"Virgin Suicides" fait partie de ces rares oeuvres cinématographiques qui me hanteront à vie. J'ai une fascination extraordinaire pour ce film et encore davantage pour le roman que j'avais trouvé prodigieux. Ce mélange de pureté et de souillure qui enserre tout le film, cette grâce insaisissable qu'on abîme et qu'on avorte. Tout me fascine : le talent des actrices, la puissance des couleurs, l'évanescence des sourires et des gestes, ce mélange de transparence et d'opacité, et l'horreur insensée du drame.
Pour apprécier le plus possible l'ouvrage de
Pierre Jailloux, j'ai donc revisionné avant le petit bijou de
Sofia Coppola. Et dès les premières pages, j'ai été frappée par la minutie avec laquelle l'auteur décortique ce film plan par plan, image par image, du décor aux sons qui crépitent en arrière plan, des teintes aux objets-symboles. C'est absolument fascinant.
J'ai suivi ses explications en ayant chaque scène à l'esprit et j'avais cette sensation grisante de vraiment comprendre le film, du moins de le comprendre avec davantage d'acuité, lui qui m'avait toujours laissée dans un flou à la fois cristallin et sinistre. J'ai adoré suivre ce lent cheminement, cette "autopsie" des gestes, des actes, des paysages, puisqu'on réalise avec ravissement que rien n'est anodin, que le moindre détail est pensé, que tout a un sens caché, maquillé, déguisé.
J'avais la sensation de suivre un cours de fac où soudain tout s'éclairait et se révélait, et toutes ces portes qui s'ouvrent, cette vision qui s'aiguise en soi, c'est aussi stupéfiant qu'électrisant. Je me rends compte qu'un nombre incroyable d'éléments m'avait échappés alors qu'ils étaient pourtant là, à portée de regard, et tout au long de ma lecture, je me suis surprise à faire des tas de recherches sur telle légende ou tel poète, à réécouter la bande-son du film, à chercher une information sur tel sociologue ou tel philosophe.
Pierre Jailloux ne se limite pas au film mais évoque également les autres oeuvres de
Sofia Coppola avec "
Marie-Antoinette" ou "Lost in translation", le travail et l'héritage immenses de Coppola père, évidemment, ainsi que quelques anecdotes concernant les actrices. Il fait référence à de nombreux autres films et réalisateurs qu'il met en parallèle avec le "Virgin Suicides" de Sofia tandis qu'en guise d'ultime respiration, comme il l'écrit en titre d'un chapitre, il nous offre quelques pages superbes reproduisant des plans clef du film.
C'est une analyse extrêmement pointue, experte et percutante du chef-d'oeuvre de
Sofia Coppola.
Pierre Jailloux possède un regard aiguisé de virtuose. Il nous parle phénomène de société, psychologie, voire même psychanalyse. Malgré mes longues études de psychologie clinique, il m'a quelquefois perdue par la subtilité extrême de ses propos mais tant de passages m'ont impressionnée que je ressors de cette lecture encore plus amoureuse de l'oeuvre.
La perspicacité avec laquelle il épluche ma scène favorite – les disques partagés par téléphone comme des messages secrets – est encore plus magique que je ne l'avais ressentie. Parce que c'est justement cela mon grand souci d'hypersensible : je ressens les films mais je ne peux pas toujours expliquer pourquoi ils me touchent. L'auteur, lui, y parvient avec beaucoup d'aisance et on reconsidère l'oeuvre entière avec un regard plus neuf et plus ciselé, considérant de nouvelles perspectives pour tenter d'effleurer les arcanes ténébreuses et oppressantes qui barricadent "Virgin Suicides".
Malgré tout, il y a dans ce film quelque chose qui reste pour moi de l'ordre de l'inaccessible, du trop dangereux pour être pleinement traversé. Même fouillé, écossé, disséqué, "Virgin Suicides" n'en finit pas de protéger ses mystères. Et c'est aussi cela qui fait la beauté, l'intensité, la grandeur d'une oeuvre.
Je ne peux que conseiller cet ouvrage à tous les fans du film de
Sofia Coppola : vous serez surpris, bousculés, émus et envoûtés. Évidemment, on referme le livre en n'ayant qu'une seule envie : revisionner le film, encore, relire le livre, encore. Merci à Babelio et aux éditions Vendémiaire pour ce superbe ouvrage que je n'aurais sans doute pas découvert par moi-même et qui m'a charmée.
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