- proche, comme tout ce qui est perdu Tess Gallagher
Que sommes nous maintenant, nous qui étions deux paupières élevant en alternance
Le monde diurne puis nocturne par-delà ses fantasmes de vie éternelle ? Un œil observait l’autre dans sa quête infinie d’un chemin qui ramenât à un langage similaire au lavage des rêves de notre passé, ce gage sans plus aucun lien que toute mort réclame à tort.
Je ne pouvais me résoudre à ce que l’étoile diurne succède à l’étoile nocturne avant qu’une autre vie ne jaillisse par-dessus les décombres magnifiques des souvenirs ensevelis au fond de moi.
à présent l’amour est mon orbite meurtrie par la joie, telle un archet que la courbe d’un poignet fait aller le long de deux cordes sur un violoncelle tandis que,
plus haut, la main attentive soumet l’une des notes comme la douleur-en-transit soumet le langage à des fins incompréhensibles.
C’est alors seulement qu’elle peut dissimuler sa vibration
dans l’expérience d’un nouvel amour qui engloutit l’ombre.
Une telle union nous subjugue, non par son harmonie, mais à travers une prolongation du souvenir telle que nous sommes incapables d’exprimer les sensations qu’elle procure, mais devons les extérioriser comme des corps, comme si l’aspiration de l’âme à ressentir pénétrait en nous, comme elle pénètre, oui, comme elle pénètre.
Et voici que l’ombre fait un pas à notre place.
Et je parle à l’intérieur de l’ombre en l’appelant
par son nom dans l’amour, par son corps le plus tendre : Morenito, Morenito (*).
Et elle marche à notre place, s’allonge à notre place,
et fait briller notre corps un et lumineux, celui qui glisse
sur la terre comme un disque noir portant le monde sur ses épaules,
et dont les pieds épousent l’empreinte des nôtres.
Feuilles
Amants qui prennent plaisir
Dans la compagnie des arbres,
Qui vous détende après bien des baisers
Dans les bras l’un de l’autre,
Observez les feuilles.
Leur manière de frémir
Au moindre souffle d’air,
Leur manière de trembler,
De s’agiter presque individuellement; celle-là
Commence à remuer quand les autres
Attendent encore immobiles,
Indénombrables, injustifiables —
Qu’est-ce que je raconte?
Une feuille sur un million plus effarée,
Plus joyeuse,
Que toutes les autres?
Là-haut dans la profondeur
Si nuancée du grand chêne,
Mes paupières cillent de sommeil
Avec elle, une seule feuille troublée
d’ombre, de lumière.
Charles Simic
Le retour de la lumière
Même aussi tard, cela arrive :
le retour de l’amour, le retour de la lumière.
À l’éveil les chandelles semblent s’être allumées d’elles-mêmes,
les étoiles s’assemblent, les rêves se fendent aux oreilles,
d’où s’élèvent des bouquets d’air chaud.
Même aussi tard, les os du corps brillent
et la poussière du lendemain reprend son souffle.
Mark Strand
Prophétie
À la fin de l’année les étoiles disparaissent
l’air retient son souffle la Sibylle chante
elle chante d’abord l’obscurité qu’elle peu voir
et elle continue de chanter jusqu’à ce temps
qu’elle ne peut voir sans temps ni obscurité
nul n’entend tandis qu’elle chante encore
les jours blancs donnés l’un après
l’autre devenus couleurs autour de nous
avant qu’elle n’ait pu le voir un éclair venu
du plus profond où tout commence
fait s’embraser les mots auxquels nul n’a cru
William S. Merwin
Mer vineuse
Car il n’y a nulle part
mais un rêve
nulle mer
sinon en l’emmêlement
de nos consciences :
sombre mer vineuse
de l’histoire
où tous nous tournons
tournons, tanguons
et disparaissons.
John Montagne