVANTS
POUR LEUR PARDONNER D'ETRE VIVANTS

Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
un vêtement qui vous va bien
qui vous va mal
qui vous va à peu près
vous qui passez
animés d'une vie tumultueuse aux artères
et bien collée au squelette
d'un pas alerte sportif lourdaud
rieurs renfrognés, vous êtes beaux
si quelconques
si quelconquement tout le monde
tellement beaux d'être quelconques
diversement
avec cette vie qui vous empêche
de sentir votre buste qui suit la jambe
votre main au chapeau
votre main sur le coeur
la rotule qui roule doucement au genou
comment vous pardonner d'être vivants...
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
Vous passez et vous buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle vous aime
mauvaise humeur souci d'argent
comment comment
vous pardonner d'être vivants
comment comment
vous ferez-vous pardonner
par ceux-là qui sont morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous vos muscles
que vous buviez aux terrasses
que vous soyez plus jeunes chaque printemps
Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d'être habillés de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie.
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Ce point sur la carte
Cette tache noire au centre de l'Europe
cette tache rouge
cette tache de jeu cette tache de suie
cette tache de sang cette tache de cendres
pour des millions
un lieu sans nom.
De tous les pays d'Europe
de tous les points de l'horizon
les trains convergeaient
vers l'in-nommé
chargés de millions d'êtres
qui étaient versés là sans savoir où c'était
versés avec leur vie
avec leurs souvenirs
avec leurs petits maux
et leur grand étonnement
avec leur regard qui interrogeait
et qui n'y a vu que du feu,
qui ont brûlé là sans savoir où ils étaient.
Aujourd'hui on sait
Depuis quelques années on sait
On sait que ce point sur la carte
c'est Auschwitz
On sait cela
Et pour le reste on croit savoir
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Je vous en supplie faites quelque chose apprenez un pas une danse quelque chose qui vous justifie qui vous donne le droit d'être habillés de votre peau de votre poil apprenez à marcher et à rire parce que ce serait trop bête à la fin que tant soient morts et que vous viviez sans rien faire de votre vie.
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Vous direz qu'on peut tout enlever à un être humain sauf sa faculté de penser et d'imaginer. Vous ne savez pas. On peut faire d'un être humain un squelette où gargouille la diarrhée, lui ôter le temps de penser, la force de penser. L'imaginaire est le premier luxe du corps qui reçoit assez de nourriture, jouit d'une frange de temps libre, dispose de rudiments pour façonner ses rêves. A Auschwitz, on ne rêvait pas, on délirait.
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Et je suis revenue... (p. 179-184)

Et je suis revenue
Ainsi vous ne saviez pas,
vous,
qu’on revient de là-bas

On revient de là-bas
et même de plus loin

*

Je reviens d’un autre monde
dans ce monde
que je n’avais pas quitté
et je ne sais
lequel est vrai
dites-moi suis-je revenue
de l’autre monde ?
Pour moi
je suis encore là-bas
et je meurs
là-bas
chaque jour un peu plus
je remeurs
la mort de tous ceux qui sont morts
et je ne sais plus quel est vrai
du monde-là-bas
maintenant
je ne sais plus
quand je rêve
et quand
je ne rêve pas.

*

Moi aussi j’avais rêvé
de désespoirs
et d’alcools
autrefois
avant
Je suis remontée du désespoir
celui-là
croyant que j’avais rêvé
le rêve du désespoir
La mémoire m’est revenue
et avec elle une souffrance
qui m’a fait m’en retourner
à la patrie de l’inconnu.

C’était encore une patrie terrestre
et rien de moi ne peut fuir
je me possède toute
et cette connaissance
acquise au fond du désespoir
Alors vous saurez
qu’il ne faut pas parler avec la mort
c’est une connaissance inutile.
Dans un monde
où ne sont pas vivants
ceux qui croient l’être
toute connaissance devient inutile
à qui possède l’autre
et pour vivre
il vaut mieux ne rien savoir
ne rien savoir du prix de la vie
à un jeune homme qui va mourir.

