Belle soiree de printemps. Je me balance doucement dans mon rocking chair au bois grisonnant, caresse son bras arrondi et me demande s'il va encore s'eclaircir, comme moi, s'il arrivera jusqu'a blanchir avant qu'on ne le jette au debarras. A travers la baie vitree les verts, eux, obscurcissent. Je leve un peu les yeux. Les nuages en procession sont teintes de bleu clair. A force de les fixer ils rosissent tendrement, charmes par l'heure. C'est trop beau, faussement calme, a peine le temps d'une lippee de mon vieil
Sempe et l'extase rosatre est bouleversee, striee de rouges grisonnants. le ciel aussi, comme le bois? C'est trop beau, je me concentre sur mon petit ballon d'armagnac pour ne pas pleurer.
Par terre, a mes pieds, le livre qu'une main engourdie a lache. Tres beau lui aussi. A en pleurer.
Vieille France. C'est son titre. C'est le surnom qu'un personnage donnait a l'heroine principale, jeune femme de petite noblesse provinciale forcee (parce qu'elle a “faute”) de servir de riches juifs. A son grand dam. A sa grande fierte. A son grand bonheur. de riches juifs? Des “israelites”. Eux aussi
Vieille France. Tres proustiens (
Proust n'etait il pas lui-meme un juif tres proustien?). Mais nous sommes a la la veille de la deuxieme guerre mondiale. Et quand elle arrivera, quand arriveront les annees noires,
Vieille France sera Belle France, Grande France, pour ces juifs qu'elle aime et dont elle execre la judeite.
Par terre, a mes pieds, un livre ecrit en
Vieille France, en une langue simple, legerement surannee, ronde et poetique. Qui va droit au but, droit au coeur. Qui fait sourire et peut faire pleurer. Je chauffe comme je peux de mes doigts maigres mon petit ballon de vieil armagnac
Sempe. Comme une envie de porter un toast a
Vieille France. Ou a son auteure, cette petite-fille d'un president.