Don Diego de Zama vit à la fin du 18 ème siècle. Il est un fonctionnaire attaché au gouverneur d'une province insalubre située en Amérique latine. Il s'ennuie et attend : la fraîcheur du soir, des nouvelles de son épouse Marta restée au loin avec ses enfants. Il attend sa solde, versée irrégulièrement et l'obligeant à vivre d'expédients ; il attend une promotion qui le rapprocherait de sa famille ; il attend l'estime de son supérieur et le respect de ses subordonnés ; il attend l'amour charnel dont il est sevré tout en rêvant d'une femme idéale qui lui apparaît la nuit et même parfois en plein jour, mais est-ce bien elle ?
Rien de tout cela ne vient car rien ne vient jamais quand on est accablé par une canicule humide, par une lucidité accablante envers les autres et soi-même, par une indécision chronique et par une grande inaptitude à la vie et à l'amour.
La chute aux enfers de don Diego s'achève sans que l'espoir qui le ronge telle une vilaine lèpre, le quitte enfin.
Dans la folle poursuite finale d'un malfaiteur allégorique, ou réel, qui sait, à travers la pampa, don Diego est successivement accusé de complicité et de trahison puis condamné à la mutilation sans que l'espérance lui soit arrachée du coeur. Cette dernière partie, vécue ou fantasmée, est empreinte de réalisme magique. Il n'importe pas de savoir ce qui s'est réellement passé, car personne ne le sait ni ne le saura jamais et surtout pas le héros qui, à plusieurs reprises, sera secouru par ceux qu'il considérait comme ses ennemis irréductibles : un subordonné injustement traité, un truand et un jeune voleur.
Pour paraphraser Jacques Brel il faut " vivre jusqu'à la déchirure, vivre, même trop, même mal, tenter, sans force et sans armure, d'atteindre l'inaccessible étoile."
Même si on est médiocre et veule comme se vit le héros- narrateur, on n'échappe ni à la vie, ni à l'espoir, ni à la mort. Ni au rêve.
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Bien qu'elle soit fort douce, je me méfie de la nature de cette terre, je la sais enfantine et capable de me ravir ; dans ma lassitude mi-endormie il me venait des pensées traîtres et soudaines, de celles qui ne donnent, et pour longtemps, ni aise ni repos. Elle me portait, cette nature, à me rencontrer avec des choses extérieures, de celles en qui, si je m'y résignais, j'aurais pu me reconnaître.
Ces sujets ne valaient que pour moi, exclus de la conversation avec le gouverneur et les autres, étant peu, voire pas du tout, enclin à me faire des intimes devant qui m'épancher.
Je devais supporter l'attente - et sa souffrance - en ne parlant qu'à moi, sans rien communiquer.
Comme me le disait le parfois insolent Ventura Prieto qui me trouva cet après-midi-là sans m'avoir cherché, et tandis qu'il allait au hasard, j'avais l'air, sur ce pays plat, d'être dans un puits. Il me le dit une fois, et même plus d'une, il le dit aussi à d'autres, sans se soucier de ce que tous savaient, que j'avais été coq de combat ou du moins possesseur d'une arène.
Il apparut juste au moment où je me distrayais à regarder le singe et je le lui montrai afin de détourner son attention et d'éviter qu'il ne me demandât ce que j'attendais là. Et lui, qui m'était inférieur, il réfléchit un moment, cherchant la façon de m'écraser sur le chapitre des curiosités et des découvertes. Puis il m'assena un de ces traits qu'il appelait enquête, et si c'en était une, je ne saurais le dire, mais dans la mesure où je pouvais y discerner une insinuation, ils me déconcertaient et entraînaient des mouvements qui dépassaient parfois les limites du supportable.
Je sortis de la ville, fleuve aval, à la rencontre solitaire du navire que j'attendais sans savoir quand il viendrait.
J'atteignis l'ancien môle, construction inexplicable puisque la ville et son port furent toujours là où ils sont, un quart de lieue plus haut.
Entre les pilotis s'y débat la portion d'eau du fleuve dans cet espace retenue. Porté par la houle et les tourbillons sans issue, allait et venait avec précision un singe entier et non décomposé. L'eau, devant la forêt, avait toujours été une invitation au voyage qu'il ne fit pas tant qu'il fut singe et qu'il fit cadavre de singe. L'eau allait l'emmener, l'emmenait, mais les pilotis l'arrêtèrent et il demeurait là, prêt à partir, ne partant pas, et nous demeurions là.
Et nous demeurions là, prêts à partir, ne partant pas.
Bande annonce du film Zama (2017), adaptation du roman d'Antonio Di Benedetto