J'avais besoin de lire ce livre.
Naissance d'une nation européenne s'ouvre sur une citation poignante de
Svetlana Alexievitch
« C'est quoi, la guerre ?
-La guerre, c'est quand on a envie de vivre. »
Nous avons tous en mémoire le souvenir des jours qui ont précédé le 24 février 2022. Ces habitants de Kiev interrogés par les journalistes qui refusent d'envisager le pire : partir.
Quitter la terre de ses ancêtres, se séparer de ses parents âgés qui ne peuvent se déplacer et même cette journaliste ukrainienne qui refuse de quitter son 2 pièces pour ses chats.
Tout le monde s'accrochait à cette idée : un coup de bluff de Poutine.
Puis dans la nuit du 24, ce message glaçant de Poutine signal de départ du rouleau compresseur.
Les premiers bombardements. Ces images de chaos, d'exil forcé, de familles séparées.
Sur les chaînes d'infos continues, ces images d'enfants, de femmes, d'hommes, de personnes âgées en fauteuil roulant embourbé fuyant tant bien que mal avec leur chien, leur chat. Ces quais de gare aux vitres embuées de larmes, d'adieux, de peur des bombardements. Tout est allé très vite. Cette tension entretenue par les chaînes d'infos, les radios, le minute par minute. C'est tout près de nous, à une journée de voiture. le rouleau compresseur est en marche, la peur des autres pays limitrophes comme la Moldavie se propage. Insoutenable. Insoutenable par la violence de Poutine, insoutenable parce que ces enfants, ces femmes, ces hommes, les chaînes d'infos ne leur donnent même pas de prénom, de nom, d'histoire. le lendemain matin, réveil avec le souvenir d'un visage : est-ce que cette petite fille a réussi à passer avec sa maman, que va-t-il se passer pour ce père ?...
Ces enfants, ces femmes, ces hommes se prennent soudainement en pleine figure cette bascule dans l'horreur mais le livre, ce livre montre la petite étincelle de vie, d'espoir. "l'Espoir ce n'est pas la conviction qu'une chose aura une issue favorable, mais la certitude que cette chose a un sens, quoi qu'il advienne"
Vaclav Havel. Ce livre donne une identité, une permanence à ces anonymes des chaînes d'infos. Ces personnes croisées, j'ai besoin de les retrouver, j'ouvre le livre, ils sont là. En quelque sorte,
Olivier Weber leur donne une permanence, presque une éternité puisqu'ils sont dans le livre. Ils sont sauvés. Ils ne pourront pas disparaître, ils sont retenus dans ces pages.
Ils ont tous un prénom, un nom, leur profession avant la guerre. Il y a Evgueni Yevtuchenko, le chirurgien devenu Préfet militaire, Andréï le conducteur de la voiture qui mène
Olivier Weber à Kharkiv, Oleksander Vyalov, l'enseignant-pasteur qui est resté pour ses fidèles et se protège des éclats de verre à l'aide de pages de romans policiers et de missels !! Tatiana, Maria, Ala, Denys, Valery, Vlad, Rimma, Alexander, Sergueï, Vadim, Vitaly, Ivan, Valentina…
Ils sont électricien, garagiste, jeune mère de famille, Procureure générale d'Ukraine, directeur adjoint de l'opéra d'Odessa, concessionnaire automobile, professeur d'histoire et recteur de l'Université de Zaporijia…
Il n'y a aucun anonyme dans le livre d'
Olivier Weber. Même cette femme, cette babouchka qui bêche son jardin a un prénom, un nom, une histoire. Elle se nomme Rimma Smirnova, elle est russe d'origine, née à Samara. Elle n'aurait jamais imaginé une telle guerre contre un pays jugé frère pendant des décennies, mais à son regard
Olivier Weber comprend qu'elle ne peut en dire plus.
Dans ce livre, Pont indispensable entre
L Actualité,
L Histoire, la Littérature avec les compagnons de voyage d'
Olivier Weber :
Romain Gary,
Blaise Cendrars,
Vassili Grossman,
Joseph Conrad – nés tous les deux en Ukraine-,
Jack London,
Curzio Malaparte,
Friedrich Nietzsche,
Alexandre Soljenitsyne,
Mark Twain,
Elie Wiesel ,
Stefan Zweig… des références vertigineuses mais ne vous inquiétez pas, le découpage des chapitres respecte la respiration du lecteur,
Olivier Weber décrit l'ingéniosité, le sursaut de vie, la détermination, le courage, l'engagement, l'aspiration à la liberté, l'audace de la résistance face à la seconde armée du monde, la vie qui palpite, l'Art, le Beau comme moyen de résister et de rester humain, le combat juste, la démocratie face à l'empire. L'Espérance,
Témoigner au péril de sa vie avec un hommage très émouvant à Mantas Kvedaravicius, cinéaste lituanien assassiné et au courage de sa compagne, Hanna Bilobrova.
Se taire est impossible.