Une très grosse déception!
Je me réjouissais de découvrir ce livre jugé comme l'un des grands romans américains du XXe siècle et l'un des meilleurs de son auteur. Las, habitué, dans
le domaine américain, à des écrivains complexes comme Melville, James ou encore
Faulkner, je ne pensais pas me retrouver face à tant de lourdeur et de platitude.
L'histoire est intéressante en soi, et pourrait être passionnante. L'évocation d'une époque et de différents milieux (notamment celui de ces évangélistes miséreux auquel appartient le personnage principal) est réussie; tel épisode, comme les mois où Clyde travaille comme groom dans un hôtel de luxe, nous plonge admirablement dans une certaine ambiance. On ne peut être que touché par le destin du personnage central, et les dernières pages laissent une forte impression. le livre suscite un réel questionnement sur une certaine manière de vivre sa religion, sur l'éducation, sur la société américaine et certaines de ses tendances (le titre oriente vers ce dernier thème).
Malheureusement, de gros défauts gâchent le roman, que je trouve manqué au total.
Theodore Dreiser, en bon tâcheron naturaliste, veut TOUT expliquer, TOUT raconter, sans laisser la moindre place à l'implicite: chaque épisode est relaté dans les détails, chaque relation de cause à effet est soulignée, chaque sentiment ou réaction est décrit, non sans répétitions. On ne s'étonne pas, dans ces conditions, d'aboutir à un pavé de plus de neuf cents pages, mais on se dit en soupirant qu'un autre auteur aurait fait mieux en trois cents. le summum est atteint lors du procès (car procès il y a): Dreiser nous inflige sur des dizaines et des dizaines de pages plaidoirie, réquisitoire, interrogatoires, sans que ces torrents de discours judiciaires sonnent autrement que comme un exercice de style ou de bravoure, car l'auteur fait alors à peine plus qu'offrir la retranscription des différents moments du procès quasi sans commentaire, sans analyse. Avis aux amateurs, mais pour ma part, j'ai dépassé la fascination adolescente pour les procès d'assises américains et aurais préféré un vrai regard sur ces longues journées d'audience (comme chez
Faulkner, dans "
Sanctuaire", ou même chez Lee, dans "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur").
Le lecteur a donc dans l'ensemble tellement de matériel entre les mains qu'il se retrouve en pur "liseur", totalement passif, sans rien à reconstruire ou à réellement imaginer. Autant regarder un film...
Tous les personnages secondaires, à part peut-être Roberte et la mère de Clyde Griffiths, sont négligés; Sondra, notamment, mériterait un traitement plus fin pour que le lecteur voie autre chose en elle qu'une espèce de péronnelle sans relief.
Pour couronner le tout, le style de l'auteur, tel du moins qu'il transparaît de la traduction de
Victor Llona revue par Victor Loupan, est soit insignifiant, soit lourd: les commentaires pesants (et outrageusement moralisateurs) que Dreiser livre sur son antihéros sont souvent faits de périodes mal construites, le reste du roman étant composé de phrases plutôt simples, inintéressantes car dépourvues de toute "patte" stylistique - tout au plus un style de lycéen appliqué. Un critique contemporain de la parution du livre (1925) appela d'ailleurs celui-ci "the worst-written great novel in the world" - on aura compris que je souscris (ô combien!) à la seule première partie de ce jugement (cité dans l'article de l'Encyclopaedia Britannica sur le livre).
Un dernier élément m'a achevé: le travail d'édition lamentable fait pour cette réédition de 2015 (à partir d'un scan de l'ancienne édition?) aboutit à un livre à la composition typographique plus que négligée: caractères voire mots entiers omis, fautes de ponctuation, dialogues donnés pour du récit et l'inverse, fautes d'orthographe, etc. Il arrive qu'une virgule en trop crée un contresens et nous force à supputer une coquille... Fâcheux, car tout cela dessert le roman.
En résumé: hélas, je ne recommande absolument pas "
Une tragédie américaine", à moins que vous ne soyez vraiment dingue de littérature américaine - ou de romans de gare. Quant à moi, je vais faire de ce pas une petite cure d'un alcool plus corsé (
Thomas Wolfe?
John Dos Passos?) pour oublier ces longues semaines de liqueur fadasse.
N. B. Ayant incriminé les coquilles du livre, je précise, concernant la présente critique, que les minuscules en début de ligne (au lieu de majuscules) ne sont pas mon fait mais viennent d'un défaut de ce site, pas toujours très maniable. Impossible de les corriger.