C'est en cherchant un auteur namibien pour le challenge des Globe-trotteurs que j'ai fini par mettre la main sur la correspondance d'
Hendrik Witbooi, dans la librairie Quilombo à Paris...Trouver les lettres d'un rebelle namibien dans une librairie au nom d'esclaves brésiliens auto-affranchis, la coïncidence semble douteuse !
Hendrik Witbooi fut un chef de clan Nama, l'un des peuples dits "rouges" de l'ancienne Namibie, ou de ce qui allait devenir le
Sud-Ouest africain dans la seconde partie du 19e siècle.
Votre paix sera la mort de ma nation rassemble une partie de sa correspondance, prolifique, avec ses alliés (fournisseurs d'armes, connaissances, Britanniques...) et ses ennemis (colonels allemands ou chefs de guerre hereros).
Ces lettres ont été écrites dans un contexte de grande invasion suite à la Conférence de Berlin de 1884, où la présence britannique s'amenuise et laisse place aux Allemands, bien décidés à "placer sous leur protection" leurs quelques ressortissants et les clans indigènes.
Les lettres de Witbooi, par leurs destinataires variés et l'enthousiasme perceptible de leur auteur à expliciter ses actes et à questionner ses interlocuteurs, dressent un tableau attristant d'un territoire soumis à d'éternels règlements de compte entre tribus locales, et particulièrement entre Nama (peuple rouge) et Hereros (peuple noir), cependant bien loin des images que l'on pourrait avoir de sauvages africains s'étripant sans foi ni loi : élevé dans la foi luthérienne, Witbooi semble ne jamais cesser ses contacts par écrit avec ses ennemis, auxquels il réclame la paix (posant parfois des conditions difficilement acceptables) ; de longues lettres lui servent aussi à dénoncer des pratiques déloyales (meurtres ou enlèvement de femmes et d'enfants innocents) ou à justifier ses agressions qu'il légitime souvent comme une réponse à un affront qu'on lui aurait fait précédemment.
Si la correspondance avec ses ennemis et les circonvolutions quant aux traités de paix peuvent lasser le lecteur, les échanges de Witbooi avec les représentants britanniques ou les colonels allemands sont eux révélateurs de l'hypocrisie d'une mission civilisatrice et protectrice autoproclamée : ses interrogations répétées sur les massacres commis, l'expropriation et l'installation de colons sur ses terres qu'il déloge (ce qui fait pousser aux Allemands des cris d'orfraie), et surtout sa solide argumentation concernant son refus de se soumettre à toute protection allemande sont autant de tentatives pour mettre les Européens face à leurs propres contradictions, et tenter de les convaincre en usant de leur propre rhétorique...Malheureusement en vain, les occupants se souciant finalement peu des convenances en si lointain pays.
Face à son regard lucide sur les menaces allemandes et la nécessité impérieuse de ne pas y céder, on comprend qu'
Hendrik Witbooi soit désormais élevé au rang de légende de l'histoire namibienne ; si j'ai beaucoup ri à au ton faussement naïf qu'il emprunte et aux requêtes franchement gonflées qu'il émet parfois, je n'ai pu m'empêcher de me demander ce qu'il se serait passé si Nama et Hereros étaient parvenus à mettre leurs différends de côté...
Un texte suffisamment court pour être lu rapidement, à certaines lettres parfois longuettes, mais qui mérite vraiment d'être lu pour toute personne qui s'intéresserait à l'histoire africaine et à ses pans et héros méconnus !