*

J’ai parlé avec la mort
alors
je sais
comme trop de choses apprises étaient vaines
mais je l’ai su au prix de souffrance
si grande
que je me demande
s’il valait la peine

*

Vous qui vous aimez
hommes et femmes
homme d’une femme
femme d’un homme
vous qui vous aimez
pouvez-vous comment pouvez-vous
dire votre amour dans les journaux
sur des photos
dire votre amour à la rue qui vous voit passer
à la vitrine où vous marchez
l’un près de l’autre contre l’autre
vos yeux dans la glace rencontrés
et vos lèvres rapprochées
comment pouvez-vous
le dire au garçon
au chauffeur de taxi
vous lui êtes si sympathiques
tous les deux
des amoureux
vous le dire sans rien dire
d’un geste
Chérie, ton manteau, n’oublie pas tes gants
vous effaçant pour la laisser passer
elle souriant paupières abaissées qui se relèvent
le dire à ceux qui vous regardent
et à ceux qui ne vous regardent pas
par cette assurance qu’on a quand on est attendu
dans un café
dans un square
cette assurance qu’on a
quand on est attendu dans la vie
le dire aux animaux du zoo
ensemble qu’il est laid celui-ci celui-là qu’il est beau
d’accord sincèrement
ou non
n’importe
y pensez-vous seulement
comment pouvez-vous et pourquoi
le dire à moi
je sais
je sais que tous les hommes ont aux femmes les mêmes gestes
tes gants chérie, tes fleurs que tu oublies
chérie m’allait bien à moi aussi
je sais que toutes les femmes
ont aux hommes le même ravissement
il prenait ma main
protégeait mon épaule
comment osez-vous
à moi
je n’ai plus à sourire
merci chéri tu es gentil
chéri lui allait bien à lui aussi.

Et ce désert est tout peuplé
d’hommes et de femmes qui s’aiment
qui s’aiment et se le crient
d’un bout de la terre à l’autre.

*

Je suis revenue d’entre les morts
et j’ai cru
que cela me donnait le droit
de parler aux autres
et quand je me suis retrouvée en face d’eux
je n’ai rien eu à leur dire
parce que
j’avais appris
là-bas
qu’on ne peut pas parler aux autres.
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Vidéo de Charlotte Delbo
Charlotte Delbo : Spectres, mes compagnons - Lettre à Louis Jouvet (France Culture / Théâtre et Cie). Texte présenté par Geneviève Brisac. Réalisation : Marguerite Gateau, avec des archives INA. En partenariat avec l’association “Les Amis de Charlotte Delbo”. http://www.charlottedelbo.org/. Conseillère littéraire : Céline Geoffroy. Enregistré au Festival d’Avignon le 18 Juillet 2013. Diffusion sur France Culture le 2 octobre 2016. Texte lu par Emmanuelle Riva. Photographie : Charlotte Delbo, via le site internet de “L'association des amis de Charlotte” • Crédits : @copyright Schwab. « Charlotte Delbo fut l’assistante de Louis Jouvet au Théâtre de l’Athénée avant d’entrer dans la Résistance. Elle est arrêtée avec son mari Georges Dudach le 2 mars 1942. Le 23 avril 1945, après vingt-sept mois de captivité dans les camps d’Auschwitz-Birkenau et de Ravensbrück, elle fut libérée par la Croix-Rouge et internée en Suède. Elle n’avait pas encore trente-deux ans. Des deux cent trente prisonnières de son convoi, elles n’étaient plus que quarante-neuf. Et Charlotte Delbo se préparait à consacrer le restant de ses jours à trouver les mots justes, à écrire des livres et des pièces de théâtre pour faire vivre la mémoire et les mots de ses amies assassinées, et de son mari fusillé. La première chose qu’elle fit, le 17 mai 1945, ce fut d’écrire une lettre. On peut imaginer dans quel état de faiblesse elle se trouvait. C’était une lettre à Louis Jouvet, qui disait : « Je reviens pour entendre votre voix. » Il y eut d’autres lettres, jusqu’à cette dernière qu’Emmanuelle Riva lira, une lettre non envoyée, non terminée, non reçue, interrompue par la mort de Louis Jouvet, en 1951. Une lettre comme un testament politique et littéraire, où le courage, la peur, le rêve et la pitié pèsent leur juste poids. » Geneviève Brisac Cette lecture de « Spectres, mes compagnons » est agrémentée d'extraits de la Radioscopie consacrée à Charlotte Delbo, produit par Jacques Chancel et diffusée le 2 avril 1974. Remerciements à Claude-Alice Peyrottes, présidente d'honneur de “L'association des amis de Charlotte”. Source : France Culture
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