Un petit trésor brut que cette déclaration d'amour de l'auteur pour la langue française , mais pas seulement, c'est aussi l'évocation de son enfance, d'une figure paternelle exceptionnelle, pour qui la culture, le savoir étaient des composantes essentielles de la VIE à transmettre à ses fils, lui, qui avait souffert du régime totalitaire de son pays… Réflexion élargie à la LITTERATURE…hommage vibrant rendu aux enseignants, aux maîtres qui ont durablement marqué « notre » écrivain…
Un texte d'une densité rare qui nous interpelle dans ce que nous avons de plus intime : notre « Langue maternelle »… ?
Eh bien notre écrivain talentueux s'est créé une deuxième naissance avec la langue française, la « Langue paternelle »…On ne peut que rester ébahi devant la virtuosité de son style, de ce qu'il exprime en profondeur : toute langue qui se nourrit non seulement de règles grammaticales, et lexicographiques mais aussi de l'âme du pays, de sa culture, de ses habitants, des usages et rituels de leur quotidien…En fait, à de nombreuses reprises, je me suis laissée porter par la beauté de sa prose… comme ces lignes qui suivent…Sans oublier deux nourritures esthétiques et culturelles nourrissant l'écrivain : MOZART et
Jean-Jacques ROUSSEAU…
« Ce qui, finalement, nourrissait et fortifiait ma langue paternelle, la langue que je portais donc en moi depuis un peu moins de dix ans, ce n'était pas tant ce que j'apprenais dans les cours et les conférences que ce qui frappait mes yeux dans les rues, dans les cafés ou dans les jardins, les films que je regardais dans les salles de cinéma, la musique qui me caressait les oreilles à l'Opéra ou dans les salles de concert, les tableaux que je contemplais dans les musées grands et petits, les paroles vives, dans leur matérialité sonore, que je captais au cours des échanges quotidiens interminables avec les amis rencontrés dans et autour de l'enceinte de l'Ecole, et enfin, et surtout, les textes d'un certain nombre, au demeurant assez limité, d'auteurs classiques et modernes que je lisais et relisais dans le silence tout sonore de ma solitude. Un spectacle de rue étonnant, une musique sublime, un film bouleversant, un tableau magnifique, une joyeuse conversation amicale dans un café, une belle page de roman: tout cela pouvait irriguer et fertiliser la langue qui me traversait désormais de part en part, car tous ces chocs esthétiques suscitaient des mots et libéraient la parole (...) (p. 203)”
Ravie de découvrir ce texte …alors que j'avais en attente un autre livre de ce même auteur , où la musique est le "noyau central", « L'Ame brisée » offert en priorité à un ami violoniste..…
Ce récit sur son amour pour la langue française a l'immense mérite d'expliquer en profondeur son roman « L'Ame brisée » . Je prêterai cet ouvrage à l'ami, qui me prêtera réciproquement « son autre livre », sur-habité par la musique !
Une figure paternelle extraordinaire, un papa-ingénieur-enseignant, qui s'investit de toutes ses forces pour encourager et soutenir ses deux fils : l'un dans la musique, l'autre, notre auteur, qui se prend de passion pour la langue française, alors le Père fait l'acquisition assez onéreuse d'un magnétophone, afin qu'il puisse travailler à loisir « sa » nouvelle langue !
« J'ai le sentiment d'avoir profité, en tierce personne, du face-à-face de m
on père et de mon frère [qui a étudié longuement le violon] pour m'éveiller à la musique. Et c'est peut-être cette musique-là, que je ne pratique pourtant sur aucun instrument, qui m'a acheminé vers cette autre musique qu'est la langue française. Quand je parle cette langue étrangère qui est devenue mienne, je porte au plus profond de mes yeux l'image ineffaçable de mon père; j'entends au plus profond de mes oreilles toutes les nuances de la voix de de la voix de mon père. le français est ma langue paternelle.”
Multiples passions, passion pour l'oeuvre de
Jean-Jacques Rousseau, ainsi que pour
Jean Starobinski , critique brillantissime de l'oeuvre de ce dernier…
Des analyses affinées du bilinguisme, des doutes, questionnements quant à sa toute petite fille… ayant une maman , française et un « papa » japonais. Il se demande quelle sera la meilleure solution pour son enfant ,de maîtriser et d'aimer les deux langues de ses parents !
« le jour où je me suis emparé de la langue française, j'ai perdu le japonais pour toujours dans sa pureté originelle. Ma langue d'origine a perdu son statut de langue d'origine. J'ai appris à parler comme un étranger dans ma propre langue. Mon errance entre les deux langues a commencé... Je ne suis donc ni japonais ni français. Je ne cesse finalement de me rendre étranger à moi même dans les deux langues, en allant et en revenant de l'une à l'autre, pour me sentir toujours décalé, hors de place. Mais, justement, c'est de ce lieu écarté que j' accède à la parole; c'est de ce lieu ou plutôt de ce non-lieu que j'exprime tout mon amour du français, tout mon attachement au japonais. »
Ce texte est une merveille d'intelligence, de culture et de profonde humanité. Je reste admirative devant la personnalité lumineusement bienveillante du père de l'écrivain : » Bref , mon père était là dans toute sa splendeur, avec toute la puissance de son désir d'apprendre, de sa soif de connaissances, de sa volonté d'aller toujours plus loin et enfin de sa fougueuse et inépuisable passion pédagogique. Je me suis souvenu que c'était lui qui nous avait appris à nager, alors que lui-même ne savait pas. » (p. 55)
Une lecture extraordinaire… nous faisant intelligemment réfléchir à notre propre apprentissage du langage ainsi que nos manières intimes ou non d'habiter notre “langue maternelle”…