L'exclu

Les volumes de prix, aux belles reliures de cuir, de l'ex-professeur universitaire avaient attendu longtemps sous la pluie sur le trottoir boueux. Brummer ne savait plus qu'en faire et tournait effrayé autour d'eux. Dans son respect sacré pour tout ce que représentait un livre, c'était là une grande souffrance ; c'était comme si on l'avait traîné lui-même nu sous la pluie incessante, misérable et sale. «Qui est le bureaucrate ? Qui est le crétin ? » criait-il, trépignant énervé au milieu des livres. « Tais-toi lui soufflait entre ses dents Chiril. Tais-toi ! » Alors, dans ce délire, arriva quelqu'un qui portait une serviette dont il tira un épais bordereau tapé à la machine à l'encre violette, en deux exemplaires, dont il confia l'un au bouquiniste, le lui faisant signer comme reçu ; quant à l'autre, il ne fit que le lui montrer avant de le fourrer à nouveau dans sa serviette, entendant probablement faire comprendre à Brummer que toute supercherie, toute tentative de soustraire quelque livre, ou de substituer l'un à l'autre, seraient immédiatement découvertes et sanctionnées.
Le bouquiniste et Chiril, qui s'étaient constitué sur-le-champ en une sorte d'apprenti bénévole, se mirent au travail charriant les livres humides, les jetant dans la cave de la boutique par le toboggan destiné au bois de chauffage. C'est ainsi que Chiril avait pu faire remarquer par la suite que le fait que ces livres de science et de philosophie ressemblaient à des tas de bois tout coupé – c'est-à-dire la comparaison en soi-même – avait perdu tout son sens poétique abstrait, les livres étant, ou redevenant simplement en glissant dans cette gouttière doublée de fer blanc, à l'intérieur de la cave, précisément une matière inerte ; ces arbres bercés naguère par le vent, à présent débités en vue de l'hiver, quand leur crépitement joyeux dans les poêles inventerait des contes très étranges.