Diaspar
Il était neuf heures lorsque j’arrivai à Diaspar.
Les rues étaient lentes. Les chiens indolents.
Nulle féerie. Certes, le vent était bleu
Et j’aperçus aux fenêtres quelques femmes magnifiques.
De tavernes, point. Où produire le tabac, où cerner
l’avenir ?
J’interrogeai un badaud. Il ne me répondit pas.
Je descendis vers la mer. Rien. Je fis voile vers le quartier
des bureaux. Silence.
D’immenses bœufs rôtissaient. Il fit froid. Peut-être
était-ce la nuit.
Je compris que cette cité était celle des Poètes
Et que j’allais tout à la fois et de toute éternité à
chaque seconde vivre et mourir .
Au Harry’s
Au Harry’s, le chat le plus sombre de la capitale.
Toulouse-Lautrec. Un air yankee.
L’université de Columbia. La Revue Blanche.
À 5 heures, aucune femme ne crache sur la foudre.
Whisky vert. Guiness perle.
Derrière le comptoir, pavanes de guerre.
Les rugbymen préparent avec la caissière
Un monstrueux bowling.
Au matin le serveur fume un cigare
Devant le laitier qui fait
Un bruit de maréchal ferrant.
Sur le seuil, décidément moches, les poètes.
Premières mouettes…
Premières mouettes. Milliers d'étourneaux.
Un matin d'automne.
Derrière les acacias.
La maison de mon enfance.
Kiosques, cafés violents.
La marchande d'anémones.
J'évite la concierge.
Là. Serrai mon sac d'écolier,
Cachai mes manches.
Au second, Ravel, Debussy
Notre porte entrouverte.
Hier, partout, l'aventure.
Le vent ne te brûlera …
Le vent ne te brûlera. Jungles, déserts, cessez !
Voici la ville. Quel était ce secret longuement poursuivi ?
Là, tu trouveras le vin droit, la phrase franche.
Au port, ruissellent les voiliers, bagarrent les saumures.
Ah! s'asseoir aux terrasses des cafés des après-midis entières !
Les filles songent. Les garçons durcissent le tabac.
Au pays, ta mère est au jardin, ta sœur coud
À la croisée, parfois s'enflamment ses longues nattes.
Tant de force, de cœur, d'aventures féroces !
Mers ouvertes. Continents pris, abandonnés !
Pour quel secret? Ecoute. Les platanes frémissent.
Prends ton chapeau. Avance. Enferme tes mains dans les
miennes.
Tu ne seras jamais seul.
Il neige…
Il neige. Les pains trottent.
Les chiens font taire la soupe.
La mercière s'illumine comme une orange.
Les voitures blasonnent dans leurs crèches.
On pense évidemment à Jammes,
aux gaillardes sans boussole dans leur mort éternelles,
Aux villages que grillaient les cloches.
Le pasteur avait les poches trouées.
Ah ! les pommes dont les claies donnent sur la mer,
Les anges que l'on botte dans le bleu du château,
Les contes sous la jupe, les retombées du coq
Les toasts chantent comme des grillons.
Devant ma fenêtre, un gars balaie son chat.
Dans l'ombre, un encrier, des fleurs de gui.
Douces salives du dimanche. On a perdu la salière.
Un train chahute après la messe.